Lorsqu’en mai 2019 j’ai commencé à m’occuper de « l’affaire Assange » j’avais l’intention de démonter la cabale embrouillée des accusations suédoises montées contre lui. Mon but était surtout de nettoyer « mon » milieu féministe qui à mon sens se laissait manipuler par des organisations douteuses et se fourvoyait dans des chasse à l’homme aussi médiatiques qu’illégales. Puis vint un long d’un été au cours duquel l’homme Julian Assange avait tellement disparu de la circulation qu’on se demandait s’il n’était pas une chimère, un fantôme ou… une invention.
Cependant, ayant rejoint le comité Wikijustice issu du mouvement des Gilets Jaunes, j’ai pu poser auprès des camarades du comité des doutes qui m’habitaient depuis toujours sur l’incohérence du dossier. Les invraisemblances de la mission diplomatique équatorienne, signalées dans un précédent article, mes doutes sur la stratégie des avocats. Evidemment, ma propre expérience de la répression m’incitait à un examen critique. Puis on a travaillé sur la « matière humaine » – la personnalité de Julian Assange, son histoire, sa famille, ses relations… C’est ainsi qu’est apparue sous nos yeux une situation de plus en plus difficile, une solitude terrible, un isolement humain qui nous a fait craindre le pire : que « l’affaire Assange » ne soit un des plus grands scandales de l’Europe Occidentale actuelle, une « extraordinary rendition » organisée minutieusement sur 10 ans, visant à isoler, à diffamer, puis à enfermer un humain dans une captivité aussi ubuesque qu’illégale, pour finir par le détruire psychiquement et physiquement….Puis le capturer, le détenir dans un « trou noir » (qu’importe qu’il s’appelle Belmarsh ou ici vous pouvez mettre le nom d’une des nombreuses bases secrètes et non secrète des Etats Unis en Europe). Au final l’homme-épave sera jugé en son absence, mollement défendu par des personnes à peine convaincues de son innocence, puis extradé vers Guantanamo (« parce qu’on ne peut rien faire, n’est-ce pas » -vieille antienne que le système nous ressert à toutes les sauces et à toutes les occasions) pour y devenir, comme l’a cyniquement annoncé un vice-président de Stratfor « une excellente épouse en prison », c’est-à-dire un corps violé utilisé comme esclave sexuel.
Ayant démonté l’implacable machine, nous avons décidé de la gripper et c’est ainsi que je me suis déplacée à Londres pour assister à toutes les quatre audiences d’extradition de la Westminster Magistrate Court du 20 septembre au 21 octobre dernier. Au passage j’ai beaucoup appris sur les compagnons d’infortune et de circonstance de Julian Assange – les extradés polonais et autres est-européens, jugés en leur absence, sans avocats et sans interprète, souvent sans comprendre ce qui se passe sous le regard résigné de leurs familles muettes dans le public. La vie du prolétariat est-européen émigré en Grande Bretagne défilait sous mes yeux alors que j’attendais que l’administration britannique appelle le prisonnier Julian Assange à la barre. A force de protester contre les nombreuses violations de droits, les lettres qui n’arrivent jamais, les colis non livrés, les protestations auprès de l’administration pénitentiaire sans réponses, nous avons enfin obtenu l’inespéré : la « justice » britannique a été obligée de présenter l’homme Assange physiquement. De prouver qu’il n’a pas encore été assassiné à force de tortures. Car elle en a la responsabilité pénale, l’administration britannique, puisqu’il est privé de liberté et enfermé dans ses prisons. La torture est un crime voyez-vous, et les assassinats extrajudiciaires aussi. On peut échapper aux molles remontrances d’un comité de l’ONU mais sur le long terme, la colère du peuple peut être terrible. Les Gilets Jaunes prenant d’assaut le fourgon policier transportant Julian Assange donne aux élites anglaises un avant -goût de ce que peut être la Révolution.
Voilà donc que le 21 octobre 2019 au petit matin je me retrouve devant la Westminster Magistrate Court dans l’espoir que peut être les avocats de Julian Assange vont demander sa libération et que peut être, innocent qu’il est, sortira -t-il ce soir libre… Avec ma collègue de Wikijustice nous avions préparé de petits panneaux portés sur des tee-shirts avec de petits messages. Nous voulions les brandir devant le fourgon de la société privée qui devait l’amener au tribunal par une porte située dans une rue latérale. Mais nous avions déjà compris qu’il y aura plein de police, que cela serait interprété comme une tentative d’aide à l’évasion et risquait d’obérer nos chances d’entrer dans le tribunal.
A 8h30 donc nous sommes encore dans le café sympa proche du tribunal qui est le fief des avocats, lorsque nous avons la surprise de croiser l’avocate de Julian Assange Gareth Peirce et son barrister Mark Summers. Le café est petit, nous ne pouvons éviter de la voir instruire son collaborateur au sujet des arguments qu’il va dérouler pour défendre Julian Assange dans moins d’une heure. Dans ce lieu public accessible à tous je vois le document A4 de 5 à 10 pages stabiloté de jaune. Je ne peux m’empêcher de penser à ce pauvre Julian Assange terrorisé à l’idée d’être suivi par les services secrets américains, incapable de faire confiance à des gens inconnus au point de ne se fier que toujours au même cercle depuis 10 ans, même si le cercle en question s’avère nocif. Je n’utilise pas de caméra cachée, j’agis à visage découvert en tant que militante, mais dans un lieu pareil, le boulevard est ouvert à toutes les oreilles qui trainent par la…
Lorsque nous arrivons devant le tribunal, surprise, environ 50 personnes font déjà la queue pour rentrer. D’autres préparent panneaux, banderoles et pancartes à l’effigie de Julian Assange. C’est sympathique jusqu’à ce que je comprenne que l’organisation en commando sert à permettre aux « personnalités » de l’affaire, arrivées en retard, à se retrouver en reines de la resquille tout en haut de la file devant les autres et donc devant nous au risque de nous empêcher de rentrer au tribunal et d’assister à l’audience. Ainsi, Kristinn Krafnsonn et Craig Murray arrivent bien après moi mais une militante cède sa place et ils se retrouvent, sans même la remercier, tout près de la porte. Il en sera de même dans la salle d’audience. La militante qui se fait appeler « Greekemmy » sur les réseaux sociaux régente un groupe de femmes « petites mains » qui occupent les sièges mais cèdent leur place au gré de l’arrivée « d’hommes importants » comme Pilger, Livingstone, Vaughan Smith puis même Juan Branco et Maxime Nicolle bien plus tard. Il suffit que Greekemmy crie « substitution » et immédiatement une femme se lève et donne sa place. Je ne trouve pas ce procédé honnête et il est illégal. Tout le monde a le droit de venir assister à une audience publique et une personne lambda ne peut pas s’arroger le droit de décider qui peut rentrer dans un tribunal et qui non. Même en Pologne on n’accepterait pas cela. D’autant plus que Greekemmy fait pire : lorsqu’elle aperçoit dans le couloir du tribunal ou dans la salle d’audience une personne qu’elle ne connait pas, d’autorité elle exige de connaitre son nom et ses coordonnées comme si elle était la police en personne. Or, il est illégal de stocker les données privées de personnes rencontrées dans un lieu public en se faisant passer pour une autorité compétente. Encore une des nombreuses bizarreries du dossier Assange qui a des conséquences, puisque les citoyens sont ainsi découragé d’assister aux audiences ou il est jugé…
D’ailleurs, une femme passe devant la file d’attente nous susurrant que très peu de personnes pourront assister, la salle numéro 3 est très petite, il n’y a que 13 places pour le public. C’est vrai, je le sais, mais je persévère. Nous passons les portiques de sécurité en compagnie des familles des autres accusés polonais et roumains du jour. Surprise, l’audience a lieu dans la salle 1, plus grande ! Nous fonçons au premier étage. Il y a certes plus de place, mais 40 personnes attendent déjà. Greekemmy négocie avec les agents de sécurité que ses protégés passe avant les autres personnes en attente. Parmi les « protégés » je distingue Jennifer Robinson, l’ancienne médiatique avocate d’Assange, mais il n’y ni Christine Hawkins ni John Shipton. Greekemmy ne peut donc se prévaloir face aux huissiers que son groupe serait la « famille » de Julian Assange. A ce stade nous sommes tous à égalité, des citoyens qui venons assister à un procès public. Les hussiers laissent passer une vingtaine de journalistes qui ont montré leur carte de presse au secrétariat. La foule commence à pousser sur la porte et Greekemmy n’est pas en reste, me poussant et me tirant et me criant que je ne suis « pas enregistrée sur la liste ». Je lui réponds en Grec, qu’il n’y a pas de liste, que le procès est public et que tout le monde a le droit de rentrer. Elle me menace et laisse entendre que je serais une espionne… Je lui réponds qu’elle n’a qu’à demander à mes amis politiques grecs qui je suis, je suis connue en Grèce, oui… Mais pendant que ses copines grecques me cherchent noise et que la tension monte avec la chaleur dans la foule massée sous la porte, les « personnalités » pour lesquelles ma contradictrice travaille ne font même pas attention à elle : ils et elles la méprisent tellement qu’ils se parlent entre eux contents de se retrouver.
A un moment donné les agents de sécurité réclament le calme et commencent par faire rentrer le public au compte-goutte. Je me retrouve dans une petite pièce derrière une vitre, comme dans la salle 3 mais plus grande. Je m’assied au milieu dans la seconde rangée et je ne bouge plus, quoi qu’il m’en coute. La salle est vite remplie et commence alors le manège des « substitutions » qui permet à Juan Branco de s’assoir entre John Pilger et Ken Livingstone à ma droite malgré son retard. Il a quand même essayé de prendre place dans la salle d’audience parmi les journalistes, mais les huissiers le font sortir car il n’a pas de carte de presse et n’est pas avocat inscrit au barreau anglais. Ils lui demandent aussi de faire fouiller son sac par la sécurité qu’il a aussi visiblement réussi à éviter. Un peu rouge, le jeune Français médiatique obtempère. Maxime Nicolle arrivera vers la fin de l’audience, selon le même procédé une militante se lèvera pour lui céder la place, il sera assis à coté de son ami.
Il fait chaud, on est serrés et immobiles, nous avons soif car on n’a pas le droit d’avoir une bouteille d’eau. Le temps passe, tout le monde a pris place dans la salle mais l’audience ne démarre pas. Je vois Gareth Peirce et Mark Summers arrivés après leur séance au café, derrière son assistante et un autre homme qui s’avérera être Alistar Lyon, proche collaborateur de Peirce. Je distingue aussi Clair Dobbin, la request barrister des Américains et une autre de ses collaboratrices. Je comprends maintenant que l’accusation, le procureur est assis devant le juge avec à sa gauche les avocats de la défense et à sa droite ceux de l’accusation. Le greffier, un homme âgé, prend place derrière le bureau sous l’estrade du juge. Il restera remarquablement discret, laissant la jeune et accorte juge Baraitser mener la barque de ce show politique. Les nombreux journalistes sont assis en rang d’oignon au fond de la salle, c’est à dire sous la vitre séparant le public du personnel juridique. Mais qui sont donc ces messieurs, trois jeunes et grands aux costumes bien taillés, aux sourires éclatants et un autre un peu plus âgé ? Ils mettent à profit notre interminable attente pour se concerter, ensemble, avec Clair Dobbin et sa collègue, puis avec le procureur… Ils se placent de manière à ne pas être entendus des journalistes. Le messages est clair. C’est les pontes de l’accusation. Des Américains ? Interrogés, ils refuseront de donner leur nom à la sortie de l’audience. Ils sortiront contents d’eux et souriant. J’ai vite compris que le retard de l’audience est destiné à leur permettre d’avoir le temps de se concerter avec la partie anglaise. Dans ce dossier, il n’y a jamais de hasard.
Les agents de sécurité puis la juge Baraitser elle-même nous mettent en garde : au moindre mouvement de perturbation nous serons virés et la séances suspendue. Il n’est donc évidemment pas question de montrer nos panneaux. Puis, un ange passe, cela va très vite. L’audience commence. Julian Assange arrive dans l’espace des accusés derrière la vitre, perpendiculaire à notre espace. Il s’assied au fond. Il est debout quand nous nous levons lorsqu’apparait la juge. L’émotion saisit tout le monde. Il est là… Il lève son poing gauche serré et se tourne vers nous. Nous répondons à son salut révolutionnaire et levons le poing. C’est tout ce que nous avons le droit de faire. L’agent de sécurité qui nous scrute en permanence nous fait signe que c’est fini. Le show commence.
Julian Assange est grand et vouté, mais il ne parait pas si maigre vue de loin -on est à 30 mètres, derrière 2 vitres et on ne le voit que jusqu’à la taille car le bas du box est opaque. Ce n’est que lorsqu’il se lève et que sa veste se soulève qu’on voit qu’il est amaigri. Il porte un pull bleu ciel neuf, une chemise blanche avec le col rentré dans le pull, une veste bleue marine et un pantalon gris. Il est rasé et cette fois on voit bien son visage. Ses cheveux blancs sont coupés selon le style qu’il affectionnait quand il était plus jeune, en 2007-2009, sans frange et coiffés vers l’arrière. Pendant les 45 minutes de l’audience il regarde devant lui – la juge, les avocats et l’accusation, donc moi qui suis assise au milieu de la salle du public juste dans l’axe de la juge, j’ai une excellente vue sur son profil côté droit. Je suis bien obligé de le dire, il a l’air très triste, très abattu. Il a l’air d’être le même homme qu’en 2010 mais comme s’il avait 60 ans et pas 48. Bien sûr il a perdu son air innocent des années de liberté, son sourire et son humour. Bien sûr, c’était déjà ainsi pendant sa captivité chez les Equatoriens, mais je crois que c’est encore plus fort. Pas un seul petit sourire pendant 45 minutes, même esquissé. De plus il ne regarde jamais vers l’endroit ou se trouvent ses « proches », les personnalités. JAMAIS il ne les salue ou il ne leur fait un signe de tête ou un sourire. JAMAIS. Il ne salut pas d’ailleurs ni Gareth Peirce ni Mark Summers. Il ne leur fait AUCUN signe.
Je vois bien son visage. Il a le menton rond, rentré vers l’arrière, comme s’il serrait les dents en permanence. Cela fait ressortir son nez droit, comme sur les photo de 2010-11. Il a des yeux gris bleus foncés et un regard qu’on remarque. Je dois vous dire que malgré son abattement il a une présence physique impressionnante, un côté solide malgré tout, il affronte. Quand il se lève, se rapproche de la vitre pour demander à parler aux avocats, il garde les gestes gracieux qu’il a naturellement, il y un coté doux et fort chez lui. Il a un dossier de papiers à la main mais ne les consulte pas. A un moment donné il sort des lunettes de sa poche de veste, puis les remet dans la poche. Nous ne savons pas hélas ce qu’il peut voir. Pendant la première partie du procès il gardera cependant la même attitude de retrait que sur la video du 11 octobre: il se balance doucement d’avant en arrière, parait absent, met ses mains sous les aisselles sous les pans de sa veste et sa jambe gauche sur son genou droit. Mais plus tard il va changer d’attitude et je verrai ses mains, qui sont longues et fines comme sur les photos d’avant la captivité en 2011.
Je remarque la femme black qui est entrée dans le box avec lui et qui le regarde, assise 4 sièges derrière lui. Elle le regarde avec bienveillance et une espèce de douceur comme une infirmière son malade. Je réalise seulement plus tard que c’est une gardienne – une policière ou une agent de sécurité de l’entreprise chargée de surveiller les détenus. Cela montre qu’ils ne peuvent pas le garder à Belmarsh car les gardiens eux-mêmes comprennent qu’il n’a rien à faire la, et qu’il n’est pas un détenu dangereux. Il n’y a qu’à comparer avec M. K., le détenu polonais condamné pour braquage dont j’avais vu le cas le 18 octobre dernier. Je sentais de la compassion pour ce compatriote de mon âge issu certainement de la classe ouvrière qui a tant perdu dans le capitalisme, une vie passée entre prison et braquage est un désastre total. Mais M. K. est un homme violent et dur, cela se voit et cela m’étonnerait qu’on laisserait cette femme seule le garder dans le box quand il comparait physiquement au tribunal! Julian Assange a l’air plus que jamais d’une souris égarée dans un nid de crotales.
Derrière moi sont assis les membres de la famille du migrant suivant qui va être jugé après. Ils discutent entre eux, ne paraissent pas très contents. L’huissière les sort pour leur dire que leur proche sera jugé bien plus tard, après le procès politique. Deux chaises se libèrent; ce qui permet à deux femmes petites mains de Greekemmy chassées par l’arrivée de Pilger et Branco de revenir assister à l’audience.
La gardienne regardera son téléphone toute la durée de l’audience, à la moitié un autre gardien black arrivera et sera assis loin de Julian. L’attitude de ces gardiens me fait penser, étant donné qu’ils sont les sont les premiers au courant de son état psychique, que la « dark place » est peut-être une unité psychiatrique dans Belmarsh ou quelque part sur une base.
L’audience commence. Je vous livre ce que j’ai compris mais il n’est pas facile de saisir la totalité de ce qui est dit, car juge, accusation et avocats se répondent mutuellement entre eux dans une justice rendue au nom du Roi et non du peuple dans laquelle le peuple n’est que toléré. La juge Baraister demande à Julian Assange de se présenter. Il se lève mais a du mal à dire son propre nom… Il trébuche sur les mots, finit par dire « Julian Assange » mais doit essayer plusieurs fois avant de prononcer sa date de naissance. On l’entend très mal, mais c’est bien sa voix, sa façon très particulière de parler qui fait j’ai toujours compris, alors que je ne suis pas anglophone, la totalité de ses conférences et entretiens fleuves données en 2010 et toujours accessibles sur internet.
La juge Baraister parle de la progression du « case », de la procédure et du calendrier qui a été fixé à la fin de juillet. Elle cite souvent une audience du 31 juillet, une audience dont le public et nous- même n’étions pas au courant alors qu’au coeur de l’été avocats et « proches » de Julian Assange étaient partis et nous nous inquiétions tant de l’absence de la moindre nouvelle. Ce qui veut dire que les audiences dites « techniques » peuvent être primordiales…. La juge déclare enfin qu’une « plainte des Etats Unis a mené à la formulation d’une requête d’extradition auprès du gouvernement britannique ». Dès que la voie diplomatique est citée, il apparait enfin que la procédure utilisée est la convention bilatérale d’extradition. C’est certes une procédure qui s’appliquera, Brexit ou pas Brexit, mais il faudra que les « preuves » soient examinées. Concrètement dans ces procédures bilatérales les juges doivent examiner les preuves et il n’est nullement automatique de devoir obéir à la requête de l’Etat étranger, puisque contrairement au Mandat d’Arrêt Européen, l’Etat receveur de la requête garde sa souveraineté. Baraister donne parole au procureur britannique Lewis qui globalement gardera la parole les trois quart du temps. Un petit quart sera donné à Summers. Le procureur est assis en face de la juge entre Summers et Peirce et Clair Dobbin. Au début il présente donc la plainte des Etats Unis menant à une requête d’extradition faite à la Grande Bretagne. Selon lui le « peuple des Etats Unis » se serait senti offensé par le fait que Julian Assange ait publié les télégrammes diplomatiques secrets américains. 19 000, 400 000; les chiffres des publications de Wikileaks en 2010 défilent. L’offense serait constituée par le fait que les publications aurait délibérément dévoilé le noms de gens qui de ce fait auraient été torturés et mis à mort.
C’est le même argument qu’en 2010 et on sait qu’il est faux. Le gouvernement des Etats-Unis de l’époque l’avait admis. Mais que peuvent ils inventer d’autre? Rien. Il faut qu’ils justifient « l’offense faite au peuple américain » alors même que leur requête viole leurs propres lois. Il s’en suit un dialogue entre procureur et juge à propos du calendrier. Des dates sont énumérées : le 2 mai l’arrestation, le 14 juin – « l’extradition adress », puis le 31 juillet « case management » (audience de gestion), puis l’instruction de la plainte et une date importante pour la défense –le 18 octobre. Oui, le 18 octobre il s’est passé quelque chose d’important entre les avocats et la juge. Mais j’étais présente salle numéro 3 aux audiences d’extradition et je n’y ai vu que les extradés est-européens. Julien Assange n’a pas comparu. Il est possible que c’était la date limite du dépôt des preuves de la défense, et cela a été réglé entre avocat et juge via le dépôt des documents dans le dossier.Ce que je comprends est que l’accusation veut que les preuves des deux parties soient déposées en un mois, la défense veut avoir trois mois.
La juge donne la parole à Mark Summers. Celui se lève et commence sa plaidoirie d’abord d’une voix forte, puis finit malheureusement par baisser le ton et la fin de son discours n’est plus audible du public. Il explique que ce procès a une haute importance politique et ses conséquences vont affecter tous les lanceurs d’alerte et les journalistes d’investigation. Il parle de liberté d’expression d’une belle façon mais je ne sais pas si son éloquence apporte quelque chose de nouveau. Il évoque les « spanish contractors », l’entreprise de sécurité privée qui a espionné Julian Assange dans les locaux de l’Equateur et le procès qui est en cours pour obtenir ces enregistrements afin de demander un délai supplémentaire pour les preuves. (Je suis toujours irritée quand les avocats s’indignent que leur relation avec Julian Assange ait pu être espionnée mais jamais ils ne parlent que sa vie privée à lui a été violée, que son intimité a été exposée… il y a t -il un procès en cours contre ça ?) Il parle de Chelsea Manning et des contacts nécessaires avec les avocats américains. Il veut avoir 3 ou 4 mois de plus, mais il ne cite qu’une date, le 18 décembre, aucune en février, mars ou avril… Or si le juge ne lui accorde que deux mois pour déposer les preuves de la défense, le reste du timing se déroulera comme il était prévu par l’accusation et le « full extradition hearing » aura bien lieu en février 2020.
La juge reformule à voix haute : » application for more time for evidence » – requête pour plus de temps pour déposer les preuves. Julian Assange assiste à cela le regard vide. Il semble mal à l’aise, absent. Puis il s’anime quand la juge propose une pause pour qu’il puisse parler à sa défense. Mark Summers a effectivement évoqué la difficulté de communiquer avec Julian Assange en prison. Mais pour autant il ne fait pas demande de libération, ou un changement de prison pour Wandsworth (comme je sais désormais par mes avocats polonais qu’il est possible et souhaitable de faire) ou un changement de régime carcéral. On comprend vite que dans ce théâtre un avocat en vue fait carrière, il ne va pas risquer de demander des choses qui vont être refusés. Donc il ne demande rien. C’est là où on s’aperçoit que Julian Assange aurait peut-être été mieux défendu par des avocats moins connus qui n’ont pas à perdre une réputation ou une carrière.
Alors la pause a lieu. La juge part, on se lève. Alors, le petit monde de Greekemmy ne s’occupe plus que de lui : les uns vont boire, d’autres aux toilettes, ils se parlent; sortent faire leur communication avec les journalistes. Peu de gens restent pour Julian. Moi évidement je reste. Je le regarde, je lui souris, j’essaye de lui transmettre notre message mentalement, de faire comme si les murs et les vitres n’existaient pas et que je pouvais lui transmettre mes paroles par la pensée, par les yeux. Je le vois toujours assis s’approcher de la vitre. Il parle d’abord à Summers et Peirce, puis à Alistar Lyon, le collaborateur de Peirce. Lyon ne va pas s’exprimer aujourd’hui. Donc si Julian lui parle, c’est pour préparer la suite.
Quand Lyon se penche vers Julian pour lui parler, Julian est tourné vers le public. Alors je vois qu’il me voit. Je vois bien ses yeux et j’établis un contact visuel. Mais il reste triste et concentré.C’est fini, la juge revient. La bataille des dates continue. Le procureur réclame un mois : « it is very easy to say more time »‘. Summers demande plus de temps, mais il est toujours question du 18 décembre, deux mois après le 18 octobre. La juge dit qu’il faut une négociation. Julian semble s’animer et écouter, il se rapproche de la vitre. Mais il ne regarde toujours pas le public. Les protagonistes du « management », de la « gestion du cas » sortent chacun leur agenda comme dans une rencontre commerciale. Si le dépôt des preuves de la défense sera le 18 décembre, le 18 janvier la date limite des preuves de l’accusation, le 1 février on liste les documents de la défense, le 18 février c’est le « prosecution hearing » (l’audience d’accusation) et puis du 21 au 24 février aura lieu le « full extradition hearing » (l’audience finale d’extradition).
C’est ce qui est décidé. La juge repousse les demandes, que je trouve assez flous, de Mark Summers. Elle arrête ce calendrier. Elle se tourne vers Julian pour lui signifier sa décision. Elle lui dit qu’il restera en détention et qu’il doit comparaitre tous les 28 jours en video. La première date de comparution pour prolongation de détention sera le 18 novembre. Elle se garde évidemment de dire que ces dates sont aussi des occasions pour la défense de formuler des requête de remise en liberté, sous caution, pour raisons de santé ou raisons familiale. C’est pourtant légalement possible et cette bataille est le quotidien des avocats polonais que j’ai vu lutter dans ces salles pour sortir leur client du centre de rétention. Mais Baraitser ne risque pas d’être ennuyée par l’examen des demandes de libération formulées par Summers ou Peirce : elle sait qu’il n’y en aura pas. Elle continue tranquillement à citer le 19 décembre en video pour le « case management hearing », puis le 18 janvier (les 28 jours écoulés), le 1 février, le 18 février, puis le final du 21 au 24 février. La fin aura lieu au tribunal de Belmarsh. Un murmure d’horreur parcourt alors la partie de la salle dévouée à Greekemmy. On comprend et pour le coup on se sent proche de Greekemmy…
Alors la juge Baraitser permet à Julian Assange de prendre la parole. Et c’est là que le terrible, l’extraordinaire se produit. Il se lève, essaye de parler. Il n’arrive pas à prononcer des phrases entières, elles sont hâchées, il parle bas, il béguaye. On voit qu’il est dans un sale état. Nous sommes tous suspendus à ses lèvres en tentant de comprendre ce qu’il dit. Pour la première fois, on se sent uni avec tous ces gens hostiles… Il est au bord des larmes, pleure je crois, comme sur le balcon en mai 2017. Tout d’abord Baraitser, tel un bourreau froid, lui demande s’il a compris. Il répond que non ! Elle lui dit de demander à ses avocats, comme si un homme qui n’est pas en état de comprendre devait être dépendant des autres, plutôt qu’on le libère pour reprendre des forces et se battre lui-même pour son sort. Mais Julian Assange ne se laisse pas remettre dans la case de la passivité. Il lutte. Il dit que ce n’est pas fair, que la puissance avait 10 ans pour préparer ce procès… Il évoque qu’il n’a pas ses documents… Dans les deux dernières phrases, les plus terribles, je distingue « interior life » et « ‘children »… Mais je ne comprends rien d’autre. C’est horrible. Même les Anglais ne comprennent rien. J’interroge mon voisin, il n’a pas entendu mieux que moi. (C’est par la suite que nous aurons la transcription de ses paroles, minutieusement notées et surement recoupées par le journaliste du Guardian. C’était possible pour les journalistes de mieux entendre que nous, puisqu’ils se trouvaient à 10 mètres de lui derrière une vitre, nous à 30 et derrières deux vitres…-) – « Ils sont entrés dans ma vie intérieur avec les psychologues. Ils ont volé l’ADN de mes enfants ». Quoi que ces mots veuillent dire, ils parlent de la torture que cet homme a subi et dont il nous avertit. La torture est un crime, que tout le monde se rappelle…
C’est fini. La juge part, Julian est parti, j’avais baissé la tête et j’ai loupé le moment. Les agents de sécurité nous chassent et font sortir les judiciaires par la suite. Je passe mon temps à pister les Américains de l’accusation pour leur demander leur nom puis à tenter de parler à Alistar Lyon. Clair Dobbin me salue en me reconnaissant. Dehors les autres font leur com alors que les Gilets Jaunes pourchassent le fourgon de police privée qui emmène Julian. Il n’est plus seul, je suis sure qu’il l’a compris. Il nous a vu et il a entendu le peuple qui vient pour le libérer…
Alors je suis intriguée car je remarque Hrafnsonn, Pilger et Lockhart Smith sortir d’une « consultation room 4 », salle normalement fermée car réservé aux avocats. Ils ont l’air contents d’eux. Par la vitre de cette salle je vois aussi Juan Branco en conversation avec Renata Avila responsable dans l’organisation Open Democracy financée par Goerges Soros et responsable politique dans le mouvement de Yanis Varoufakis Diem 25 ! Je suis étonnée qu’un tribunal britannique aussi à cheval sur les règles permette à des mouvements politiques et des personnes privées d’utiliser ses salles pour des réunions.Car c’est confirmé, ces salles sont réservées aux avocats et à leurs clients, certainement pour éviter les séances de travail dehors telle ce matin ma rencontre impromptue avec Gareth Peirce et Mark Summers au café du coin.Dans cette affaire, le « client » est Julian Assange, il est adulte et n’est pas sous curatelle (à moins que ?) et donc personne ne doit le représenter auprès de ses avocats, qui sont respectivement sollicitor Gareth Peirce et barrister Mark Summers. Tous les autres ont les mêmes droits que le public, que moi et ne devraient pas avoir d’accès privilégié à ces lieux.
Nous retrouvons nos amis dehors alors que les caméras s’activent autour de la foule. Les Gilets Jaunes font la Révolution à Londres. La lutte continue.
Comme le 20 septembre 2019 son nom figurait en premier des jugés pour être extradés, mais c’est parce qu’il commence à la lettre A et que la liste des 21 hommes, majoritairement Polonais et Roumains et d’une femme azerbaidjanaise, est alphabétique. A la Westminster Magistrate Court, ce 11 octobre 2019, le greffier et le secrétaire du greffe préparait la séance dans la petite salle numéro 3 alors que le public a vite rempli les dix chaises réservées derrière la vitre. Julian Assange figurait donc à la séance du jour parmi les migrants d’Europe de l’Est vivant en Grande Bretagne et réclamés par la justice de leur pays à grand renfort de Mandats d’Arrêt Européens. Comme sur la liste du 20 septembre, certains des prolétaires accusés de vols, escroqueries ou autres bagarres et délits de pauvres étaient aussi menacés d’être livrés aux USA. Et Julian Assange est sur la même liste. Etrange sensation de le savoir en compagnie du prolétariat européen le plus vulnérable, le moins conscient de ses droits, le moins politisé. Mais ce jour-là, après toutes les avanies de cette justice expéditive ou l’on juge les hommes en leur absence, les militants de l’Association Wikijustice, ne s’attendaient même pas à le voir comparaitre.
Notre soucis était de savoir si un minimum de défense serait présent pour lui, contrairement au 20 septembre dernier. Les dix places du public ont été vite remplies par Wikijustice et par les membres du comité de soutien britannique. Andrej Hunko, député de die Linke, était également présent dans le public, lui le combattant de longue date pour la justice en Europe, notamment pour une enquête internationale indépendante sur l’assassinat de 100 personnes brulées vives dans la Maison des Syndicat à Odessa le 2 mai 2014 au cours du Maidan ukrainien. Les familles des autres prévenus ont du hélas se contenter de places debout. Malheureusement, pour leurs hommes comme pour Julian Assange, la justice britannique fut rapide, sèche et dénuée de la moindre analyse.
Madame Emma Arbuthnot, juge et présidente du tribunal a pris place à l’estrade et nous nous sommes tous levés. Le greffier lui a présenté le plan de travail. Julian Assange figurait sur la liste comme le numéro 11, mais finalement c’est dans un ordre tout à fait différent que les « cas», les hommes, ont été présentés à la juge. Le secrétaire du greffe commença par le cas numéro 16, et après avoir dit son nom à haute voix, appela le prévenu polonais de la prison de Belmarsh après avoir actionné la vidéo. Sur l’écran apparait alors un gardien qui affirme que M. K. est trop malade pour comparaitre ce jour-là. Et c’est tout. Terrible justice dématérialisée ou l’étrange comparution en vidéo déporte le tribunal ipso facto en prison et nous ramène vers une forme d’ancien régime, tellement le détenu est devenu immatériel, caché, inaccessible. En effet, l’accusé ne sort plus jamais. Il ne voit pas sa famille et ses soutiens parce que la caméra ne lui montre pas le fond de la salle. Il ne sent pas l’air du temps. Il ne sent rien de la comédie humaine dans laquelle se joue son sort. Il n’est plus citoyen, mais un objet enfermé et trimballé d’avocat en juge et de juge en gardien. M. K. n’a même pas su ce qu’il était dit de lui à l’audience. Il n’est pas là. Sa famille doit croire le gardien sur parole qu’il est « trop malade » et elle est laissé à sa sourde inquiétude et ses interrogations.
Dans un tel système, ou le citoyen a disparu au profit de l’objet enfermé, l’avocat devient de seul garant de l’humanité de l’humain physiquement disparu de la vue des autres humains. Certains avocat se battent comme des lions pour leur client. Celui du prévenu suivant, toujours un Polonais, récuse la demande d’extradition et demande une prolongation de la libération sous caution. En 5 minutes il a brossé le tableau d’un homme qui regrette ses actes, qui a purgé la moitié de sa peine, qui travaille, possède une petite entreprise, tenez Madame la juge, on a trouvé les preuves que son entreprises existe, elle a une adresse et des clients…. Le jeune avocat ne lâche pas le morceau, il n’assiste pas impuissant au processus, il se bat. Une seconde de répit. Madame la juge, si sévère, esquisse un sourire. Non, c’est refusé, les délits dont il est coupable, escroqueries et vols, sont trop sérieux pour elle. La morale de la société est atteinte. On passe au suivant. Il est Roumain, il n’est pas là, on ne sait pas pourquoi. Puis le duo juge-greffier évoque le cas de la H, la femme azerbaidjanaise. Elle n’est pas là non plus et n’a pas d’avocat. On comprend cependant qu’elle est en prison accusée de choses graves. Son cas est reporté, mais que deviendra-t-elle si personne de proche ne se préoccupe d’elle au fond de sa prison ? Je pense aussi à elle, moi qui suis venue pour Julian Assange.
Le prisonnier suivant, encore un Polonais, comparait en vidéo de Belmarsh. Mais son avocat a 2 minutes pour expliquer qu’il « n’a pas pu entrer en contact avec son client à cause des conditions de visite dans la prison ». Cela n’étonne mais n’indigne personne. La juge fixe l’audience à début novembre. Il est encore question d’une autre femme, J., elle aussi « servant prisoner » comme l’a été Julian Assange -ça sonne comme prisonnier au service du système, en attente que le système décide de lui. Puis vint encore un Polonais, le numéro 22 dont le nom n’est pas sur la liste. Comme les autres, il s’accroche à cette Angleterre ingrate, refuse l’extradition en Pologne et demande une « application for bail », c’est-à-dire une libération sous caution. Toujours par la bouche de son avocat, car comme les autres, il est absent.
Madame la juge se lève alors et nous nous levons car elle sort de la salle. Nous croyons à une pause et nous apprêtons à discuter de ce que nous avons vu. Mais le greffier annonce que le cas de Julian Assange est discuté. Nous nous levons car un autre juge, un homme de 45 ans, arrive. Et la sinistre farce politique peut commencer. La vidéo s’anime et Julian Assange apparait devant nos yeux. Il s’assied sur une chaise dans un espèce de box ou un petit local avec des cadres derrière lui comme des miroirs sans teints. Cela pourrait être n’importe ou puisque le secrétaire du greffe ne commente même pas à haute voix « Belmarsh » quand il établit la connexion alors qu’il le fait dans le cas des autres détenus.
Julian Assange parait amaigri, en s’asseyant il se crispe nerveusement sur la chaise, une jambe posée sur l’autre, les bras croisés, les mains cachées, repliées. Il porte une longue barbe et des cheveux longs gris et blancs, le même sweat-shirt bleu délavé et ce même pantalon gris que sur la vidéo de Wandsworth d’avril et fuitée en mai. J’ai l’impression qu’il a froid et il fait froid en cette matinée humide d’automne à Londres. Je ne peux m’empêcher de me demander si quelqu’un lui a quand même fourni des vêtements ou de l’argent pour en acheter à l’intérieur de la prison, des produits de première nécessité auxquels tout être humain a droit, même enfermé. Je me remémore mon voyage d’hier à la prison de Belmarsh ou les gardiens du « visitor center » ont refusé de certifier s’il avait bien reçu nos colis avec les chaussettes chaudes. C’est bouleversant de le voir ainsi et je pense alors que nos chaussettes envoyées ne sont pas superflues.
Julian Assange dit juste une phrase, «Paul Julian Assange » et sa date de naissance. Puis il garde jusqu’au bout un air absent. Il est légèrement penché en avant, le regard fixant le sol, comme s’il refusait de participer à cette mascarade. Nous ne savons pas exactement ce qu’il peut voir de la salle, probablement uniquement son avocate, l’accusation au premier rang, le greffier et le juge. Nous ne le voyons pas en entier, la caméra le coupant à la taille. Justement son avocate, Gareth Peirce est là, arrivée à 10h mais absente de la salle pendant la présentation des autres cas. Elle dialogue avec le juge, cela dure quelques minutes. Il me frappe qu’elle ne regarde pas Julian Assange. Elle ne se tourne pas une seule fois vers la vidéo et il n’y a entre eux aucun regard ni signe de connivence. On a l’impression d’assister à une pièce de théâtre dont tous les acteurs connaissent le jeu, les ficelles du jeu et naturellement le dénouement de l’intrigue. Normal, ils se connaissent tous car ils jouent dans la même troupe du système judiciaire alors que nous assistons à la comédie humaine en spectateurs impuissants. Mais il s’agit d’un homme dont le sort se joue à pile ou à face… Nous comprenons que Gareth Peirce demande la comparution physique de Julian Assange au tribunal la semaine prochaine, le 21 octobre. Ce n’est pas une mauvaise idée, mais je pensais, suite à nos consultations juridiques avec les avocats spécialisés dans l’extradition, qu’à cette audience du 11 octobre seraient présentés les arguments de la défense et que le « management hearing » de la semaine suivante sert à lister les arguments des deux parties, défense et accusation. Puis le juge a 3 semaines pour trancher.
Justement l’accusation est bien présente à l’audience en la personne d’une femme élégante qui parle en dernier, assise juste à côté de Gareth Peirce. Après l’audience elle m’explique qu’elle est la « request barrister », l’avocate de la «partie adverse », c’est-à-dire, me dit-elle, qu’elle défend les intérêts américains. Obligeamment elle me donne son nom, Clair Dobbin. Son CV fourni apparait immédiatement sur internet, et je remarque que ses bureaux d’avocat sont situés dans le même bâtiment que ceux de Matrix Chambers, le cabinet de barristers[1] (1)dont l’un, Mark Summers, avait lu la fameuse lettre d’excuses de Julian Assange lors de l’audience du 2 mai.
Le juge finit en demandant d’une voix forte à Gareth Peirce :pas « d’application » aujourd’hui ? Pas de requête, de demande de libération sous caution ? Non. Gareth Peirce, l’avocate de Julian Assange ne demande rien. Elle veut que tout se joue le 21 octobre. Son client fixe le sol de la prison et on ne sait s’il entend et comprend, ni s’il est d’accord. C’est fini. Le juge sort, nous nous levons et nous sortons dans le couloir ou se joue le reste de la comédie humaine et politique.
Le 21 octobre ou le 18 octobre sont évoqués à l’audience. Nous savons maintenant qu’il faut nous précipiter au secrétariat du tribunal pour demander la confirmation des dates. Revenez demain, nous ne les avons pas encore dans l’ordinateur. Gareth Peirce reste un moment seule dans le couloir, à l’écart des Anglais des comités de soutien et des journalistes. Je me présente et je lui demande si je peux lui demander des explications. Elle commence à me parler, mais déjà le secrétaire du greffe la sollicite. Elle me propose de parler avec son assistante et le suit.
Le 21 octobre une partie, ou tous les dés seront jetés. Que faire pour renforcer la défense de Julian Assange avant qu’il ne soit trop tard ?
[1] Dans le système anglais il existe une hiérarchie entre les avocats – les sollicitor sont les avocats en contact avec le clients qui peuvent plaider devant les tribunaux de première instance, les Magistrate Court. Mais pour aller à la Crown Court, tribunal de seconde instance il doivent louer les services d’avocats plus spécialisés, les barrister. Jennifer Robinson et Mark Summers ont été les barristers de Julian Assange alors que Gareth Peirce est son sollicitor
A Belmarsh, le 10 octobre 2019
La veille, le 10 octobre 2019 j’étais allée le matin de mon arrivée à Londres à la station Plumstead, commune Thamesmead à la lisière de la commune Woolwich. En effet, nous ne savions pas exactement dans quel tribunal Julian Assange sera jugé le lendemain car les «soutiens officiels », les avocats ni les « proches » ne communiquaient rien à ce sujet.
Je suis donc d’abord allée au tribunal Woolwich Crown Court qui jouxte les prisons Belmarsh et Thameside, qui fait partie du complexe Belmarsh. Dans le secrétariat du tribunal, au rez de chaussée derrière un guichet, plusieurs femmes s’affairaient. Elles étaient aimables quand je leur ai donné le numéro de prisonnier et aussi le nom car elles me l’ont demandé (je m’apprêtais à ne pas dire le nom pour que ma requête ait l’air naturelle, qu’elle concerne un prisonnier lambda et non pas un homme célèbre dont parlent les journaux).
Elles ont fait comme si de rien et m’ont assuré que ce n’était certainement pas ici. Si ce n’est pas ici, cela ne peut être qu’à la Southwark Crow Court, ou éventuellement à la Westminster Court. Assange avait été soit disant condamnée pour la violation de la libération sous caution le 2 mai dernier à la Southwark Crown Court, mais j’étais perplexe car les extraditions sont jugés normalement par les tribunaux magistrate, comme me l’avait certifié mes avocats polonais. Mais en l’absence de toute information, il a fallu l’après midi courir dans le centre-ville à la Southwark Crown Court pour vérifier sur les listes du lendemain qu’Assange ne s’y trouve pas.
Puis je me suis dirigée vers le bâtiment neuf du « visitor center » dans le parking de la prison Belmarsh ou nous avions déjà été le 21 septembre dernier. Le centre visiteur est géré par l’association PACT qui s’occupe de recevoir les familles des prisonniers. L’intérieur en est en réalité assez convivial, comme pour adoucir ce moment pénible de visite pour les familles.
Au centre d’une vaste salle se trouvent des tables et des chaises, un présentoir avec des brochures dont nombreuses sur les droits des prisonniers, des casiers pour les sacs et les affaires personnelles des familles qui ne peuvent emmener autre chose que leurs documents à l’intérieur de la prison. Plus loin on a l’entrée d’une cuisine qui suggère qu’on peut s’y préparer un repas, des plantes vertes, une petite bibliothèque. A droite de l’entrée s’alignent devant de grandes fenêtres les bureaux des bénévoles ou salariées de l’associations, des dames anglaises d’une soixantaines d’années. Elles sont accueillantes et pleine de sollicitude.
En face de leurs bureaux se trouve le petit couloir qui mène au PC de sécurité avec un guichet derrière lequel travaillent plusieurs gardiens de la prison. C’est là qu’on doit présenter ses documents pour la visite qu’on a auparavant réservé sur le site de la prison.
Ce matin lorsque je suis entrée, quelques familles noires et indiennes se préparaient dans la salle principale. Je ne m’y suis pas attardée et je suis directement allée au PC. Je voulais comprendre pourquoi ma visite réservée pour le 2 octobre puis pour aujourd’hui, d’abord acceptée, a été de nouveau refusée par mail, comme celle du 14, 16 et 23 août avec la mention étrange « que les dates ne sont pas disponibles et que je dois choisir de nouvelles dates ! (« the dates and times you chose aren’t available – choose new dates on www.gov.uk/prison-visits »)
Nous savons depuis le 20 septembre qu’il faut être sur la « visitor list » du prisonnier afin de pouvoir obtenir une visite, mais la réponse de Belmarsh ne disait pas « vous n’êtes pas sur la listes des visiteurs de M. Assange », elle disait quelque chose comme « il est occupé à cette date, il vous recevra une autre fois ».
Sachant que nous lui avions envoyé plusieurs lettres, un mail officiel de Wikijustice, de l’argent pour un appel téléphonique (cela était possible par le site de la prison) ainsi que deux colis, nous attendions toujours une réponse à notre demande d’être inscrit sur sa liste de visiteur. Après tout, nous répondions à sa lettre SOS du 17 août 2019 et nous lui proposions de le défendre en tant qu’association de défense des Droits de l’Homme.
L’ambiance du PC déjà très différente de celle du samedi 21 septembre. Cette fois ci les gardiens étaient tous des Blancs de 50-60 ans, leur Anglais m’était difficilement compréhensible et ils semblaient plutôt pète-sec et froids. Le samedi 21 septembre les gardiens étaient un groupe de Caribéens plutôt chaleureux qui nous avaient bien renseigné sur les lettres, les colis et la liste visiteurs. Maintenant, munie de leurs informations, j’essayais de faire le point sur nos envois depuis trois semaines.
Je dis à la première gardienne de l’accueil que j’avais réservé une visite pour le 10 octobre, je donne le numéro d’écrou, sans donner le nom du prisonnier. Elle regarde dans l’ordinateur et brusquement devient très sèche. Elle refuse de me répondre, me dit qu’elle ne peut rien me dire. Je concède que j’ai reçu un mail disant que « cette date n’était pas disponible », mais comme toutes les dates choisies finissaient avec la même réponse, que devrais-je en penser ? La femme reste mutique.
Alors je ne joue plus la comédie de la femme qui vient voir un homme en prison. Je dis que je représente l’association Wikijustice Julian Assange de France et que nous voudrions savoir pourquoi nous n’avons pas de réponse des services de la prison « find a prisoner » , « prisoner location service » alors que ces services sont responsables de la communication du prisonnier avec l’extérieur et de l’organisation des visites qui sont un droit.
Si nous ne sommes pas sur la « visitor list » de Julian Assange, c’est peut-être parce qu’il n’a pas reçu nos lettres, mails et nos colis. D’ailleurs nous n’avons non seulement aucune réponse aux lettres, mais pas non plus un seul accusé de réception alors que nous avons pris soin d’envoyer des lettres avec accusé de réception de France et aussi directement d’Angleterre. Les lettres n’ont jamais été délivrés à Belmarsh. La même question concerne nos deux colis contenants les seuls affaires autorisés, les chaussettes et les sous-vêtements. Nous n’avons jamais reçu d’accusé de réception de nos colis, alors que ces colis ne sont pas revenus. Pas comparaison, et n’étant pas certains qu’Assange soit à Belmarsh, nous avions envoyé un colis à la prison de Wandsworth ou normalement sont détenus les hommes en attente d’extradition. La prison nous a renvoyé le colis avec la mention qu’un prisonnier avec un tel numéro ne s’y trouve pas…
Alors pourquoi ce silence de Belmarsh qui se targue d’être une prison moderne et modèle, respectant les droits des détenus ?
Je formule ma requête d’une voix douce mais assez fermement. La femme ne répond rien, elle me dit qu’elle ne peut rien dire. Je n’insiste pas, peut-être des ordres ont-ils été donnés à ces salariés ne de ne rien dire.
Je sors me plaindre à l’accueil du PACT. Je suis seule dans la pièce, l’accueillante est très gentille. Elle me parle même français et s’excuses pour le mauvais accueil de ses collègues ! Je lui raconte le courrier SOS que Julian Assange nous a envoyé, nos nombreuses lettres sans réponse, notre inquiétude, les colis non livrés… Comment comprendre cela ? Comment est-ce possible ? Si Assange ne répond pas, il est peut-être déjà mort ? Ou il n’est pas ici ?
La femme me tend un formulaire et me dit « écrivez une complain », une plainte au directeur de la prison. Je m’installe à une table pour le faire.
Mais c’est alors qu’un des gardien sort de son box et vient vers moi. C’est un homme costaud. Il me dit quelque chose que je ne comprends pas, je lui demande de répéter. Et voilà qu’il s’avère qu’il veut me virer !
Je proteste. Je lui dis que j’ai le droit d’être là, que je suis en train d’écrire ma complain et qu’il va y être inclus s’il veut me chasser de force… La femme du PACT le regarde terrorisée. L’homme recule et fait demi -tour.
J’ai écrit la feuille (à laquelle nous n’obtiendrons aucune réponse) et je la tends à l’aimable accueillante. Elle est désolée, se confonds en excuses et me dit qu’eux, le PACT n’ont en fait en tant que sous-traitant aucun pouvoir. Elle rajoute « Vous auriez dû venir à plusieurs pour avoir des témoins ».
Je souris « je sais, la dernière fois nous étions trois » !
Je prends congé en la remerciant. Au moins ai-je marqué notre présence et fait pression. Suffisante pour qu’ils nous montrent demain si Julian Assange est vivant et si oui, dans quel état ?
La lutte pour la vérité ne fait que commencer….
Westminster Court, le 18 octobre 2019
Nous sommes revenues salle numéro 3 pour les audiences d’extradition, car il était possible que Julian Assange comparaisse ce jour et pas lundi. Il n’est pas sur la liste, qui comme toujours est rempli d’hommes prolétaires est-européens : Polonais, Roumains, Albanais, Lithuanien, Slovaques, Bulgares… Mais quelque chose a changé par rapport au vendredi précédent. Le greffière nous reconnait comme « observers ». Car effet de notre présence ou pas, les audiences sont très différentes : tous les accusés ont des avocats et même des interprètes de langue est-européenne. Je peux suivre et comprendre au moins les procédures de 5 audiences car l’interprète polonaise parle d’une voix forte. Les hommes comparaissent presque tous, en video de la prison de Wandsworth, un de Belmarsh, parce qu’il purge une peine de délit commis en Angleterre, et un homme comparait libre. Ils sont correctement vêtus en civil, leurs cheveux et leurs barbes sont coupés. Ils regardent la salle de tribunal en face et certains saluent leur avocat et leur interprète et participent à leur propre procès. Cela contraste fort avec l’état terrible de Julian Assange sur les deux minutes de video dans une pièce sombre le vendredi dernier 11 octobre.
Même la juge, même si elle reste sévère, elle parle aux accusés dans les yeux et leur explique ses décisions et leurs raisons. Un Indonésien est extradé aux Etats Unis. Contrairement à des accusés des vendredis précédent, il a une interprète. Est-ce à dire qu’auparavant le tribunal jugeait sans se préoccuper si les accusés comprennent les évenements ? Dans le petit espace pour le public toujours les épouses et les filles des accusés, parfois des amis inquiets.
Les avocats présents, surtout les Polonais, nous connaissent maintenant et on discute des procédures. Je sais presque tout maintenant sur le « case management hearing » et sur le « full extradition hearing », sur le « production order » – ordre d’amener, c’est-à-dire le droit de l’accusé de comparaitre physiquement à la cour, toujours de plus en plus restreint pour des raisons de coupes budgétaires. Le secrétariat du tribunal refuse de nous dire si cet « ordre d’amener » à été accordé à Julian Assange par le juge pour le lundi 21. Pourtant, vendredi après-midi le planning du lundi est déjà disponible sur l’intranet du tribunal, mais inaccessible au public. Le verrons-nous lundi ? Et comment sera-t-il? A chaque fois nous nous demandons qu’est ce que le système va encore inventer pour le couper de la vie, pour couper le public de lui, l’empêcher de nouer des contacts sociaux indispensables à la lutte. Notre lutte commune pour la transparence et la lumière.
La veille, le 10 octobre 2019 j’étais allée le matin de mon arrivée à Londres à la station Plumstead, commune Thamesmead à la lisière de la commune Woolwich. En effet, nous ne savions pas exactement dans quel tribunal Julian Assange sera jugé le lendemain car les «soutiens officiels », les avocats ni les « proches » ne communiquaient rien à ce sujet.
Je suis donc d’abord allée au tribunal Woolwich Crown Court qui jouxte les prisons Belmarsh et Thameside, cette dernière fait partie du complexe Belmarsh. Dans le secrétariat du tribunal, au rez de chaussée derrière un guichet, plusieurs femmes s’affairaient. Elles étaient aimables quand je leur ai donné le numéro de prisonnier et aussi le nom car elles me l’ont demandé (je m’apprêtais à ne pas dire le nom pour que ma requête ait l’air naturelle, qu’elle concerne un prisonnier lambda et non pas un homme célèbre dont parlent les journaux).
Elles ont fait comme si de rien et m’ont assuré que ce n’était certainement pas ici. Si ce n’est pas ici, cela ne peut être qu’à la Southwark Crown Court, ou éventuellement à la Westminster Court. Assange avait été soit disant condamné pour la violation de la libération sous caution le 2 mai dernier à la Southwark Crown Court, mais j’étais perplexe car les extraditions sont jugées normalement par les tribunaux magistrate, comme me l’avaient certifié mes avocats polonais. Mais en l’absence de toute information, il a fallu l’après midi courir dans le centre-ville à la Southwark Crown Court pour vérifier sur les listes du lendemain qu’Assange ne s’y trouve pas.
Puis je me suis dirigée vers le bâtiment neuf du « visitor center » dans le parking de la prison Belmarsh ou nous avions déjà été le 21 septembre dernier. Le centre visiteur est géré par l’association PACT qui s’occupe de recevoir les familles des prisonniers. L’intérieur en est en réalité assez convivial, comme pour adoucir ce moment pénible de visite pour les familles.
Au centre d’une vaste salle se trouvent des tables et des chaises, un présentoir avec des brochures dont nombreuses sur les droits des prisonniers, des casiers pour les sacs et les affaires personnelles des familles qui ne peuvent emmener autre chose que leurs documents à l’intérieur de la prison. Plus loin on a l’entrée d’une cuisine qui suggère qu’on peut s’y préparer un repas, des plantes vertes, une petite bibliothèque. A droite de l’entrée s’alignent devant de grandes fenêtres les bureaux des bénévoles ou salariées de l’associations, des dames anglaises d’une soixantaines d’années. Elles sont accueillantes et pleine de sollicitude.
En face de leurs bureaux se trouve le petit couloir qui mène au PC de sécurité avec un guichet derrière lequel travaillent plusieurs gardiens de la prison. C’est là qu’on doit présenter ses documents pour la visite qu’on a auparavant réservée sur le site de la prison.
Ce matin lorsque je suis entrée, quelques familles noires et indiennes se préparaient dans la salle principale. Je ne m’y suis pas attardée et je suis directement allée au PC. Je voulais comprendre pourquoi ma visite réservée pour le 2 octobre puis pour aujourd’hui, d’abord acceptée, a été de nouveau refusée par mail, comme celle du 14, 16 et 23 août avec la mention étrange « que les dates ne sont pas disponibles et que je dois choisir de nouvelles dates ! (« the dates and times you chose aren’t available – choose new dates on www.gov.uk/prison-visits »)
Nous savons depuis le 21 septembre qu’il faut être sur la « visitor list » du prisonnier afin de pouvoir obtenir une visite, mais la réponse de Belmarsh ne disait pas « vous n’êtes pas sur la liste des visiteurs de M. Assange », elle disait quelque chose comme « il est occupé à cette date, il vous recevra une autre fois ».
Sachant que nous lui avions envoyé plusieurs lettres, un mail officiel de Wikijustice, de l’argent pour un appel téléphonique (cela était possible par le site de la prison) ainsi que deux colis, nous attendions toujours une réponse à notre demande d’être inscrit sur sa liste de visiteur. Après tout, nous répondions à sa lettre SOS du 17 août 2019 et nous lui proposions de le défendre en tant qu’association de défense des Droits de l’Homme.
L’ambiance du PC déjà très différente de celle du samedi 21 septembre. Cette fois ci les gardiens étaient tous des Blancs de 50-60 ans, leur Anglais m’était difficilement compréhensible et ils semblaient plutôt pète-sec et froids. Le samedi 21 septembre les gardiens étaient un groupe de Caribéens plutôt chaleureux qui nous avaient bien renseigné sur les lettres, les colis et la liste visiteurs. Maintenant, munie de leurs informations, j’essayais de faire le point sur nos envois depuis trois semaines.
Je dis à la première gardienne de l’accueil que j’avais réservé une visite pour le 10 octobre, je donne le numéro d’écrou, sans donner le nom du prisonnier. Elle regarde dans l’ordinateur et brusquement devient très sèche. Elle refuse de me répondre, me dit qu’elle ne peut rien me dire. Je concède que j’ai reçu un mail disant que « cette date n’était pas disponible », mais comme toutes les dates choisies finissaient avec la même réponse, que devrais-je en penser ? La femme reste mutique.
Alors je ne joue plus la comédie de la femme qui vient voir un homme en prison. Je dis que je représente l’association Wikijustice Julian Assange de France et que nous voudrions savoir pourquoi nous n’avons pas de réponse des services de la prison « find a prisoner » , « prisoner location service » alors que ces services sont responsables de la communication du prisonnier avec l’extérieur et de l’organisation des visites qui sont un droit.
Si nous ne sommes pas sur la « visitor list » de Julian Assange, c’est peut-être parce qu’il n’a pas reçu nos lettres, mails et nos colis. D’ailleurs nous n’avons non seulement aucune réponse aux lettres, mais pas non plus un seul accusé de réception alors que nous avons pris soin d’envoyer des lettres avec accusé de réception de France et aussi directement d’Angleterre. Les lettres n’ont jamais été livrées à Belmarsh. La même question concerne nos deux colis contenants les seuls affaires autorisées, les chaussettes et les sous-vêtements. Nous n’avons jamais reçu d’accusé de réception de nos colis, alors que ces colis ne sont pas revenus. Pas comparaison, et n’étant pas certains qu’Assange soit à Belmarsh, nous avions envoyé un colis à la prison de Wandsworth ou normalement sont détenus les hommes en attente d’extradition. La prison nous a renvoyé le colis avec la mention qu’un prisonnier avec un tel numéro ne s’y trouve pas…
Alors pourquoi ce silence de Belmarsh qui dans ses audits annuels se targue d’être une prison moderne et modèle, respectant les droits des détenus ?
Je formule ma requête d’une voix douce mais assez fermement. La femme ne répond rien, elle me dit qu’elle ne peut rien dire. Je n’insiste pas, peut-être des ordres ont-ils été donnés à ces salariés ne de ne rien dire.
Je sors me plaindre à l’accueil du PACT. Je suis seule dans la pièce, l’accueillante est très gentille. Elle me parle même français et s’excuses pour le mauvais accueil de ses collègues ! Je lui raconte le courrier SOS que Julian Assange nous a envoyé, nos nombreuses lettres sans réponse, notre inquiétude, les colis non livrés… Comment comprendre cela ? Comment est-ce possible ? Si Assange ne répond pas, il est peut-être déjà mort ? Ou il n’est pas ici ?
La femme me tend un formulaire et me dit « écrivez une complain », une plainte au directeur de la prison. Je m’installe à une table pour le faire.
Mais c’est alors qu’un des gardien sort de son box et vient vers moi. C’est un homme costaud. Il me dit quelque chose que je ne comprends pas, je lui demande de répéter. Et voilà qu’il s’avère qu’il veut me virer !
Je proteste. Je lui dis que j’ai le droit d’être là, que je suis en train d’écrire ma complain et qu’il va y être inclus s’il veut me chasser de force… La femme du PACT le regarde terrorisée. L’homme recule et fait demi -tour.
J’ai écrit la feuille (à laquelle nous n’obtiendrons aucune réponse) et je la tends à l’aimable accueillante. Elle est désolée, se confonds en excuses et me dit qu’eux, le PACT, n’ont en fait en tant que sous-traitant aucun pouvoir. Elle rajoute « Vous auriez dû venir à plusieurs pour avoir des témoins ».
Je souris « je sais, la dernière fois nous étions trois » !
Je prends congé en la remerciant. Au moins ai-je marqué notre présence et fait pression. Suffisante pour qu’ils nous montrent demain si Julian Assange est vivant et si oui, dans quel état ?
This was the first text I wrote about Julian Assange in August 2019. I didn’t know much about the case yet. I just wanted to unravel the case of the rape charges and to understand why my former feminist colleagues in the Feminist Party participated in the witch hunt. Reading Julian Assange’s legal file as published on the internet, I discovered some surprising facts.
August 2019. This article is the first one in a series of analyses of the Swedish legal case against Julian Assange. I feel the necessity to publish my analysis because I’ve never believed in Julian Assange’s guilt, whose legal file from the very start was an accumulation of unbelievable manipulations by the Swedish Department of Justice. These manipulations will be outlined in another article, mainly the collusion between the main complainant, Anna Ardin, and Irmeli Krans, the police officer who noted down the accusation of the two complainants – Ardin and Krans being not only close friends, but also eligible members of the same political party. This fact should have been enough reason to immediately drop the case due to procedural error, and even an appointed lawyer could have come to this conclusion.
I’m writing this article in order to shine a light on some elements of this case which have been rarely published and, even less so, analyzed. My starting point will therefore not be the accusation, but the defense – being accused of rape by Anna Ardin and having had to learn this through an article published in a Swedish tabloid on August 20, 2010, Julian Assange immediately responds to the subpoena issued by the Swedish police. During his interview with the police om August 30, 2010, Assange gives them his version of what had happened. The summary of his deposition has rarely been published and hardly ever been analyzed. Yet this is one of the rare accounts which have been produced spontaneously and without preparation. That’s why, in my view, this dialogue contains the most authentic elements about the whole “affair”, an affair which has cost this man almost a decade of solitary confinement, an imprisonment in a maximum-security prison at present and soon the certainty of extradition or the secret American torture prisons. Shining a light on the darkness of this “affair” is the only way to set free the political prisoner on European soil he has become.
A second article will analyze the defense of Julian Assange against the accusations of Sofia Wilem, but given the fact that this defense dates from 2016 and has been mainly redacted under the influence of lawyers who have lost all of his cases, like Jenny Robinson, it’s less important than the deposition dating from August 30, 2010, against Anna Ardin.
What’s most striking when reading this document, is that Julian Assange seems so flabbergasted that he fails to defend himself. Initially he believes it is all a misunderstanding, he simply cannot believe that the person with whom he has been sharing the bed, their intimacy and apartment for an entire week, is now accusing him of rape.
The police officer kindly urges him to share the details of his emotional and sexual relationship with Anna Ardin in order to give his version of the facts and constitute his defense. His lawyer, Leif Silbersky, willingly encourages him to meticulously answer the questions so that not only the complainants version will be taken into account.
This is how we know that only one copulatory encounter has taken place, during their first night together which was August 13, and that this particular encounter has been experienced as rape by Anna Ardin. However the nights following this particular encounter have been filled with caresses much appreciated by her – she doesn’t accuse him of anything for those other nights… But Assange has not been able to give any more precise descriptions as the very vague “we’ve been mutually touching each other”. This small phrase isn’t strong enough to counterbalance the raw, harsh and realistic version given by the complainant about the events of that first night – her version being one of an Assange rushing on her directly upon their arrival at her apartment, tearing off her clothes and jewelry before clamping her on the bed. The complainant keeps silent about the caresses given to her by her lover during the entire rest of the week, which makes her narrative more than questionable.
While Assange is unable to describe the caressing and hardly able to mention the two orgasms experienced by Ardin due to his caresses, this remains inaudible and thus the only remaining version – the complainant’s- is being imposed. Why doesn’t Julian Assange manage to talk, could it be out of shame? A shame that, apparently, is nowhere to be seen on the complainants’ side, who are spreading their complaint, providing it with extensive and very explicit sexual descriptions, almost to the extent of provoking arousal with the lecturer. Clearly, the shame here can only be detected on the side of the accused, which is an abnormality in classic cases of a woman being raped by a man.
The same happens with the central point of the accusation: the perforated or torn condom. Assange does not defend himself. He doesn’t remember who had taken the initiative to use a condom, nor does he remember who had put it on or even who had taken it off!
To almost every question he replies: I don’t remember. He is incapable of stating the hour the sexual encounter had taken place, or if there were more than one… The passivity, the prostration as well as the abatement will cost him heavily because every charge is considered equally important as every discharge…Therefore, in absence of details which would underline a discharge, all that remains is the accusation.
To such an extent, that it worries his counsellor, who after the interrogation has come to an end, asks him if by any chance he has been intoxicated with drugs or made drunk. This is exactly the impression an outsider would have upon observation: if the alleged rapist displays such vagueness as well as loss of memory, would it not be possible that he is the one being abused, particularly with some kind of drug? The so-called “rape drug” can obviously functions both ways, meaning its substances provoke the complete erasing of one’s memories of an event.
I’m heartbroken and deeply touched when I read Julian Assange’s answer to the question “ who initiated the sexual contact?” : “ Anna”.
“How did she do that?” Julian Assange’s answer: “she told me to sleep in her bed”. And she “added things that a lover is supposed to do in bed”. It is her who decides, not him. “After all, it is her apartment” – he says.
This image of passiveness and obedience is haunting me, as an outside viewer. The one who the United Stated as well as the mainstream media worldwide have accused and portrayed as a predator, is in fact a submissive, passive little boy. Given that Anna Ardin was also the person who let him use her address as a mandatory part of his residence permit request in the Schengen area, this adds to the completion of his vulnerability. A vulnerability towards the complainant that, logically speaking, should have incited his lawyer to question and doubt the accusation.
As to his lawyer, who has showed himself to be efficient and empathic, Leif Silbersky was sacked after a week. Who was advising Julian Assange then, and who suggested he’d break with Leif Silbersky? The answer to that question could put us on the track of those who have pushed Julian Assange in an indissoluble situation for over 10 years now, and who have had him lose ALL of his trials. Will they have him lose this final trial too, the one on which his life depends, the US extradition trial? If we, citizens who are concerned by injustice, fail to mobilize, this is exactly what “inevitably” will happen.
Tout l’été 2019, nous avions été angoissés pour Julian Assange. Nous avions été angoissés à cause du silence de ses « proches », de ses avocats et de Wikileaks. Nous avons écrit des lettres, attendu avec espoir des réponses qui ne venaient pas, bataillé avec des trolls sur twitter qui nous insultaient parce que nous avions publié le fameux numéro d’écrou A9379AY que nous avions trouvé en fouillant internet.
Logiquement, nous pensions que lorsque quelqu’un écrivait à un détenu, il était impératif de mentionner son numéro d’écrou, sinon la lettre ne lui serait pas distribuée. Du reste, par des contacts polonais qui étaient passés par Belmarsh, je savais déjà que ce « prisoner number » était indispensable pour toute communication avec les détenus (avec un million de migrants, la diaspora polonaise est la plus nombreuse des diaspora européennes en Grande Bretagne et selon le consulat polonais jusqu’à un tiers des détenus dans les prisons britanniques sont Polonais, il est normal donc que certains aient connu la grande prison de Belmarsh dans la banlieue du Grand Londres). Un de nos collègue de Wikijustice a même téléphoné à Belmarsh pour entendre la confirmation que ce numéro est nécessaire à toute communication avec le détenu.
Nous avions donc écrit à Christine Hawkins Assange, John Shipton (sur twitter), à Wikileaks sur son site, à la Courage Fondation, aux avocats Jennifer Robinson, Mark Stephens, Mark Summers, à Kristinn Hrafnsonn… sans obtenir aucune réponse. Nous avions tenté de retrouver la trace de Sarah Harrison via mes contacts avec la gauche berlinoise de die Linke.
Christophe Peschoux, chef de section du secteur des procédures spéciales à l’ONU le 5 février 2016
Nous avions écrit à Christophe Peschoux, qui avait dirigé en 2015 et 2016 l’enquête du Groupe de Travail sur la Détention arbitraire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme menant au Ruling ordonnant de relâcher Assange, de l’indemniser et de le conduire en lieu sûr. Pas de réponse. Pourtant je connaissais Christophe Peschoux depuis janvier 2015 – c’est à lui que mes amis du Comité des Familles d’Odessa ont confié l’enquête sur le terrible massacre du 2 mai 2014 perpétré par les nazis ukrainiens du Pravy Sektor dans la Maison des Syndicats à Odessa.
Débat organisé le 3 octobre 2019 par la Librairie Tropiques à Paris sur les audiences de Julian Assange avec Wikijustice et Aymeric Monville. Chantal Peschoux, épouse de Christphe Peschoux et militante avec lui est intervenue du public
Aucune réponse non plus pendant tout l’été ni début septembre 2019. Nous avions aussi réussi à trouver le mail de Nils Melzer et à lui écrire, en Allemand et en Anglais. Aucune réponse de sa part, ou plutôt une réponse évasive est ennuyée envoyée à un de nos contact, le 4 septembre, de sa retraite de Glasgow.
Nous avons traversé la Fête de l’Humanité en récoltant des centaines de signature sous une pétition pour la libération de Julian Assange.
Quelle ne fut pas notre stupéfaction, lorsque le 13 septembre au soir, nous apprenons par une publication sur twitter qu’une audience de Julian Assange venait de se tenir à la Westminster Magistrate Court à Londres ce jour-là ! Le communiqué émanait d’une certaine « Greekemmy », une militante qui avait l’air bien informée et présente lors des audiences passées du 2 mai 2019 et de celle de juin, qui avait été déplacée du 13 au 14 juin ce qui avait empêché le bus des Gilets Jaunes déjà loué pour le 13, de partir pour Londres.
Cette fois, c’est décidé, nous irons le plus vite possible à Londres pour en avoir le cœur net et pour demander des précisions à cette militante. Il n’est pas normal que les avocats de Julian Assange ne mettent pas ses soutiens militants au courant à l’avance des dates d’audience ! J’étais d’autant plus en colère contre les avocats absents et muets que je savais par des avocats polonais de Londres, déjà contacté, que les audiences d’extradition ont lieu tous les vendredi dans les cours magistrate anglaises et qu’il faut être préparé à tout chaque semaine qui vient…
Et surtout, nous étions très inquiets parce qu’une militante de Wikijustice avait reçu, vers la fin du mois d’août, cette lettre originale avec son enveloppe retour avec l’adresse de Belmarsh et le numéro d’écrou, signé « J.A. », ces trois lignes aussi désespérées que poétiques, tracées de cette belle écriture ronde : « Thanks B. for fighting for me, I am in a very Dark Place presently, light up the night until victory ». (« Merci B de lutter pour moi, je suis dans une Place très sombre maintenant, éclaires la nuit jusqu’à la Victoire »).
Et surtout, au dos du message, sous le numéro A 93 79 AY inversé, les « …—… ». d’un SOS en morse. Un message poignant, une bouteille à la mer, un appel au secours d’un homme seul.
Nous ne pouvions plus faire comme s’il ne nous avait pas interpellés personnellement. Nous ne pouvions plus faire autrement que faire la lumière sur les ténèbres, traverser les murs et tout faire pour le sauver. Ce fut dorénavant un devoir moral évident, une obligation d’assistance, un impératif d’aller jusqu’au bout du résultat.
Alors, nous avons décidé de nous rendre à la prochaine audience à Londres.
Par mes amis de la gauche altermondialiste, j’étais déjà en contact avec Fidel Narvaez, ancien Consul de l’Equateur qui avait géré le séjour de Julian Assange dans les locaux diplomatiques équatoriens du 3 Hans Crescent Street. Ce fut par son mail que j’appris qu’une audience importante se tiendrait le 20 septembre 2019 à la Westminster Magistrate Court à 10 heures.
J’appris la nouvelle le jeudi après-midi, le soir même je montais dans un Flixbus pour me retrouver, 6 heures et une traversée de la Manche plus tard, à la gare Victoria Coach Station dans le Centre de Londres. Ce n’était que la troisième fois de ma vie que j’allais à Londres, la première en 2004 pour le Forum Social Européen, la deuxième pour le meeting Coalition of Résistance de la gauche anti-capitaliste contre la crise de la dette européenne en octobre 2011. Depuis, je n’étais pas retournée en Angleterre. Dès mon arrivée, voyant mes compatriotes de l’Est européen occuper tous les emplois possibles en contact avec le public, je me sentis bizarrement rassurée. Mon accent est-européen dans mon Anglais ne rebutait plus personne en 2019, tout le monde me comprenait dans les cafés et les magasins !
Néanmoins, lorsque j’appris en consultant mes mails que mes collègues de l’association ne pourraient me rejoindre que plus tard, je me sentais un peu fébrile à l’idée d’aller seule au tribunal. Mais de quoi avoir peur ? La justice est publique dans une démocratie. Il suffit de venir et de pousser la porte du tribunal. C’est ce que je fis.
Le tribunal Westminster Magistrate ne se trouve qu’à quelques stations de métro de la gare Victoria. J’y arrivai à temps avant 10 heures.
Le bâtiment se compose de trois parties – un immeuble de briques rouges anciens accolé à un immeuble de style « Immeuble de bureaux quelconque à Levallois Perret » des années 2000, lui-même accolé à un immeuble de bureau plus anciens des années 60.
1. Le tribunal
Les agents de sécurités des bureaux à droite me dirigèrent vers l’immeuble de bureaux neuf portant le fier blason de l’Angleterre, à gauche le Lion normand et à droite la Licorne enchainée portant la devise en Français « Dieu et mon Droit, honni soit qui mal y pense ». J’étais aussi très perturbée de me retrouver en face de cette symbolique anglo-normande millénaire à l’intérieur de la salle d’audience, moderne, propre et pourvue de meubles clairs comme une salle de classe.
Le Moyen-Age se mélangeait à la modernité la plus ultralibérale, la plus froide, la plus barbare aussi et j’y fus plongée instantanément.
Je fus surprise de ne trouver presque personne pour se battre pour Julian Assange à l’extérieur du tribunal – un homme et une femme se tenaient seuls à gauche de la porte en bavardant devant une banderole « Dont Extradite Julian Assange ». Je me présentai devant la porte centrale en verre qui s’ouvrit. Les agents de sécurité me demandèrent de déposer mon sac et de traverser le portique de sécurité. Une fois passée, je me retrouvai dans un hall nu, à la gauche un tableau avec quelques feuilles épinglées au mur. Le programme du jour : il y a trois salles d’audience, et la salle 3 est celle ou sont décidé les extraditions. Je ressens une vive émotion lorsque sur le planning de salle 3 je lis, tout en haut de la page « ASSANGE Julian Paul Mr. Extradition, USA, salle 3, 10.00 N°1900802699 » suivi d’une vingtaine de noms de Polonais, Roumains, Lithuaniens, Lettons, Hongrois et un Italien, tous candidat à l’extradition. A l’époque nous ne savions pas, faute de communication des avocats, si Assange était extradé toujours en vertus d’un Mandat d’Arrêt Européen avec extradition vers un pays tiers, ou selon le traité bilatéral d’extradition entre la Grande Bretagne et les USA de 2003. Ma présence ici devait servir à répondre à ces questions.
Les agents de sécurité m’indiquent la salle 3 au première étage, dans un vaste hall vitré donnant sur la rue et à peu près vide. Le même planning est suspendu sur la porte en bois clair. Je photographie le document innocemment, n’ayant pas remarqué les caméras autour de moi, et convaincue qu’une annonce d’audience est publique puisqu’elle est affichée là et que donc je dois pouvoir garder une trace de cette annonce à tout moment.
A travers la petite vitre dans la porte, je vois les personnes dans la salle qui est ouverte. Je pousse donc la porte et je me retrouve dans cet espace restreint composé d’une estrade, de 4 rangées de pupitres et de deux box vitrés assez larges. Celui de droite, au fond de la salle, parait réservé au public. Je pousse la porte vitrée et je m’assieds au milieu de la première rangée. Je suis la seule des soutiens de Julian Assange. Une seule femme brune est assisse derrière moi mais j’ai l’impression, à son air concentré et préoccupé, qu’elle est une proche de mes compatriotes est-Européens qui seront jugés dans ces lieux.
Dans la salle d’audience, il y a certain remue-ménage. Le juge est un homme d’une soixante d’année, grisonnant, en costume clair, il ne porte pas d’habit officiel de juge. Il parle à un homme assis devant un ordinateur en bas de son estrade, le greffier probablement. Les avocats sont jeunes, hommes et femmes, ils discutent entre eux. D’ailleurs, l’ambiance est très éloignée de la majesté d’une cour de justice, je serais donc bien en peine d’indiquer qui est l’accusation et qui la défense, malgré la petite formation sur le fonctionnement des tribunaux anglais que je me suis procurée sur internet. Des jeunes filles en robe de ville, parfois en hidjab sur la tête, vont et viennent entre les pupitres, notent des choses sur les papiers. J’essaye de comprendre qui sont les avocats, qui les accusés, qui leurs interprètes…
Je ne sais pas trop quoi faire à ce moment-là. J’ai l’impression que les audiences n’ont pas encore commencé. Quand on ne sait pas, il faut se renseigner. Je sors de mon box et je me dirige vers le greffier. Je me présente comme étant une représentante de l’association de défense des droits de l’homme française, Wikijustice. L’homme me sourit aimablement et m’invite à prendre place dans la galerie du public. Tandis que je reviens à ma place, deux femmes entrent la pièce et me suivent. L’une est grande et blonde, l’autre asiatique. La femme blonde me touche le bras et me demande si je suis là pour Julian Assange. Je réponds oui et je me présente. Elles sont aussi des soutiens venus de l’extérieur. La femme blonde m’explique qu’on leur avait dit que l’audience était fermé et la porte du tribunal fermé. Mais quand elles m’ont vu entrer elles ont compris que ce n’était pas vrai. Elles m’ont donc suivi.
Il est 10 heures quand le silence se fait. Le juge commence à parler, mais je ne comprends pas tout, peu encore au fait du vocabulaire juridique anglais. Ce que je sais est qu’il n’y a aucun avocat de Julian Assange en vue ! A l’époque je n’avais jamais encore vu ses avocats en chair et en os, mais aujourd’hui, après avoir pendant deux ans observé l’action de Gareth Peirce, Edward Fitzgerald, Mark Summers, Alaistar Lyon, ou la non-action de Jennifer Robinson, Renata Avila, Juan Branco etc. je peux parfaitement certifier qu’aucune de ces personnes n’ont été présentes ce 20 septembre 2019 dans la salle 3 du tribunal Westminster quand le juge et le greffier ont prononcé le nom de « Julian Assange », à 10 heures.
C’est alors que la secrétaire dépose des papiers sur les bureaux du greffier, un homme se lève et parle de son pupitre et tous les yeux sont brusquement tournés vers l’écran télé suspendu sur le mur de droite. L’écran reste vide. D’après ce que je comprends, en l’absence des avocats de Julian Assange, le juge a demandé à un des avocats présents de jouer le rôle d’un avocat commis d’office. Je comprends aussi que Julian n’est pas là, mais pour le constater il faut un avocat. Effectivement, sans avocat et sans que l’accusé puisse ni être présent, ni être représenté, je ne vois pas comment une audience de justice peut être légale !
Julian Assange en mars-avril 2010 en Islande
Le juge a constaté l’absence de Julian Assange en vidéo à 10 heures, mais je me dis que s’il reporte l’audience à plus tard, il faut être là ! En fait il faut rester toute la journée pour surveiller. Je constate aussi que les deux militantes anglaises n’ont même pas attendu que le nom de Julian Assange soit prononcé. Elles sont sortie une minute après être entrées et n’ont donc pas entendu ce qui se passe. Dommage j’aurais bien besoin de leur avis.
Je suis aussi curieuse de voir comment sont jugés les autres affaires, les Polonais extradés. Mais je ne peux pas rester très longtemps car j’ai aussi rendez-vous avec nos avocats. Le chaos s’installe de nouveau dans la salle, tout le monde se lève. Je décide d’en avoir le cœur net. Je sors du box et je me dirige vers l’homme qui a parlé de la salle. Je lui demande s’il est l’avocat de Julian Assange. Il me répond « No I have nothing to do with this case ». Et il va se rassoir à sa place pour la prochaine audience du Polonais qui suit.
Brusquement, deux agents de sécurité vêtus de blanc et noir viennent vers moi. Je me lève donc et j’écoute. Ils m’expliquent que j’ai photographié la feuille d’annonce qui est placardé sur la porte alors que c’est interdit. Ils veulent que je leur montre mon téléphone pour effacer la photo. Je sais qu’ils n’ont pas le droit de toucher à mes affaires, ici comme en France. Je leur demande de voir un officier de police judiciaire. Je leur précise néanmoins que l’audience est publique et l’annonce de l’audience aussi. Je devrais avoir le droit d’obtenir la photocopie de cette feuille au secrétariat du tribunal comme preuve de ce qui s’est passé ici aujourd’hui.
Les agents de sécurité sont bien ennuyés mais ils n’ont pas le choix, ils appellent la police. Le remue-ménage attire l’attention du juge qui s’enquiert de qui je suis. Du coup, je suis très contente de pouvoir expliquer qui est l’association Wikijustice Julian Assange et j’en profite pour lui dire que j’arrive exprès de France pour remettre au juge et au président du tribunal une lettre – par laquelle nous demandons des précisions sur l’audience fantôme du 13 septembre dernier. Je tends les documents au juge qui me dit « je ne peux pas les prendre ».
Version française de la lettre à la Magistrate Court laissée le 20 septembre 2019
Alors, je fais comme j’ai appris à le faire au cours de nos luttes en Pologne et en Grèce : quand un tribunal refuse de prendre tes courriers, tu les leur laisse. Tu les leurs jettes, ils vont les prendre, ils sont obligés de les prendre ! Alors je laisse choir mes documents par terre. Et je sors. J’entends un bruissement derrière moi, mais je vois du coin de l’œil que les documents sont ramassés par la secrétaire. Dehors, un peu plus tard, un homme âgé dans un élégant costume, présent à l’audience, s’approche de moi pour me dire « ne vous inquiétez pas, votre courrier sera remis à la présidence du tribunal ». Je le remercie, l’homme tient mon papier dans les mains.
Mais d’abord, j’ai affaire à un agent de police très placide qui m’explique que je n’ai pas le droit de photographier dans le tribunal. Je lui demande la photocopie de l’affiche. Il est très aimable et va même au secrétariat pour demander au manager le droit de me donner ce document ! Hélas, le manager refuse. Alors, je lui dis que comme je suis arrivée ce matin à Londres je n’avais pas compris qu’il faut un chargeur spécial pour l’électricité. Mon téléphone est déchargé. Il me donne obligeamment son chargeur, nous attendons que mon téléphone se recharge en discutant du procès de Julian Assange. Il est impressionné que je sois venu de Paris pour ça.*
La photo incriminée
Mon téléphone est rechargé, je lui montre les photos faites. Aucune ne montre la feuille interdite. Alors l’homme lâche prise, s’incline et me permet de partir. Je file sans demander mon reste. En fait, j’avais fait la photo avec mon appareil photo…. De nos jours certaines personnes ne savent même plus que ce genre de choses existent.
En sortant de la Westminster Court, je revois les deux militantes anglaises à droite de la porte d’entrée, devant la banderole pour Julian Assange. Elle discute avec un homme de grande taille, que j’avais déjà vu sur les vidéos du parti trotskiste Socialiste Equality Parti[1] – nous étions au courant de l’engagement de ce parti pour Assange suite à la réunion houleuse que celui-ci avait organisé le 23 juin dernier à l’AGECA à Paris et qui s’était terminée en dispute houleuse avec les Gilets Jaunes présents. Il discute avec une femme brune.
Je m’approche d’eux, je me présente, je présente WikiJustice Julian Assange, nous discutons. Je leur demande pourquoi ils ne sont pas venus dans la salle d’audience, il est mieux d’être plus nombreux pour faire pression sur le tribunal. Aux deux femmes qui m’avaient suivi je dis qu’il aurait fallu rester toute la journée au cas où l’audience serait reportée à une heure plus tardive ce que le juge peut faire à tout moment.
A ma grande surprise, leurs réponses et leur déclarations sont floues et étranges. La femme brune me dit que c’est interdit d’entrer dans la salle, je lui réponds que ce n’est pas vrai, c’est est tout à fait possible, la preuve je suis entrée et j’ai assisté à l’audience ! L’audience a bien eu lieu, le nom d’Assange figurait sur le planning, mais aucun avocat n’est venu ! Comment se fait-il qu’aucun des nombreux avocats ne soit là ? Et qui est donc en réalité l’avocat de Julian Assange, le vrai, le sollicitor qui le représente à la Cour et défend ses intérêts en vrai, et pas dans les médias ?
La femme brune me répond que l’avocate sollicitor est Gareth Peirce ; qu’elle est une excellente avocate, très connue et que si elle n’est pas présente, c’est sûrement pour une bonne raison. Peut-être que l’audience n’était pas une audience importante. Je secoue la tête.
En droit il n’y a pas d’audience « non importante », tout est important, chaque mot, chaque virgule a un pouvoir sur le réel, est un pouvoir. Tous les avocats le savent. La preuve que l’audience existe est que le nom de Julian Assange a bien été prononcé par le juge, j’en ai été témoin, et que son nom est bien affiché sur le planning des audiences de la salle 3. Je conserve précieusement ma preuve ultime, la photo que j’ai réussi à faire et à emporter, et qui selon l’Etat de droit ne devrait pas être interdite puisque toute audience de justice est publique !
Je serai très choquée lorsque, quelques jours après, l’interlocuteur de cette conversation affirmera dans les vidéos des réseaux Unity4J, Defend Wikileaks et « Dont Extradite Assange » qu’il a été présent lors de cette audience DANS la salle 3 du tribunal alors que j’y étais SEULE au début, puis accompagnée de deux femmes ! Cette déclaration mensongère m’a mise en colère, je ne conçois pas qu’on puisse mentir de façon aussi éhontée, et je n’en comprenais pas la raison : ces personnes étaient bien dehors devant le tribunal et pas DEDANS !
Le pire en fut la justification donnée : l’audience ne serait qu’une erreur, ou une audience « technique sans importance », alors que c’est tout l’inverse qui est vrai ! En effet, le surlendemain, 23 septembre 2019 Julian, Assange allait achever les 6 mois de prison pour rupture de liberté conditionnelle auxquelles il avait été condamné après son kidnapping-arrestation du 11 avril. Alors, pour continuer à le maintenir en détention provisoire il faut qu’un mandat d’arrêt soit présenté ! L’audience du 20 septembre 2019 aurait dû présenter un mandat d’arrêt délivré par le juge pour que la détention de Julian Assange à Belmarsh ou Wandsworth soit légale !
Il n’en a rien été. C’est pour cela que sa détention est arbitraire depuis cette date.
L’audience fantôme du 20 septembre 2019 était donc très importante. Elle a été annoncé puis a eu lieu dans un cafouillage impressionnant en absence des avocats et du prévenu… Alors qu’elle aurait dû, selon les règles du droit, être reporté pour ces raisons…. D’ailleurs, puisqu’aucun mandat d’arrêt n’est valide, Assange sera peut-être libre, le dimanche soir, de sortir de Belmarsh ?
C’est tout à fait possible, puisque c’est la règle du droit – ce que m’a confirmé l’avocat que j’ai consulté peu de temps après mon passage à la Westminster Court ce vendredi 20 septembre 2019.
Il est d’autant plus surprenant que « Defend Wikileaks » ne mentionne pas que l’absence de mandat d’arrêt remis en bonne et due forme à la personne concerné (et il faut des preuves !) rend l’arrestation arbitraire ! Au contraire, ce site de soit disant « soutien » à Julian Assange affirme qu’il est normal de glisser d’une peine d’emprisonnement qui a prit fin le 22 septembre à une détention provisoire sans qu’aucun document ne soit présenté en justice, acte d’accusation, ni mandat d’arrêt ! C’est bien cela qui nous a montré que les « soutiens » officiels ne faisaient pas correctement leur travail[2] !
Dans l’après-midi, je me rends donc au cabinet de maître Gareth Peirce, 14 Inverness Street, situé au cœur du fameux Camden Town, anciennement ouvrier, aujourd’hui totalement boboïsé avec de nombreux cafés et restaurants, magasins de bibelots, galeries d’arts, hostels pour jeunes touristes et salles de concert. Je me rappelle que c’est ici dans le Centre culturel de Camden qu’avaient eu lieu d’importants rassemblements du Forum Social Européen en octobre 2004 dans un quartier parsemé de friches industrielles, pas encore tout à fait transformé. Le cabinet d’avocats Birnberg and Peirce se trouve dans un minuscule bureau niché entre plusieurs restaurants sur une petite place pittoresque pleine de stands de vêtements vintage, de stands de livres d’occasion et de jeunes qui déambulent, boivent des bières et dansent au son d’un concert improvisé d’un orchestre de rue. C’est sympathique.
Voisinage immédiat du cabinet Birnberg and Peirce
Je frappe à la porte du bureau dont la grande baie vitrée jouxte un restaurant, puis je pousse la porte. Devant moi un couloir sombre mène à des bureaux à l’étage de la petite maison. A gauche, une secrétaire est assise dans une petite pièce tapissée d’armoires à dossiers derrière un bureau encombré de papiers. Je dis que je suis venue de France pour le procès de Julian Assange, que je représente une association de défense des droits de l’Homme et que je voudrais rencontrer l’avocate sollicitor de Julian Assange pour lui parler d’un projet de stratégie politique européenne pour sa défense. Il se peut que j’ai mentionné que notre association est issue du mouvement des Gilets Jaunes qui a manifesté à Londres en février et mai son soutien à Julian Assange.
Bureaux Birnberg and Peirce
La femme parait surprise. Elle me dit que Gareth Peirce est certes présente, dans son bureau à l’étage mais qu’elle est occupée. Je lui dis que je reste à Londres quelques jours et que je suis disponible pour un autre jour, je lui laisse mon numéro de téléphone. La secrétaire hésite, me dit qu’elle doit parler à Gareth Peirce et qu’elle me rappellera. Alors, je lui dis qu’en particulier j’aurais aimé avoir des informations sur l’audience qui s’est déroulée ce matin même à la Westminster Court car le nom de Julian Assange figurait bien sur l’ordre du jour des audiences et qu’il a bien été prononcé par le juge. Je vois comme un moment d’effroi sur le visage de la femme. Elle s’écrie « Mais vous ne saviez pas qu’il ne fallait pas venir aujourd’hui ? Ce n’était qu’une audience technique. Sunshine Press ne vous a donc pas prévenu » ? C’est à mon tour d’être surprise. « Mais qui est donc Sunshine Press » ?
La femme me réponds mécaniquement « Toutes les associations de soutien à Julian Assange reçoivent normalement par un mail de Sunshine Presse les directives de ce qu’elles doivent faire. Vous n’avez pas de mail de Sunshine Press » ? Ce n’est certes pas notre style de recevoir des ordres, nous, nous souhaitons élaborer une stratégie politique en toute liberté et coopération, d’autant plus que nous voyons déjà l’absence d’activités des avocats comme dangereuse et inefficace pour Assange.
Je tends alors à la femme notre courrier pour Gareth Peirce « Pouvez-vous lui donner alors cette lettre» ? Par notre lettre nous constatons les multiples violations de droits dont Julian Assange est victime et nous demandons à Gareth Peirce des précisions sur son mandat d’avocat, un document officiel qui doit être signé de la main d’Assange, sur l’état de santé de Julian Assange, quelle preuve elle peut apporter qu’il est encore vivant et ce qui s’est exactement passé lors de l’audience du 13 septembre dernier.
La lettre est offensive mais pas offensante. En l’absence de la moindre conférence de presse de la part des avocats, de toute communication avec les militants, de toute information plus étoffé que les appels larmoyants sur twitter sur le thème « il va mourir, il se meurt » pathétiques et démobilisant, nous avons le droit, étant donné l’appel au secours que vous avons reçu de la part de Julian Assange, d’en savoir plus.
Je demande à la femme de signer qu’elle a bien obtenu mon courrier sur la copie de celui-ci que je lui présente – pour prouver vis-à-vis de ma hiérarchie que j’ai bien fait le boulot, d’amener le courrier à son destinataire Elle refuse, mais me donne une carte de visite de Gareth Peirce qu’elle paraphe.
Je remercie, je sors et je sais déjà qu’elle ne me rappellera pas. Effectivement, Gareth Peirce ne répondra jamais à notre courrier, pas plus que les autres avocats ou « avocats » d’ailleurs.
3. La prison Belmarsh le samedi 21 septembre 2019
Le lendemain, deux collègues de WikiJustice sont arrivés, nous nous rendons donc ensemble à la prison de Belmarsh, commune Thamesmead, station de train Plumstead de Victoria Station ou deux métro et un bus par l’Est de Londres. Il fait beau, le début d’automne est doux et ensoleillé. L’immense complexe en briques derrière de hauts murs en béton est imposant. Cette banlieue peuplée de Caribéens, de Polonais, de Roumains a l’air pauvre, mais il y a de nombreux restaurants et boutiques plutôt conviviales du côté de la station de train. Nous explorons les lieux : le grand terrain vague entre la station, la prison Thameside accolée au tribunal Woolwich devant lequel Assange fut photographié lors des audiences de janvier et févier 2011, puis le parking dans le parc aux grands arbres derrière la grille verte du portail de Belmarsh. Au centre du parking se trouve le Centre Visiteur, petit bâtiment en béton en face de l’entrée de la prison dite Belmarsh.
Devant l’entrée principale de la prison Belmarsh
Je suis un peu étonnée par la propreté et la netteté de l’endroit. J’ai toujours pensé, suivant les lamentables reportages sur les prisons françaises, qu’une prison doit absolument être sale et lugubre. Belmarsh fait peur par sa masse et son mur en béton, mais c’est neuf et propre.
Nous nous dirigeons d’abord vers l’entrée principale. Il n’y a qu’un petit vestibule avec le portique de sécurité et un PC de sécurité plutôt réduit. Des hommes en uniformes de gardiens nous accueillent aimablement. Nous disons que nous avons réservé une visite (je l’ai fait pour le 23 et pour le 26 septembre) et nous donnons le « prisoner number ». L’homme nous oriente vers le Centre Visiteurs nous nous allons.
Je suis toujours surprise par la netteté et l’impeccable propreté des lieux. Nous nous dirigeons directement vers le PC de sécurité ou travaillent les gardiens, après avoir salué les bénévoles de l’association PACT derrière leur bureaux, elles sont chargées de gérer l’accueil des familles. L’ambiance du PC est plutôt détendue, comme un samedi, plutôt désert d’ailleurs. Les gardiens sont blacks et parlent avec un accent caribéen que j’ai du mal à comprendre mais ils et elles sont très compréhensifs.
photo officielle du PACT visitor Center de Belmarsh. La photo est prise du fond de la pièce vers l’entrée qui ici est au fond.
La gardienne devant l’ordinateur ne lève même pas un sourcils quand je lui donne mon passeport, le numéro de prisonnier et le nom de Julian Assange, un détenu comme les autres, écrits sur une feuille. Ses collègues se penchent néanmoins avec elle sur l’écran : « désolé, mais vous n’êtes pas sur la « visitor list » du prisonnier au numéro A9379A ». La « visitor list » ?
Les gardiens nous expliquent que chaque détenu établit à son arrivée une liste de visiteurs qui sont autorisés à entrer le voir, au moins 3 fois par mois 2 heures, d’où les 3 dates et horaires proposés par le site internet « visit a prisoner ». On peut venir jusqu’à 3 personnes, mais toutes les 3 doivent être sur la liste, que le détenu peut faire évoluer à tout moment. Les avocats eux, peuvent entrer à tout moment et ne sont pas soumis à une limitation de temps. Le discours des gardiens contraste fort avec celui des avocats d’Assange qui clament être interdit de visite à leur client depuis voila 4 mois.
Nous demandons s’il y a une hiérarchie dans les visites. Est-ce que les membres de la famille sont privilégiés par rapport aux amis ? L’épouse plus que les parents ? Les enfants ? Doit-on être marié pour être sur la visitor list ? Doit-on prouver une parenté biologique pour être admis ?
Les gardiens paraissent étonnés de ce que nous disons : ils et elles expliquent que le système n’est pas discriminatoire, la famille de sang n’est pas privilégié, une compagne, un ami, un père une mère sont traités de la même manière. C’est le détenu qui décide s’il veut les voir et dans quel ordre, justement par le biais de la fameuse « visitor list ».
Je montre alors le mail de refus qui indique que Julian Paul A. n’est pas « available » à toutes les dates demandés. 5 dates sur 6 ont été annulées ainsi, il ne me reste plus que celle du 2 octobre. Les gardiens sont surpris, ils ne savent pas expliquer cette réponse. Mais selon eux c’est parce que le prisonnier ne m’a pas mise sur sa liste, peut être par ignorance de ses droits.
Ils nous conseillent donc de lui demander de mettre mon nom sur la liste. Cela a l’air très simple. Mais comment communiquer avec le prisonnier, alors que nous n’avons pas l’assurance qu’il reçoit nos lettre, n’ayant reçu qu’une seule réponse à 30 lettres envoyées en 3 mois ?(en faisant la somme des lettres que les membres les plus actifs de WikiJustice dont moi, avons envoyées depuis le mois de mai). Nos interlocuteurs sont bien ennuyés. Ils sont des travailleurs d’ici, ils ont à cœur de respecter et faire respecter les règles. Recevoir du courrier est un droit du citoyen emprisonné. Ils le savent et le disent.
Pour eux, il est impossible qu’une lettre n’arrive pas à destination à Belmarsh. Avez-vous bien indiqué le numéro du prisonnier ?- nous demandent-il. Attention, c’est impératif. Sans lui la lettre vous est renvoyée. Mais aucune de nos lettre ne nous a été renvoyées.
« Alors c’est qu’il les a toutes reçues ». Mais alors pourquoi ne répond-il pas ? Ou juste 3 lignes en 3 mois ? A-t-il de quoi écrire ? Les gardiens sont formels : la prison respecte les droits des détenus, ils ont du papier, des stylos, de l’aide s’ils ont du mal à écrire. Si nous avons bien mis et bien timbrée l’enveloppe du retour, il n’y a pas de raison que Julian Assange ne réponde pas !
A ce stade, je crois que les gardiens ont compris qu’on parle d’un célèbre prisonnier politique. Mais nous continuons à discuter de Julian Assange comme d’une personne ordinaire. Les gardiens jurent leurs grands Dieux que personne n’est privé de courrier ici : toutes les lettres qui comportent le numéro d’écrou lui sont donnés, celles qui ne le comportent pas sont renvoyées à l’expéditeur. Il n’y a pas d’autres solution. Ils ont l’air sincèrement désolés.
Ils nous proposent alors de signaler notre présence et notre besoin de communiquer par un colis. Hélas, le prisonnier n’a droit à des vêtements personnels que s’ils lui sont fournis dans les 28 jours suivants sa mise en détention. Après, il doit les acheter dans le magasin de la prison. La famille peut lui envoyer de l’argent mais uniquement 30 Livres par jour. Je suis scandalisée par ce système de privatisation. Avec 30 livres on ne peut acheter grand-chose, pas une veste chaude ou un manteau par exemple. Assange a été arrêté en avril, est ce que quelqu’un s’est préoccupé de savoir s’il a des vêtements d’hiver ?
Mais on peut lui envoyer des sous-vêtements et des chaussettes, à tout moment. Qu’à cela ne tienne, nous le ferons. Nous vérifions l’adresse de l’envoi, nous demandons s’il y aura un accusé de réception (oui ; toujours nous répondent les gardiens !) et nous acceptons de remplir une « complain », une feuille de réclamation auprès des gentilles bénévoles du PACT puisque nous trouvons que la règle des 28 jours pour obtenir des colis de la famille est abusive et discriminatoire.
L’accueil des gardiens et du personnel du visitor center a été des plus aimables. Nous avons une réponse à toutes nos questions, mais nous ne comprenons toujours pas qui gère la visitor list de Julian Assange, puisque nous sommes convaincus que s’il y avait accès, il accepterait d’autres visiteurs que les seuls Ai Wewei, Pamela Anderson et John Shipton qui lui auraient rendu une visite en 4 mois. Et il nous accepterait puisqu’il nous a envoyé une lettre avec un SOS. Comment lui manifester que nous avons bien reçu son SOS ?
Les gardiens sont par ailleurs impressionnés par notre groupe venue exprès de Paris pour lui. Cela dit, le public des pensionnaires de Belmarsh est à l’image de la classe ouvrière britannique, forcément cosmopolite : Irlandais, Polonais, Pakistanais, Indiens, Roumains, les Africains, Caribéens…. Le fait que des Français rendent visite à un Australien n’est pas complètement hors norme ici.
Nous prenons congé. Avant de quitter les lieux nous échangeons quelques mots avec Ciaron O-Reilly, le militant toujours assis sur un fauteuil de camping, montant la garde dans le petit bois devant la grille de la prison. Une banderole signale sa présence et il voit obligatoirement tous ceux qui franchissent les grilles du parking de la prison. Ciaron s’est toujours présenté comme le meilleur ami de Julian Assange, mais voilà qu’alors que le procès commence, il nous annonce devoir quitter la Grande Bretagne et abandonner son poste pour soigner sa vieille mère malade. D’accord. Mais peut il dire si Assange a reçu des visites pendant l’été ? connait-il John Shipton qui jusqu’alors ne communiquait rien sur son «fils » ? « John Shipton, oui il est venu une fois à Noël, en 2018, à l’ambassade ». Nous ne pouvons que lui dire adieu et souhaiter bon retour en Australie.
Nous passons le reste de la journée à faire les courses dans les boutiques de fringues pour homme de Londres et nous lui choisissons quelques belles pièces de marque. Les chaussettes sont mauves et jaunes, bariolées, selon les photos Assange aime bien les chaussettes rigolotes. Elles sont chaudes aussi, ce qui n’est pas superflu avec le froid qui vient. Une de nos amies militantes vivant en Angleterre est chargée de poster le colis dès lundi.
Mais il n’est pas facile de lui faire parvenir un message via un colis, nous nous doutons qu’un courrier caché dans les vêtements sera immédiatement intercepté. Quelle solution choisir ?
(Quoi qu’en en fut, nous n’avons jamais su si Julian Assange a reçu nos colis et a eu l’occasion de voir et porter nos chaussettes. Le colis n’est jamais arrivé à destination. Il n’y a jamais eu d’accusé de réception. Et le colis ne nous a été jamais renvoyé. Lorsque nous avons effectué notre enquête à la poste un mois plus tard, il semblerait que les colis et lettres stagnent au bureau de poste local et que la prison ne vient pas chercher les envois destinés à Julian Assange. Il apparait comme s’il existait un circuit parallèle au sein même du bureau de Woolwich de la Royal Mail ou les lettres et les colis pour Assange sont remis. La poste ne les renvois par aux expéditeurs puisqu’elle considère avoir fait son travail, avoir livré le destinataire, mais ce n’est pas la prison qui récupère les envois. Qui gère donc ce mystérieux circuit parallèle dont l’existence tendrait à prouver qu’Assange n’est pas à Belmarsh mais dans un autre endroit, une prison secrète ?)
4. L’ambassade
Le lendemain je veux voir la fameuse Ambassade de l’Equateur du 3 rue Hans Crescent pour comprendre comment il est possible que Julian Assange ait pu passer 8 ans enfermé dans cet appartement. Le quartier autour du métro Knightsbridge est effectivement situé en plein centre des beaux quartiers de Londres, entre le Green Park et le Buckingham Palace, Belgravie et Eton Square (le quartier des ambassades) à l’est, le Hyde Park et le Kensington Palace au Nord, et les musées royaux (Natural History Museum, Victoria and Albert Museum…) de South Kensington à l’Ouest. Des immeubles en briques rouges, certaines de 10 étages, d’autres ayant des dimensions de grandes villas, avec charpente en bois façon maisons alsaciennes, sont disposées autour d’une place ronde pourvue d’un jardin, le Hans Place Garden. Tout juste au Nord se trouve le pâté de maisons que nous recherchons.
Hans Crescent Street, vue plongeante sur l’immeuble numéro 3
Je suis surprise de constater que la rue Hans Crescent se présente comme un demi-cercle qui relie le boulevard Sloane Street à la rue Basil Street ou se trouve le grand magasin de luxe Harrods. En fait, ce qui me frappe, c’est à quel point l’immeuble du 3 Hans Crescent Street, haut de 6 étages, est enclavé. Dès qu’on accède à la rue Hans Crescent par Sloane Road, on a une vue directe et plongeante sur le fameux balcon ou Julian Assange officiait pour les discours et les conférences de presse. Hans Crescent Street c’est comme une petite place avec 3 ruelles qui arrivent directement en étoile sur le bâtiment en question. C’est un endroit donc extrêmement facile à bloquer, à cerner. Dès que je vois ce spectacle j’ai compris que c’est un lieu très inhabituel pour des ambassades qui pour des raisons évidentes de sécurité préfèrent des avenues dégagées pour avoir une vue d’ensemble sur ce qui se passe autour d’elles.
Hans Crescent Street, entrée par Sloane Road, demi cercle facile à cerner. A gauche 1 Hans Crescent, au fond 3 Hans Crescent, et derrière à droite se profile le Harrods
Ici, tout le monde voit de loin les appartements diplomatiques de l’Equateur, mais encore on peut facilement les encercler. Les autres ambassades obéissent bien à la règle qui me semble être évidente : elles sont situés dans des villas ou petits immeubles sur des avenues plus vastes avec une vue dégagée. Je me demande comment Julian Assange a pu accepter d’entrer dans un lieu aussi mortel pour lui : alors qu’il devait traverser un océan pour arriver en Equateur, il accepte de se terrer dans un piège pareil ? L’immeuble, le pâté de maison est si facile à piéger que c’en est effrayant. Chaque lieu me semble préférable à ce qui ressemble à un piège mortel.
Le fond de l’impasse Landon Place avec vue l’appartement équatorien et la première sortie de secours de l’appartementdeuxième sortie de secours communiquant avec le basemenet, le storage room sous-sol appartenant aussi à l’Equateur
Puis, en m’approchant de l’immeuble, j’aperçois des détails qui n’ont jamais été filmés ni photographié par tous les médias qui ont tant de fois participé aux mises en scènes des sorties d’Assange sur le balcon : l’appartement du rez-de-chaussée à gauche de l’entrée, celui ou se trouve le balcon avec le drapeau de l’Equateur, donne sur une petite impasse, la Landon Place, qui n’a jamais été filmée. Au fond du bâtiment se trouve un autre bâtiment assez haut, une porte qui ressemble à une sortie de secours signale l’entrée. En face de l’appartement de l’Equateur, il y a une énorme porte béante ! C’est l’entrée de livraison de Harrods ou d’ailleurs circulent quotidiennement des dizaines de camions, juste sous les fenêtres de ce qui devait être le refuge et la prison de Julian Assange !
Je me risque dans le sous-sol du garage Harrods, je croise un agent de sécurité qui m’informe que oui, le sous-terrain est très profond, les camions passent SOUS l’immeuble pour livrer grand magasin à droite du 3 Hans Crescent Street. En fait l’immeuble du fond de l’impasse Landon, auquel est adossé le 3 Hans Crescent Street appartient aussi à Harrods, ce sont ses bureaux.
L’appartement équatorien possède sur la façade de Landon 4 fenêtres. Pas moins de 3 portes (une normale et deux sorties de secours) signalent qu’on peut tranquillement quitter l’appartement par cette impasse sans sortir par la porte d’entrée. Il n’aurait pas été possible pour la police d’encercler longtemps les voies de passages du magasins Harrods sans déranger le travail de livraison.
Impasse Landon Place avec vue au fond sur le bâtiment du Harrods. On voit bien le balcon, la sortie de secours et les 4 fenêtres de l’appartement équatorien. La petite porte au milieu est la sortie de secours du basement de l’appartement
Et dans la confusion quotidienne, je doute qu’il ne soit pas possible de sortir de la « mission diplomatique » par une des sorties de secours – un étrange site accusateur montre narquoisement Greekemmy entrer et sortir par une de ces portes devant une police qui ne gêne pas du tout son manège ![1]
Le facétieux site de « Julian Paul Assange » alias « General Sands »
Je vois bien de mes propres yeux que l’étrange site dit la vérité : l’appartement équatorien possède bien une issue de secours sur l’espace Landon, peut être même deux si un des basement, des locaux à ras le sol, lui appartiennent aussi. (le cadastre prouvera que l’Equateur possède bien un appartement et un local de stockage à ras le sol donnant sur l’impasse Landon). D’ailleurs, devant moi une jeune femme latino-américaine sort d’une des sorties de secours pour fumer une cigarette dans l’impasse sous les fenêtres équatoriennes.
Extraits du site http://julianpaulassange.com/
Ces locaux basement courent sous l’ensemble du bâtiment, une partie s’enfonce au sous-sol et a l’air de communiquer avec des souterrains, métro ou égouts. En tout cas, on voit bien que si la rue est facilement encerclée, de multiples sorties permettent de quitter le bâtiment sans passer par la porte d’entrée principale, surtout si on est tout à fait en accord avec la police posté devant le bâtiment. Quand nous examinons l’immeuble le dimanche 22 septembre 2019, il n’y a pas plus de police que dans une rue normale de Londres.
Mais il n’est pas rare de croiser des pelotons de policiers devant les villas du quartiers des ambassades : Selon la Convention de Vienne, la police du pays d’accueil a le devoir de protéger les locaux diplomatiques. Elle n’a toutefois absolument aucun droit de contrôler les visiteurs d’une ambassades, tout récit de ce genre n’est pas crédible. Le contrôle des visiteurs est toujours effectué par le service de sécurité du pays qui possède l’immunité diplomatique. On fait venir et on paye des hommes qualifiés exprès pour la protection de sa mission diplomatique ou consulaire.
De plus ces services sont toujours internes, ces hommes sont souvent très qualifiés, expérimentés dans ce type de protection, spécialement formés et entrainés. Ils peuvent aussi posséder un passeport diplomatique car ils font partie du personnel de la mission.
L’idée qu’un Etat puisse embaucher une douteuse entreprise de sécurité privée dont le siège est dans un pays étranger, et dont les salariés ont des contacts quotidiens avec une puissance étrangère ennemie et laisser cette entreprise faire ce qu’elle veut dans ses locaux n’est pas imaginable dans l’authentique monde de la diplomatie à l’ancienne (celle que j’ai connu avec mes parents et ma famille dans un pays de taille moyenne, la Pologne…). En clair, j’ai de grands doutes que les services de Rafaël Correa aient pu embaucher UC Global pour contrôler les entrées et sorties de leurs mission diplomatique et ne pas s’apercevoir que ces hommes au passé de mercenaires abusaient de leur pouvoir et installaient des caméra à l’intérieur de la mission pour un espionnage très spécial ! Rafaël Correa n’avait il pas de services secrets pour le mettre en garde ? Ses diplomates ne connaissaient pas ou se moquaient des règles de sécurité évidente dans le milieu diplomatique ? Que valaient donc ces diplomates et que valaient donc la présidence de Correa, capable de mettre à ce point, au-delà de la question de l’asile politique d’Assange, les propres locaux de son ambassade et ses propres salariés en grand danger ?
Ambassade de Colombie mitoyenne de celle de l’Equateur
Mais le pire dans l’histoire fut de voir que sur le même palier, mitoyenne de l’appartement de l’Equateur, se trouve l’ambassade de la Colombie ! C’est même comme une mission jumelle : elle est en face de l’Equateur sur le même palier du rez-de-chaussée, mêmes fenêtre donnant coté Basil Street, même balcon, même drapeau presque…. On pourrait les confondre…. Mais les médias n’ont jamais montré l’ambassade de Colombie à 20 mètres du local équatorien ! Ils ont toujours soigneusement découpé leur prise de vue, si bien que le public est convaincu que seul l’Equateur possède un local dans cet immeuble. Les deux pays partagent donc le même immeuble la même cage d’escalier, l’ascenseur, et le même agent de sécurité qui se lève quand il me voit m’approcher de la porte d’entrée ! En fait, je photographiais l’interphone avec ses inscription « Embassy of Colombia à gauche » et Embassy of Ecuador à droite » !
l’entrée de l’immeuble – a gauche l’Equateur; à droite la Colombie
La Colombie, pays ennemi de la gauche latino-américaine, agent des Etats Unis, est voisine de l’Equateur de Correa ici, avec la proie idéale, Julian Assange, enfermée juste à 3 mètres de leur ambassade ! Je frémis en le constatant ! Ce genre d’imprudence inouïe me laisse sans voix. Jamais aucun pays de l’Est n’aurait accepté de loger sa mission dans un local mitoyen de ses pires ennemis, jamais la Pologne Populaire, ni l’URSS, mais jamais non plus la France capitaliste. Il y va de la sécurité du pays, à cause des risques évidents d’espionnage mais aussi parce que cette proximité va générer des incidents qui peuvent mener à des tensions diplomatiques et servir de prétexte pour déclencher une guerre !
Le balcon de l’ambassade de la ColombieL’ambassade de la Colombie donne sur le 3 Hans Crescent et sur le côté sur la Basil Street, en face le Harrods
Je contemple ce spectacle inédit de l’imprudence incroyable et coupable de l’Equateur maintenant Assange pendant 8 ans à deux doigts de ses pires ennemis, et j’ose espérer que peut être la Colombie s’y est installée récemment. Nous continuons Basil Street et nous trouvons une pizzeria un peu m’as tu vu à l’angle de la rue en face du Harrods . Nous nous attablons au bar devant un serveur qui est réellement napolitain, accent, bijoux et tatouages faisant foi. Il nous sert nos drinks et sourie narquoisement. Non l’ambassade de Colombie se trouve ici depuis très longtemps (le cadastre prouvera que c’est vrai). Et en ce qui concerne l’Equateur « on n’a jamais vu d’Equatoriens ici. Que des Colombiens ». Il travaille ici depuis 3 ans et il est formel.
A la Pizzeria de luxe en face du Harrods
Ma pensée chemine rapidement. Je comprends que tout dans cette place a l’air d’une mise en scène. Il est très facile de fermer la rue des deux côtés, de poster quelques policiers ou « policiers » devant l’immeuble, de filmer quelques personnes avec 3 pancartes devant le balcon pour faire foule. Une mendiante roumaine fait inlassablement le tour du Harrods en demandant l’argent. Celle-là, elle en sait des choses sur ce qui se passe dans le quartier… qui vient, qui rentre, qui fait quoi… Elle est peut – être là pour ça. Ca doit rapporter, mendiant sous le Harrods… Le 18 octobre je l’aborderai. Elle est de Suceava, pas la région la plus pauvre de Roumanie. Puis je ne la reverrai plus.
Une des entrée du Harrods, en face de la pizzeria
Là ou ce n’est pas crédible, l’encerclement de l’ambassade de l’Equateur par la police londonienne, c’est que du même coup ils auraient dû contrôler les allées et venues vers la Colombie mitoyenne. Aucun n’Etat n’accepterait un tel bris de la Convention de Vienne ! Et puis il aurait fallu que la police contrôle aussi… les riches résidents du luxueux immeuble qui rentrent chez eux ! Illégal et impensable ! Quel copropriété accepterait cela sans tout faire pour chasser les trouble-fêtes ! Jamais Assange n’aurait pu rester cloîtré ici 8 ans ! Ca ne fonctionne pas ! Qui aurait toléré un barouf pareil sous ses fenêtres, et à fortiori quand vous êtes propriétaire d’un appartement en face du Harrods à Londres qui a coûté 1 million de livres au moins !
La rue Hans Crescent à partir de Basil Street et du balcon colombien – on voit bien comment on peut facilement cerner les lieux
D’ailleurs, aucun ambassadeur digne de ce nom n’accepterait de travailler dans des locaux aussi exigus et exposés que l’appartement équatorien du 3 Hands Crescent Street, composé d’un petit salon donnant directement sur la rue au rez-de-chaussée et de quelques petites pièces pourvues de 4 fenêtres donnant sur une impasse sombre. Un ambassadeur, un premier secrétaire, un attaché politique ou militaire sont en danger s’ils peuvent être vus de la rue ou des immeubles environnant, à fortiori s’ils côtoient tous les jours les membres de la mission diplomatique de leur voisin ennemi… C’est bien pour cette raison qu’une résidence d’ambassadeur est soumise à des normes particulières de sécurité, tout comme son bureau. Lui et son équipe doivent être protégé un maximum. Quand on achète ou loue un local pour une mission diplomatique, on le choisit de préférence éloignés des voisins, derrière un haut mur, ou dans un endroit dégagé pour pouvoir mieux surveiller les alentours. La sécurité d’une mission diplomatique est tout un métier que personne ne confie à des amateurs, les pays d’accueil risquant de se trouver sur la sellette si un attentat ou un crime est commis dans les locaux dont ils sont garants.
Vue sur les immeubles en face du 3 Hans Crescent StreetVue sur la totalité de l’appartement équatorien avec au fond l’impasse
La seule explication qui vaille est que cet appartement est certes la propriété de l’Equateur, mais il n’abrite pas les bureaux de l’ambassade et les diplomates n’y travaillent pas. D’ailleurs, il ressemble plutôt à un local d’archives et de stockage. Très probablement ce sont des employés subalternes mais indispensables qui y travaillent ou même y sont logés : chiffreur, chauffeur, sécurité, peut être le 2ème consul, souvent responsable des questions de sécurité… J’ai connu dans mon enfance ce genre d’appartement, à la fois situé dans de beaux quartiers, mais plutôt modestes et fonctionnels à l’intérieur. Il n’est pas rare que ces employés pourvus du passeport diplomatique logent dans un appartement situé au-dessus de leur bureau, comme c’était fréquemment le cas pour la Pologne Populaire mais aussi pour la France, surtout lorsque leur travail contient de longs moment d’astreinte de nuit et de jour et qu’ils doivent être en permanence à disposition du chef de la mission.
Belle vue sur la Colombie côté Basil Street et sur la ruelle de Hans CrescentL’appartement 3 est celui ou siège la Colombie. A l’inverse de tous les usages diplomatiques, l’ambassade de Colombie se trouve dans un appartement dont le propriétaire est une entreprise immatriculée dans un paradis fiscal, les Iles Vierges
Cela expliquerait alors le vide des locaux montrés dans les vidéos dites « fuités » de « l’ambassade » – on n’y voit jamais aucun dossier, aucun document, aucun va et vient de salariés, mais juste un Assange assis devant une table de salle à manger vide devant une bibliothèque quelconque, devant des affiches publicitaires convenues représentant le pays. Exactement le décor de bureaux, soit subalternes d’une mission, soit vidés après déménagement dans d’autres lieux. Cela explique aussi la présence d’une petite cuisine et d’une petite salle de bains, nécessaire aux employés soumis aux astreintes de nuit.
Cadastre de l’appartement 3B propriété de l’Etat de l’EquateurCadastre entier de l’appartement 3B de l’Equateur – le premier étage et l’usage du storage room au sous-sol est spécifié
A mon avis, Julian Assange n’a pas vraiment vécu dans cet appartement pendant 8 ans. Il y a passé peut-être quelques mois, on lui a peut-être fait croire que pour les besoins de la cause, il fallait cette mise en scène dramatique du prétendu encerclement d’une « ambassade ». En réalité, l’Equateur négociait tout le temps sa sortie avec le Royaume Uni, la Suède et les Etats Unis, ce qui est logique. Le reste du temps il pouvait sortir par les issus de secours comme Greekemmy le montrait sur la video narquoise du « General Sands ». Ou se trouvait-il alors ? A Ellingham Hall ? Chez Tracy et David Sommerset dans le château de Badminton ? Dans le château d’une autre bienfaitrice aristocratique du projet « Wikileaks », Helena Kennedy of the Shaws ?
Cela ne veut pas dire qu’il fut libre et heureux, loin de là. Plutôt un captif de luxe, un otage sous contrôle comme souvent il y en a eu dans les cercles de l’aristocratie britannique… La dernière en date ayant été Alice von Darmstadt Hesse, épouse Battenberg, la grand-mère de l’actuel héritier du trône de l’Empire britannique.
J’aurais aimé savoir si Julian Assange a pu sortir de Belmarsh ce soir, puisqu’il a purgé sa peine. Mais il est trop tard ce soir pour retourner en banlieue.
Le lundi 23 septembre 2019, nous nous déplaçons à la prison de Wandsworth pour vérifier si Julian Assange n’y a pas été transféré car nos avocats polonais nous ont certifié que c’est le centre de détention où se trouvent les hommes en attente d’extradition. Pour nos avocats, il est impossible qu’Assange se trouve à Belmarsh une fois sa peine fini le dimanche 22 au soir. Il doit obligatoirement être transféré à Wandsworth. C’est d’ailleurs là qu’il a été détenu le 10 décembre 2010 après l’émission du Mandat d’Arrêt Européen et c’est cet établissement qui a établi ce numéro d’écrou dont nous nous servons aujourd’hui. Je soupçonne aussi la vidéo « fuitée » de juin d’avoir été tournée plutôt à Wandsworth dans une salle commune d’un lieu certes fermé, comme un hôpital psychiatrique ou un centre de rétention, mais certainement pas une prison « de haute sécurité ».
Mes pressentiments sont plutôt corrects, car Wandsworth est une sympathique banlieue résidentielle victorienne. La prison se trouve dans le centre-ville, dans un beau parc, entourée de petites villas. Elle se présente comme une sorte de château néogothique dont la porte d’entrée donne directement dans la rue, et en face d’un jardin d’enfants ! Ce n’est donc pas un lieu ou on enfermerait des criminels dangereux, plutôt un centre de rétention pour étrangers comme hélas il y a tant en Europe, et encore, il est de plutôt bonne facture. Nous entrons directement dans l’entrée ou nous sommes accueillis par un homme âgé qui ressemble plus à un concierge qu’à un gardien de prison.
« Legal visit ? » me demande-t-il au vu de mon allure d’avocate en tailleur bleu marine. Je souris. Non, je suis une proche d’un prisonnier dont la peine est fini depuis hier, mais il est soumis à une procédure d’extradition. Je ne sais pas où il se trouve, Belmarsh m’ayant dit qu’il a été transféré ici. L’homme est désolé. Il peut vérifier le numéro et il le saura ce qu’il est, mais il n’a hélas pas le droit de nous le dire. Nous discutons, l’homme est d’accord pour vérifier. Nous ne donnons pas le nom d’Assange, d’ailleurs il ne nous le demande pas. L’ambiance est plutôt celle d’un centre social, d’un hébergement d’urgence pour SDF, qu’une prison.
D’ailleurs, quelques minutes plus tard, mon collègue va prendre des photos de la bâtisse en discutant architecture victorienne avec ce gardien et ils vont tous les deux fumer une cigarette devant l’entrée.
Entre temps, le gardien nous propose de téléphoner à l’aumônier. Car le secret est le suivant : il faut certes réserver à l’avance une visite effectué à un proche, mais on peut néanmoins essayer d’arracher un droit de visite impromptu tous les jours auprès de l’aumônier… Preuve s’il en est, que Wandsworth n’est pas une vraie prison. Nous téléphonons immédiatement à l’aumônier et nous lui disons le nom de notre proche. L’aumônier nous répond qu’il peut vérifier si ce transfert a eu lieu, et que si nous voulons essayer d’obtenir une visite, il faut venir à 7h30 tôt le matin. C’est très intéressant. Nous devons le rappeler plus tard pour connaitre les résultats de sa démarche.
Nous attendons donc dehors, le temps est radieux, les arbres arborent des parures dorées, il fait très doux et la charmante petite ville respire la tranquillité et un bonheur paisible. Cela contraste avec l’existence de cette prison ou le prolétariat migrant attend son sort dans l’impuissance, mais comme il n’y a ni police armée, ni ambiance tendue et violente, on aurait pu oublier la vocation répressive du château devant lequel nous nous trouvons.
D’ailleurs, j’aborde un jeune Polonais, vêtu d’un tee-shirt ornée de l’aigle blanc avec sa couronne d’or souligné d’un « Dumny ze jestem Polakieme (« Fier d’être Polonais ») en lettres rouges. Il attend un pote qui doit sortir après le paiement de sa caution et suite à libération provisoire décidé le vendredi dernier à la Westminster Court. Je dis au jeune homme que nous avons dû nous croiser au tribunal puisque j’y étais le matin et j’ai remarqué les noms polonais sur la liste. En bon migrants polonais, nous discutons des mérites comparatifs de nos pays d’accueil respectifs. Mieux vaut-il émigrer en France ou en Angleterre ? Le jeune est formel : l’Angleterre est très bien, on vit correctement, on a du travail, on peut amener sa famille et les enfants sont facilement scolarisés. Ce ne sont pas les Anglais qui harcèlent les migrants polonais de Mandats d’Arrêt Européens, c’est bien les autorités polonaises. La preuve, son pote subit après 12 ans de séjour sans nuage sur les iles britanniques une vieille action en justice suite à une banale bagarre de bistrot dans son village… Si on veut pourrir la vie de quelqu’un, on fait un mandat d’arrêt européen. Je ne peux qu’approuver pensant à ce que j’ai subi en Grèce.
Mais heureusement, les Anglais accordent facilement une libération sous caution, le fameux « bail », pour peu qu’on ait une adresse et un emploi. D’ailleurs, son avocate s’est battue vendredi à la Westminster Court et a obtenu une libération et une comparution libre dans quelques mois pour juste une caution de 2000 livres, le tout pour des honoraires de 600 livres. Ce n’est pas cher payé, le jeune homme me vante les mérites de son avocate et me donne ses coordonnées. En échange, je lui raconte ce que je faisais à la Westminster vendredi. Il compatit que « mon homme » soit menacé d’extradition aux Etats Unis car c’est bien connu que là-bas c’est un enfer. Il me recommande encore son avocate qui est forcément meilleure que « les miens » qui ne sont même pas venus à l’audience !
Le jeune Polonais confirme ce que nous a dit l’aumônier, mais pour le transfert il nous conseille d’aller au Vistor Center qui se trouve à deux pas du château. Le Vistor Center ressemble à un petit centre social de quartier et il est aussi géré par l’association PACT. Les dames du PACT sont aussi gentilles et serviables que celles de Belmarsh. Elles sont formelles : personne n’a été transféré la veille de Belmarsh à Wandsworth. C’est effectivement un processus normal de sortir d’une vraie prison ou on purge une peine pour aller vers un simple centre de rétention en attente d’extradition.
La principale accueillante nous certifie qu’elle ne peut pas en savoir plus sur la voie juridique. C’est au avocats de faire une demande officielle pour savoir si le transfert a lieu. Et naturellement, nous bénéficierons d’un droit de visite si nous sommes sur sa « visitor list ». (encore elle !), Ce qui sûr, par contre, est qu’il gardera le même numéro sous lequel nous pouvons écrire et envoyer les colis. D’ailleurs, le colis chaussettes-sous-vêtements que nous avons préparé, nous pouvons le déposer dans une grande boîte prévu à cet effet. Ce sont les dames du PACT qui se chargent elles-mêmes de distribuer les colis et elles s’efforcent de le faire le plus vite possible. S’il n’est pas là, le colis et les lettres seront directement envoyés par le centre de Wandsworth là ou notre proche se trouvera.
Nous donnons à la fin incidemment le nom de Julian Assange, mais nos interlocutrices ne changent pas d’attitude, ce nom ne leur évoque visiblement aucune célébrité. Dans les prisons londoniennes, personne n’a l’air de savoir qui est Julian Assange.
Nous laissons notre paquet dans la grand boîte pleine de colis. Il nous sera renvoyé dès la semaine suivante. Visiblement, notre colis n’a pas suivi Assange dans une autre prison, ni à Belmarsh ni ailleurs, contrairement à ce que stipule le règlement des prisons. La question « ou est Assange » se pose avec de plus en plus d’acuité. Avec ces actions, j’ai acquis la certitude qu’il ne peut pas être à Belmarsh.
Nous arrivons à joindre l’aumônier une heure plus tard mais il est plus évasif que la première fois. Il ne peut que nous certifier qu’aucun transfert n’a été effectué hier soir. Il ne sait rien de notre prisonnier dont le nom n’est pas prononcé alors que nous lui avons donné le numéro d’écrou. L’aumônier a cependant accès aux identités des détenus puisqu’il a le droit de leur organiser des visites informelles… Il ne nous propose pas de revenir à 7 heures du matin pour tenter notre chance. Devant sa réticence et la nécessité de rentrer en France, nous n’insistons pas.
6. Les Avocats
Nous revenons rapidement dans le centre de Londres car il ne nous reste plus qu’une après-midi pour remettre nos courriers aux avocats « barrister ». Nous commençons par Doughty Street Chambers, le cabinet d’avocat de Geoffrey Robertson et de sa protégée Jennifer Robinson[1]. Il se trouve dans un ensemble de charmantes petites maisons anciennes 54 Doughty Street dans le quartier des avocats Holborn. Nous faisons le tour de la petite place en cherchant l’entrée principale. Derrière la porte à l’ancienne, le décor est luxueux et épuré, digne de ce riche établissement spécialisé dans le droit des affaires des multinationales anglo-saxonnes. A l’accueil, nous demandons un rendez-vous avec Jennifer Robinson. L’hôtesse nous répond que Jennifer Robinson se trouve encore pour deux semaines à New York.
Nous sommes surpris : elle doit préparer la plus importante audience d’extradition d’un prisonnier politique européen qui se tiendra dans moins de 3 semaines et elle se promène encore à New York !…Il lui restera une semaine pour préparer le 11 octobre. Comment croire que cette personne peut être crédible ? Alors, nous présentons WikiJustice Julian Assange comme une association française qui s’est constituée pour être partie civile dans sa défense. Nous voudrions voir Jennifer Robinson pour discuter d’une stratégie commune. Comme elle est absente, est-ce qu’il n’y a pas quelqu’un qui la remplace ? N’a-t-elle pas un/e assistante ? La jeune hôtesse d’accueil est sincèrement perplexe. Elle nous affirme que personne d’autre à Doughty ne s’occupe du cas de Julian Assange (il n’est donc pas question de la célèbre Amal Clooney ni de Geoffroy Robertson, le patron…).
Elle nous propose de déposer un message. C’est parfait, nous avons justement un épais courrier pour Jennifer Robinson, bien argumenté, dans lequel nous lui demandons des informations sur son mandat et sur l’audience du 13 janvier et nous partageons notre inquiétude sur l’absence de preuve de vie de Julian Assange et sur son état de santé.
Nous nous asseyons sur un canapé dans la salle d’attente pour remplir une fiche de demande de rendez-vous et nous y restons un quart d’heure. De retour au bureau d’accueil, nous essayons d’en savoir plus. Est-ce que Liam Walker, qui apparait dans le jugement du 2 mai 2019 remplace Jennifer Robinson ? La gentille employée commence par nous répondre, oui il est son assistant, mais voila que sort de nulle part un autre employé, un jeune homme aux méthodes bien plus expéditives qui l’air d’être le supérieur hiérarchique de notre hôtesse.
Il est sec et nous fait comprendre que nous n’obtiendrons aucune autre information. Nous devons laisser nos documents et partir. Nous sommes surpris mais évidemment je n’insiste que pour une confirmation de dépôt de notre courrier. « Moi aussi je dois justifier auprès de ma hiérarchie que j’ai bien amené le courrier à bon port », ce sont mes arguments. Le garçon refuse de signer la feuille que j’ai préparée, mais signe une carte de visite. C’est déjà cela, mais leur réticence nous parait très louche. Pourquoi refuser de rencontrer une association qui vient de loin pour les aider ? Et si nous apportons des informations capitales pour leur dossier ? Un avocat normal ne refuse jamais ce genre de soutien, et s’il ne peut être personnellement présent, il ou elle a normalement un secrétariat. Ici, on a l’impression que Jennifer Robinson n’est jamais là et qu’aucun/e secrétaire ne travaille pour elle.
Nous n’avons jamais obtenu la moindre réponse de la part de Jennifer Robinson. Au fil du temps, cela a cessé de nous étonner.
Notre dernier objectif est le bureau du cabinet Matrix Chambers ou officie Mark Summers, le barrister de Julian Assange qui apparait aux côtés de Jennifer Robinson.
Matrix Chambers est un cabinet d’avocats encore plus grand et célèbre que Doughty Street, spécialisé dans de complexes affaires internationales, avec des sièges Genève et Bruxelles. Nous apprendrons plus tard que comme les autres cabinets d’avocats, ceux de Matrix Chambers peuvent représenter les intérêts de ceux qui sont leurs adversaires au même moment dans une autre affaire. Ils peuvent être des avocats d’accusation tout comme des avocats de défense. C’est ainsi que Mark Summers a défendu des intérêts américains en contradiction avec les intérêts de son client Julian Assange, mais cela ne gêne personne ici[2].
Nous avons un peu de mal à trouver le Griffin Building au sein du complexe Grays’Inn, pourtant à quelques rues de Holborn, à Chancery Lane[3]. Nous comprenons enfin que Matrix Chambers se trouve dans un bâtiment historique au cœur du système juridique anglais. En effet Gray’s Inn est l’une des 4 associations historiques de juristes qui ont fait la Common Law depuis le 12ème siècle. Gray’s Inn est tout un quartier d’immeubles du 18 siècles entourant un joli jardin avec au milieu une chapelle du Moyen Age. Nous comprenons que Matrix Chambers est situé au cœur du pouvoir politique anglais lorsque nous cherchons ses bureaux dans le dédale des maisons occupés par ses collègues et concurrents, tout près de la London School of Economics, de Goldman Saschs International, du Kings College, de la Bank Centrale d’Angleterre Fleet Street, et naturellement des Royal Court of Justice et de la City of London Corporation.
Nous finissons par arriver au premier étage d’un bureau au design épuré. L’hôtesse d’accueil nous répond comme pour Jennifer Robinson que Mark Summers n’est pas là et ne peut nous recevoir. Mais alors nous racontons notre histoire d’association française de défense des droits de l’homme qui a l’intention d’organiser une action en faveur de Julian Assange et voudrait en faire part à son avocat. L’hôtesse est impressionnée et appelle une secrétaire. Une jeune femme brune nous reçoit donc dans une salle de réunion et nous pose quelques questions. Nous n’hésitons pas et nous déclarons que le public français manque d’informations fiables sur la procédure à laquelle Julian Assange est soumis et notamment sur les dates exactes des prochaines audiences.
Nous sortons aussi notre courrier et notre confirmation de reçu préparée. La secrétaire parait effrayée de devoir signer quelque chose. Elle nous répète cinq fois qu’elle ne peut rien pour nous, qu’elle ne peut rien dire, mais nous restons très polis et très opiniâtres. Elle finit par jeter l’éponge et sort en disant qu’elle va chercher le manager.
Nous attendons bien dix minutes dans la salle à la grande table en verre sur une moquette beige et aux baies vitrés modernes donnant sur l’antique jardin intérieur de Gray’s Inn. Il pleut dehors, mais nous sommes contents car enfin quelqu’un va nous parler sérieusement de l’affaire Julia Assange. C’est une première victoire.
L’homme qui entre dans la pièce parait très surpris de voir des étrangers s’occuper du dossier de Julian Assange. Il a la soixantaine et arbore un look plutôt baba cool qui tranche avec l’austérité des tailleurs et costumes de ces lieux. Il porte un pull bleu ciel, une chemise jaune et rose et un pantalon clair, des baskets, une petite barbe rousse. Il s’assied et se présente : Paul Venables, senior practice manager de Matrix Chambers. A son attitude nous comprenons que lui il SAIT.
Alors, nous lui racontons notre histoire – les voyages des Gilets Jaunes à Londres, l’intérêt des Français pour Assange, l’inquiétude des militants polonais de gauche qui craignent que son extradition aux Etats Unis ne devienne une jurisprudence qui nous mènera à une répression accrue des mouvements d’opposition aux bases américaines en Europe.
Nous lui parlons de politique donc, puis nous lui parlons de droit. Nous sommes d’accord qu’Assange est un prisonnier d’opinion. Il faut donc organiser une campagne politique qui doit s’appuyer sur une connaissance précise du dossier par les militants. Or, les avocats de Julian Assange ne nous informent quasiment pas. Nous n’avons jamais obtenu de réponse à nos mails et nous avons appris l’existence de l’audience du 13 septembre par la presse. En fait, nous ne savons même pas exactement QUI sont les avocats de Julian Assange. Ils n’organisent jamais de conférence de presse alors que les informations des médias sont confuses et contradictoires. Les différence entre les systèmes juridiques britannique et européen rajoute encore aux difficultés de compréhension de la situation.
Cela ne peut plus durer.
L’homme est très visiblement mal à l’aise de devoir répondre à des intrus non prévus au programme. Il nous répond donc succinctement tout en restant très poli. Oui, c’est bien Gareth Peirce qui est la « sollicitor » de Julian Assange, elle va donc plaider à la Westminster Magistrate Court, secondée par Alaistar Lyon. Il prend une carte de visite et nous écrit les noms et numéros de téléphone. Mais après ce sont les « Queens Councel », c’est-à-dire les senior barrister qui prendront en charge le dossier – Mark Summers et mais aussi bientôt Edward Fitzgerald. Nous avons enfin une information à l’avance ! Jennifer Robinson est clairement mise de côté dans le discours de Paul Venables, nous ne savons pas pourquoi. Pourtant c’est bien elle qui met en avant son storytelling dans les médias.
Nous sommes inquiets car nous avons l’impression que la stratégie qui se dessine est celle de perdre à la Westminster Court pour pouvoir gagner en appel. Nous la trouvons suicidaire.
Cependant, nous n’abordons pas ce point mais faisons part à Paul Venables de l’inquiétude des militants français au sujet à la santé de Julian Assange que personne n’a vu depuis le 14 juin. Ou se trouve-t-il donc, alors qu’il a fini de purger la peine pour avoir rompu le «bail » ? A Belmarsh ou légalement il ne peut plus être détenu ou a-t-il été transféré à Wandsworth où se trouvent les prévenus en attente d’extradition, ou bien ailleurs ?
Le visage de Paul Venables se fige. Il est de plus en plus mal à l’aise.
Alors, je sors mon joker : l’audience du vendredi 20 septembre. Je dis que j’y étais et que j’étais surprise de ne voir aucun défenseur, alors que le nom de Julian Assange était bien affiché sur le document de la Westminster Court et que l’audience a bien eu lieu, même si elle fut courte et sans la présence de l’accusé.
Notre interlocuteur sursaute. Il ne s’attendait clairement pas à nous voir débarquer au tribunal. Et nous nous sommes surpris par son attitude. Qu’est ce que c’est que cette audience fantôme ? Pourquoi est-il si inconcevable que nous puissions pousser la porte du tribunal Westminster Magistrate et pendre place sur les sièges du public ?
Après un moment de silence, Paul Venables me renvoie à Gareth Peirce concernant cette audience. Je souris. C’est fait, elle a déjà reçu notre courrier. Je lui tends la lettre similaire pour Mark Summers et je le prie de signer une confirmation de reçu, toujours « comme preuve de mon travail pour ma hiérarchie ».
L’entretien est clôt. Paul Venables ne nous a pas menti sur Edward Fitzgerald qui supplantera les autres figures en janvier 2020. Mark Summers, pas plus que Gareth Peirce ni Jennifer Robinson ne répondra jamais à notre courrier, pas même par un accusé de réception.
Nous finissons notre séjour au Frontline Club dans le quartier de Paddington, ce club restaurant qui fut le Quartier Général d’Assange de juillet 2010 à juin 2012.
C’est la première fois que je vois en vrai le décor des vidéos-conférences de Julian Assange et je suis surprise. Autant le quartier est sympathique et animé avec ses hôtels, ses petites maisons et ses restaurants, autant l’établissement n’est pas du tout chaleureux. Sur les photos et vidéos le spectateur a l’impression que le restaurant est très lumineux avec de grandes baies vitrées. En réalité, le décor est froid, noir et blanc sur un fond de briques rouges polies et l’ambiance feutrée et sombre. Tous les convives du restaurants portent un costume-cravate et il n’y a que des groupes d’hommes, du genre after de business men. Les photos de guerres suspendues aux murs paraissent dans cette ambiance de fort mauvais goût. Comment peut on savourer son verre de vin et sa carte de fin mets bios assez cher devant les images de pauvres hères se faisant tirer dessus par des snipers ou des militaires impérialistes ?
La responsable de salle est une très belle jeune femme brune que je devine Yougoslave, l’ayant entendu parler serbo-croate avec les serveurs. Nous nous renseignons auprès d’elle sur la conférence du jour au Club. Elle nous dit que c’est complet pour aujourd’hui dans la salle au dernier étage mais elle nous imprime le programme du mois. Ce soir c’était un film de Karen Stokkendal Poulsen, la compagne de Kevin Poulsen, un des hackers qui aurait dénoncé Chelsea Manning aux autorités américaines. Karen Poulsen a aussi réalisé un film sur le rôle de Wikileaks dans les scandales de l’élites pro-américaines de l’Etat mafieux du Kosovo, ces hommes de l’UCK que la CIA et le BND ont armé pour détruire la Yougoslavie dans une guerre abominable[4]. C’est étonnant de retrouver ici des gens qui ont trahi les idéaux de Julian Assange dans les lieux où il est censé être soutenu et protégé…
La responsable de salle me demande pourquoi je m’intéresse au Frontline Club. Je réponds que je suis touchée par les images de la guerre en Yougoslavie car je suis Polonaise et j’ai vécu de près cette tragédie qui a détruit toute l’Europe de l’Est. Les images de cette guerre sont devenues rares car elle a eu lieu juste avant internet et nous n’avions pas à l’époque les moyens d’enregistrer les images issues de la télévision. Je suis émue de retrouver la question de la Yougoslavie ici au Frontline Club. La Yougoslavie, c’est un peu le cœur de métier de la Frontline Club Charity Trust qui dirige les lieux.
Mais cela je l’explorerai plus tard. Ce soir du 23 septembre 2019 mon séjour à Londres est fini et je dois rentrer à Paris.
Le 25 septembre 2019 nous assistons dans le grand amphi de la Sorbonne à une conférence organisée par une association d’étudiants en Sciences Politique. Celui qui fut le dernier ministre des affaires étrangères, possédant aussi la nationalité française et britannique et né à Créteil, nous a laissé sur notre faim en qui concerne sa présentation de la situation de Julian Assange. Nous lui avons donc posé les même question qu’à ses avocats. Est-il vivant ? Ou se trouve-t-il ? Belmarsh, Wandsworth ? Pourquoi aucun avocat ne s’est présenté à l’audience du 20 septembre ? Pourquoi aucune stratégie militante européenne n’est mise en place ?
Nous avons aussi posé la question de la sécurité de Julian Assange dans « l’ambassade » de l’Equateur étant donné la présence des diplomates colombiens directement sur le même palier de l’immeuble. Le long séjour dans les locaux de la mission n’a visiblement pas été profitable à Julian Assange puisqu’il finit si mal alors qu’il aurait fallu lutter pour démontrer le vide de l’accusation dans le dossier suédois.
Guillaume Long a été contraint d’admettre que « l’Equateur a toujours respecté les procédures de la Suède » et donc « a continuellement négocié » avec la Grande Bretagne et la Suède en ce qui concerne Julian Assange.
Celui-ci a-t-il fait les frais de ces négociations ? Les graves erreurs de l’équipe de Rafaël Correa, comme l’utilisation de UG Global, ne peuvent être masquées plus longtemps par l’action musclé du « méchant » Moreno.
En tout cas, l’Equateur n’est pas un soutien solide pour Julian Assange, quels que soient ses dirigeants. Il est temps que d’autres, des militants européens prennent la relève.
Débat à la Librairie Tropiques le 3 octobre 2019
WikiJustice Julian Assange a participé au débat organisé le 3 octobre 2019 par la Librairie Tropiques autour du livre de Aymeric Monville « Julian Assange en danger de mort[1]». Aymeric Monville est un militant marxiste, éditeur et responsable des éditions Delga. Il est aussi l’éditeur de mon livre sur la Pologne Populaire et mes combats militants.
Je devais effectuer lors de cette rencontre un compte rendu public de mon séjour à Londres et de l’audience du 20 septembre, mais l’attentat à la Préfecture et le blocage des transports en commun qui s’en est suivi à Paris m’a empêché d’arriver à temps. Véronique Pidancet Barrière, présidente de WikiJustice, a expliqué nos doutes concernant la stratégie des avocats et les questions que nous nous posions sur la situation réelle de Julian Assange, étant donné le silence fait autour de lui pendant l’été et la lettre SOS désespérée que nous avions reçue.
Je pus néanmoins participer au débat final et je suis frappée par la véhémente défense de la stratégie des avocats d’Assange par une des participantes du public. J’appris à la fin qu’il s’agissait de Madame Chantal Peschoux, compagne de Christophe Peschoux, le responsable de l’enquête qui a mené au Ruling du Groupe de Travail sur la Détention Arbitraire du Haut-Commissariat des Nations Unis pour les Droits de l’Homme exigeant la libération d’Assange en février 2016. Une décision de haute importance signé des Nations Unis mais restée lettre morte, également parce que les avocats de Julian Assange ne s’en s’en sont jamais saisi jamais et ne s’appuie jamais sur elle dans leur discours de défense.
C’est moi-même qui avais alerté, dès le 15 août dernier, Christophe Peschoux sur le SOS que nous avions reçu de Julian Assange car je croyais qu’il nous aiderait comme il s’était engagé à aider à lutter pour une enquête internationale pour faire la justice aux assassinés du 2 mai 2014 à Odessa. Au cœur de l’été, je n’avais pas obtenu de réponse, mais maintenant, deux audiences et deux mois plus tard, alors que la lettre SOS a été rendue publique, je fus surprise par la confiance que les militants Peschoux mettaient en Gareth Peirce, cette avocate absente d’une audience si « technique » et si importante : après tout c’est ce jour là qu’aurait dû être présenté un mandat d’arrêt autorisant le pouvoir britannique à maintenir Julian Assange en détention provisoire !
C’est ce jour là que les avocats auraient pu contester cette détention, en simplement déposant une demande de libération, comme il est possible pour chaque avocat de le faire à chaque audience pour chaque prévenu. Une demande de libération sur la base de son état de santé, sur la base du fait qu’autant les Lois britanniques que la justice européenne interdisent l’extradition pour motif politique, et si la requête est rejetée, une demande de libération conditionnelle sous caution.
Ayant vu Gareth Peirce ne RIEN faire, il est logique que ma confiance ne soit pas rendez-vous, d’autant plus que nos mails et courriers ne reçoivent jamais de réponse. Par ailleurs, si les époux Peschoux maintiennent qu’ils ont pu rencontrer Julian Assange au cours de l’été, qu’il est bien vivant et qu’il est apte à se battre pour sa vie, ils doivent donc savoir ou il se trouve exactement. Belmarsh, Wandsworth ou une Dark Place ? Belmarsh étant une option saugrenue pour tous les avocats que nous avons rencontrés, autres que ceux de Julian Assange, car ce n’est tout simplement PAS un centre de rétention pour détention provisoire en attente d’extradition. C’est une prison uniquement pour personnes condamnées.
Si Julian Assange a pu rencontrer ses défenseurs de l’ONU en été, comment expliquer qu’il nous écrive un SOS dramatique, à nous, des inconnus ? « Julian Assange est doté une exceptionnelle intelligence et d’une exceptionnelle endurance » – ce furent les mots de Christophe Peschoux en guise de réponse.
Le rapport de Nils Melzer pointe lui-même la torture psychologique que Julian Assange a subi dans les locaux de l’Equateur à Londres. Il a subi et y a survécu mais au lieu de s’extasier devant cette « capacité » ne devrions nous mettre fin à ce qui est un crime, selon les textes de Loi, les conventions et les traités internationaux signés et ratifiés par les Etats membres de l’ONU ?
Ne devrions-nous pas passer à l’offensive pour faire cesser la torture ? Nous, à Wikijustice, nous avions décidé d’aller jusqu’au bout pour que la torture sur Julian Assange cesse. Ce voyage à Londres de septembre 2019 fut l’un des premier de notre longue série d’actions et de documents, de demandes de libération, de plaintes, de rapports médicaux. Nous n’avons pas lâché et nous ne lâchons toujours pas, pour lui, pour nous, pour tous.