Monika Karbowska
Le soir du 4 janvier après la rencontre de la Old Bailey, je cherche encore à manger dans une City déserte. Seul un restaurant japonais vend de la nourriture à emporter sous des affiches menaçantes : « ne touchez pas à ci ! Ne touchez pas à ça ! Ne rentrez pas dans le magasin si vous avez des symptômes covid ! Désinfectez-vous le mains ! » J’ai hâte de partir dans un quartier plus accueillant. Le matin lorsque je quitte l’hôtel l’impression de désolation est encore plus forte. Non seulement les bureaux, les hôtels, les appartements à louer sont vides, mais les boutiques sont fermées, interdites de travail ou carrément en faillite. Je m’arrête devant deux petits commerçants qui ne vont pas tarder à rejoindre le cimetière du capitalisme covidien : une librairie juridique située en face des Royal Courts of Justice (cours d’appel) et une boutique de vêtements masculins. Dommage car la librairie a en vitrine un ouvrage qui m’aurait bien intéressé : son titre est « fake justice, fake law », « fausse justice, fausse loi ». Il y a sûrement dedans des éléments pour comprendre comment un faux procès peut se tenir dans une vraie cour avec un faux prisonnier mais de vrais geôliers et gardes-chiourmes. La boutique de vêtements m’émeut encore plus avec ses belles vestes de tweed si british et ses chaussettes bariolées excentriques – soldées à 70%, c’est une ambiance de fin définitive[1].
Devant les couleurs jaunes, mauves, rouges et oranges des chaussettes je me rappelles de celles qu’on avait envoyées à Julian Assange en deux colis en septembre 2019 alors qu’on cherchait à entrer en contact avec lui et qu’on pensait qu’il serait faisable de lui rendre visite. Les employés du Visitor Center de Belmarsh nous avaient conseillé de lui envoyer un colis et comme le seul colis autorisé aux prisonniers passées les 28 jours étaient des sous-vêtements et chaussettes, nous avions choisis de belles chaussettes aux couleurs les plus flamboyantes. « Il a l’air d’aimer les chaussettes » – nous nous disions en pensant à ces curieuses photos de Julian Assange en chaussettes mises en scènes par les médias. La prison Belmarsh n’a jamais réceptionné le colis qui est resté dans les arcanes mystérieuses de la Poste Royale, laquelle ne vous a jamais non plus rendu le paquet non remis au destinataire. C’est ainsi que nous avions eu les premiers sérieux doutes sur la présence de Julian Assange à Belmarsh car tous les prisonniers, mêmes les plus lourdement condamnés, peuvent y recevoir lettres, colis, visites, mail et argent.
La City est une ville fantôme mais lorsque je dépasse la limite de la commune de Westminster la situation n’est guère meilleure. Sur la grande artère commerciale Strand Street de la High Commission of Australia au métro Charing Cross près de Trafalgar Square c’est la bérézina :tous les magasins sont fermés et près d’un tiers est déjà à vendre. Le lockdown, verrouillage, fermeture, est ici comme en France une gigantesque opération de destruction artificielle de valeur capitalistique, un auto-da-fé duquel sortira un nouveau capitalisme flambant neuf, des oligopoles mondiaux surpuissants naitront sur les ruines de l’ancien monde. Mais comme dit mon ami polonais anti-covidien depuis le début, Jacek Nowakowski : le capitalisme ne participe pas à un concours de qui est le plus efficace pour sauver l’humanité. Le capitalisme détruit l’humanité pour le bénéfice d’une poignée de puissants, il est la destruction même comme il a si bien su le montrer au 20 siècle. Celui qui ne voit pas que le covid est une opération de destruction, une guerre économique sans merci sur le dos des peuples doit impérativement cesser de croire qu’il fait de la politique et retourner cultiver son jardin.
Demain ces magasins n’existeront plus, mais il y aura autre chose, comme toujours, ce qui satisfera l’élite possédante du moment. Quant à nos vies perdues, notre culture en miettes, ce n’est pas l’affaire des capitalistes, comme me l’expliquaient doctement les thuriféraires de la « destruction créatrice » payés par les fondations américaines à Varsovie lors de l’anéantissement par stratégie du choc de la Pologne Populaire, de ma culture et de ma base sociale et politique en 1991. Celui qui est plus fort a raison, car il est le plus fort. CQFD.
[1]Lipman&Sons, London’s menswear specialists for hire or purchase (lipmanandsons.co.uk
Paddington dans le lockdown
Je rejoins Paddington le plus vite possible car le bruit court dans les médias français que le procès peut avoir lieu cet après-midi au tribunal Westminster. Mon hôtel est toujours dans le même pâté de maison proche de Norfolk Place et du Frontline Club. Ses propriétaires chypriotes seront très gentils et vont me faciliter le séjour sans demander d’attestation covidienne. Peut-être participent-ils à la résistance du quartier contre le lockdown. A Paddington de nombreux commerces sont ouverts, même si les restaurants n’ont que peu de clients et que la vente à emporter est contraignante et ne rapporte que peu. Le Frontline Club avec son restaurant bio de luxe est fermé, mais mon Fish and Chips yougoslave et mon drugstore cosmétique travaillent normalement. Les restaurants et cafés chichas autour du consulat marocain rassemblent toujours leur clientèle même si une certaine lourdeur dans l’air est présente, due à un nombre croissant de promeneur masqués, enfants compris. Comme le masque n’est pas obligatoire, on comprend qu’ils ont sincèrement peur de la maladie.
La Westminster Court travaille aussi à plein régime comme un jour normal. Je longe l’ancienne maternité pour femmes pauvres appartenant à la Church Army qui jouxte le bâtiment et partage ses sous-sols avec la cour. Commencés en octobre, les grands travaux se sont mus en une énorme opération de désamiantage et les palissades empiètent sur l’esplanade devant l’entrée des bureaux du tribunal. Je rentre dans le tribunal sans encombre et je parcours les couloirs en inspectant les listes des justiciables. Pas de Julian Assange, mais bien une cinquantaine d’Européens de l’est, soit en extradition, soit jugés pour des délits mineurs. Ils sont répartis sur les 3 étages de l’immeuble dans les salle de 1 à 10. Les couloirs d’attente sont remplis d’hommes, de femmes et d’enfants, il y a bien entre 150 et 200 personnes dans le bâtiment de la Westminster Magistrate Court ce 5 janvier 2021 à 14 heures. Et ce détail aura de l’importance le lendemain.
Je reconnais le visage de certains procureurs, avocats et greffiers. Un des ministère public qui le plus poursuit les migrants d’Europe de l’Est est le Public Authority Transport – des amendes à payer sans doute, peut-être pour défaut de masque. Malheureusement au deuxième étage je croise une des agente de sécurité black qui officie souvent pendant « le cas Assange » et qui est plus sévère que les autres. Hélas, elle me reconnait aussi et à son regard je comprends que ce n’est pas bon pour moi. Elle va certainement communiquer aux autorités que je suis déjà là, la Franco-Polonaise assidue du procès Assange. Je n’avais pas les moyens de l’éviter et avec mon chapeau et mon manteau je suis plus que reconnaissable.
Je demande à la jeune secrétaire voilée du guichet si c’est bien demain ici l’audience « application for bail » de Julian Assange. Elle part s’informer dans le bureau, alors que normalement tout devrait être écrit sur son ordinateur. Assange est un cas à part qui n’est pas inscrit sur les registres, visiblement. Elle ressort pour me dire « oui, c’est bien demain, 10 heures ». Je peux le communiquer à tout le monde sur Facebook, il faut donner l’information la plus fiable possible.
Je peux alors partir manger un bon repas et discuter dans les cafés du coin ou j’apprends beaucoup de choses. Nous discutons de la situation dans nos pays, les Londoniens se montrent préoccupés par la violence sévissant en France. Chez eux la peur est plutôt économique, car malgré les interdictions édictées par le gouvernement ils n’ont pas l’air d’avoir peur de la police, mais plutôt de perdre leur moyens de subsistance, le quartier étant désert alors qu’il vivait du tourisme. Une gérante m’explique que l’aide de l’Etat se résume aux paiements de quelques factures alors qu’il faut pouvoir se nourrir et payer les crédits de l’appartement ou le loyer. Un propriétaire d’un café d’habitués me raconte que les gens ont peur d’aller à l’hôpital. En effet, même dans une institution aussi vénérable que le St Marys Hospital ou Fleming a découvert la pénicilline en 1947 et ou seraient née les enfants et les petits enfants royaux de Diana Spencer, il y a eu deux cas de personnes de 60 ans entrées pour des affections bénignes, décédés dans la nuit et estampillés immédiatement « morts covid » » sans que les familles puissent sauver leur proche ni se défendre. Le même scénario de politique criminelle est mis partout en place qui sème la terreur et conduit à la défiance face aux institutions de santé les plus établies.
Pour bien me préparer à l’épreuve d’endurance du lendemain, je m’achète pour le petit déjeuner une belle boite de dattes et du lait de chamelle chez un sympathique épicier marocain ouvert tard dans la nuit.
L’épreuve de la bataille : storytellers, milice privée et polices diverses
Je pars à 5h30 et j’arrive en 5 minutes. Et je déchante. A 5h35 Greekemmy et ses acolytes sont déjà devant la porte assis sur des chaises longues et munis de termos de boissons chaudes. Ils y ont peut-être passé la nuit, ce que je ne peux me permettre pour des raisons de santé, il fait bien trop froid. Je ne peux pas non plus apporter de matériel de camping, car il sera refusé dans la cour tandis qu’eux peuvent le laisser à leurs collaborateurs. De plus si la police me cherche noise je serai en tord en tant qu’étrangère. Greekemmy et Deepa dorment emmitouflées dans leurs vestes, deux jeunes hommes discutent devant la porte avec un de leur amis plus âgé. Derrière elles Sabine et son fils me saluent : Arrivée à 4 heures, tout le monde était déjà là, elle est bonne sixième dans la file. Je n’avais aucune chance d’être première aujourd’hui. Mais je m’installe vaillamment derrière Sabine avec mes dattes et mon lait de chamelle et mes autres trésors à partager.
Je reste debout comme ça de 5h30 à 9 heures, trois heures et demie. Lorsqu’il pleut j’ouvre mon parapluie, je ne peux pas m’asseoir, pas bouger, pas me rapprocher trop, « social distancing » oblige. La torture. Une fille blonde est arrivée juste après moi et resquille sans ménagement en se plaçant devant la porte pour discuter avec le jeune homme le plus proche de l’entrée. Elle ressemble à ces « chiots » journalistes stipendiés par le CIJ qui hantaient les procès à la Woolwich et à la Old Bailey sans rien comprendre au sort de Julian Assange et sans vraiment s’y intéresser.
Ce n’est pas de la procédure judiciaire dont elle discute avec son pote, cela ressemble plutôt à de la drague. Je ne suis pas contente mais je ne peux rien faire. J’ai juste l’espoir qu’avec 40 places dans la salle 1 que nous connaissons bien, même avec le Covid le plus sévère on devrait bien pouvoir être 10 à entrer… Surtout que 2 heures plus tard, nous ne sommes en réalité que 20 dans la file pour le procès d’Assange.
Ceux qui créent la foule sur la petite place sont les 200 journalistes et reporters qui installent leur lourd matériel devant sur la porte. Ils ont même des parapluies tendus au-dessus de caméra statiques posées sur des trépieds sur le trottoir. Leurs objectifs sont braqués sur l’entrée comme si les journalistes étaient certains que Julian Assange va apparaitre et qu’ils ne voulaient pas rater une seconde de son précieux discours. Je m’en ouvre à Sabine qui confirme que cela peut être un indice. Je remarque plusieurs chaines et agences russes, RT bien sûr, mais aussi Ruptly, Rossia Siegodnia 1 et Spoutnik qui nous avait contacté. C’est la première fois qu’ils sont si nombreux, à côté des anglo-saxons, français, de RTL… J’ai brusquement plein d’espoir que Julian Assange sorte libre et que je puisse lui parler enfin pour la première fois. Je suis prête à communiquer avec lui.
Cependant, notre attente dure vraiment longtemps alors que les journalistes remplissent la petite place et enregistrent tout ce qui se passe. L’ambiance change. Elle n’est plus intimiste comme nous ne rencontrions ici que les mêmes personnes. Il faut rappeler que pendant 1 an, de septembre 2019 à août 2020, l’intérêt pour Julian Assange était au plus bas. Lorsque nos actions citoyennes l’ont fait remonter de la « Dark place » (comme il le dit dans sa lettre SOS à Wikijustice) et finalement gagner une première bataille, brusquement c’est la foule de médias. Le succès a beaucoup de pères, mais ils n’ont pas été très actifs dans la lutte, j’en suis témoin ici depuis septembre 2019 ! L’ambiance est plutôt à « l’accueil de la rock star » aussi hypocrite qu’étouffant qui prévalait en juillet 2010 quand Julian Assange était mis en scène au Frontline Club pour les plus importants lancements de Wikileaks. « Parfois on ne pouvait même pas passer dans la rue, tellement il y avait de caméras. Et lui ne pouvait même pas se pencher par la fenêtre, car il était constamment poursuivi pour une photo. On était comme sur le tournage d’un film » m’a raconté un témoin oculaire vivant dans le quartier. Julian Assange, un hacker inconnu qui surgit brusquement du néant pour faire le buzz? Plutôt une personnalité déjà importante début 2010 pour le système politico-médiatique dès son lancement, comme on lance une mode dans l’industrie de la musique ou du film.
Le soleil se lève vers 8h30 et illumine un ciel gelé. Je suis frigorifiée quand tout se précipite et je manque peut-être de réactivité. Un peu avant 9 heures un groupe d’agents de sécurité arrive pour déverrouiller la porte d’entrée. Ce ne sont pas les mêmes que nous voyons d’habitude et ce ne sont pas les mêmes têtes que j’ai vues la veille. Bien sûr l’entreprise a changé, mais certains anciens de Mitie ont été repris. Aujourd’hui ce sont des jeunes vêtus d’étranges vestes fluos toutes neuves comme des ouvriers de chantiers qui prennent leur poste dans le sas devant la porte s’ouvre. Ils sont l’air bien novices pour des agents de sécurité chargés de gérer un flux important de personnes. Mais apparait alors un troisième personnage que nous avons bien connu du 11 octobre 2019 au 19 février 2020 mais que je n’avais pas revu depuis, lors des sessions de juillet, août et octobre dernier. C’est le manager de Mitie qui gérait la liste de Greekemmy en octobre 2019, qui surveillait Assange lors de l’audience de « l’instruction espagnole » salle 4 le 20 décembre 2019. C’est aussi l’homme dont Assange avait si visiblement peur quand il a comparu le 13 janvier 2020 dans le box et que nous avons pu communiquer avec lui par le regard. Le corpulent homme de type indien était alors présent l’après-midi dans la salle d’audience et nous avons bien senti que sa présence intimidait Julian Assange.
Pour toutes ces raisons et aussi parce que je ne l’ai pas vu travailler en dehors des procès Assange, je suis de plus en plus convaincue que cet homme ne travaille pas pour la cour mais pour uniquement les organisateurs de ce « procès privé », non lié en vérité au du ministère de la justice britannique.
Aujourd’hui notre homme arbore un pull bleu marine, un badge sur un cordon et un masque noir. Il se place dans l’embrasure de la porte alors que nous resserrons la file pour ne pas perdre nos places. Déjà quelques voix demandent à la jeunes fille blonde de s’écarter puisqu’arrivée après moi elle n’est que 8ème dans la file. Elle obtempère de très mauvaise grâce. Loin derrière j’avais repéré Georgina. Cette fois elle ne devrait pas pouvoir entrer, située en si mauvaise position. Mais voilà que je la vois me saluer de loin et puis… remonter toute la queue avec un culot tranquille de celle qui sait qu’elle a raison et se placer derrière moi… Elle noue conversation avec moi, demande des nouvelles et salue Sabine. Je m’attends à des protestations des autres, mais non, personne ne bouge. J’ai encore une fois la preuve qu’elle fait partie du scénario du procès. Elle va rentrer c’est certain, quoi qu’il arrive.
Je m’astreins à rester calme alors que la pression monte. Le manager déclare (et c’est toujours aussi difficile de comprendre à travers les masques) « seulement 5 personnes pourront rentrer, 8 avec la famille ». C’est la consternation, l’affolement. Mais il y a 40 places dans la salle ! J’essaye de parlementer, on a déjà été salle 1, il le sait, c’est lui qui était là en octobre 2019 et janvier 2020 ! Mais l’homme est dur et inflexible « because the Covid ». Le Covid sert tout à fait les intérêts du système dominant en empêchant les citoyens de contrôler ce qui se passe dans les lieux publics ! Pourquoi aujourd’hui est-il impossible d’être plus de 4 dans cet immense bâtiment vide, alors que la veille j’ai bien vu 200 personnes à la fois dans ce même bâtiment de 14 à 17 heures ! Le Covid sert surtout à nous chasser du procès de Julian Assange ! D’ailleurs, ce procès semble être l’unique action à la Westminster aujourd’hui, les familles des extradés est-européens sont absentes et les avocats des autres affaires seront une poignée.
Surtout que « la famille » n’est pas là ! Nous sommes tous la famille de Julian Assange ! Le manager tient une liste avec des noms, quelqu’un lui demande pourquoi réserve-t-il des places à une famille toujours absente alors que le tribunal ouvre et que les journalistes se précipitent ? Il répond : « ce sont les avocats qui donnent le nom de la famille ». Nous avons la réponse qui est décisionnaire pour l’attribution le titre de « famille » aux différents militants ou salariés du groupe Wikileaks. Cependant, à ce moment ni Fitzgerald ni Summers ne sont présents, nous continuons de protester, eu égard aux heures passées devant cette maudite porte.
Auparavant il a toujours été possible de rentrer et la sélection était effectuée devant la salle d’audience. Entre temps Fidel Narvaez est arrivé et sans avoir fait la queue il récupère la place d’un proche de Greekemmy. Les deux jeunes hommes les premiers devant la porte, celui à la dégaine de stagiaire du CIJ ainsi que celui qui s’est présenté à moi comme comédien, entrent déjà. Greekemmy saute au cou de Deepa : elle a l’assurance de m’avoir définitivement écartée du jeu. Les deux femmes entrent avec Narvaez. Le manager laisse alors passer quelques personnes munies d’une petite carte de presse bleue. Surprise, Georgina a encore poussé tout le monde et elle se trouve devant moi. Je la vois alors montrer à l’homme une petite carte en plastique blanche barrée de deux bandes marrons. Elle travaille bien pour une institution importante, probablement gouvernementale et cette carte mystérieuse est le sésame qui lui ouvre à chaque fois les portes de ce procès.
Alors Sabine proteste, fait valoir sa qualité de « personal friend » de Julian Assange. Mais pour prouver cela il faut la présence de Fitzgerald. Nous supplions le cerbère de au moins nous laisser entrer dans l’immeuble pour aller aux toilettes car nous sommes ici debout sans bouger 4 heures par un froid glacial, une température en dessous de zéro ! Il refuse « covid oblige ». Dans le stress le fils de Sabine se met à pleurer et crier, la foule de journaliste appuie sur nous, c’est la confusion. Ce n’est qu’à cause de la présence de l’enfant que le cerbère qui faisait si peur à Assange lui permet d’aller aux toilettes. Elle rentre avec son fils mais me dira ne pas avoir pu accéder à la salle et n’avoir vu Assange qu’à travers la petite vitre de la porte.
Le « manager » en chef nous repousse sur le côté droite de la porte sans ménagement, sous prétexte de laisser entrer les quelques avocats des autres procès. Il n’a que le mot « covid » à la bouche alors qu’il n’est que trop visible qu’il n’agit pas en professionnel de la sécurité: en repoussant 25 personnes, il nous coince contre les 200 journalistes armés de leur matériel. Nous sommes pris en tenaille entre lui, le mur et la foule. Nous sommes serrés l’un contre l’autre comme au temps du procès de la Woolwich Court, en février de l’année dernière. Gérer la foule de façon aussi non professionnelle est dangereux, je le sais car j’ai exercé cette profession. Dans ce type de situation il faut au contraire créer un flux pour éviter le blocage et les mouvements de panique. Lui et les organisateurs de la rencontre sont tellement obnubilés par l’idée de ne laisser PERSONNE d’étranger au sérail voir Assange (et les négociateurs de sa libération ?) qu’ils ont décidé de faire fi des consignes de sécurité et nous refouler en nous bloquant devant la porte quitte à mettre les gens en danger, épidémie ou pas.
Je suis très en colère et j’essaye de contre-attaquer : je demande son nom à notre homme. Il sait qu’il doit me répondre, mais marmonne un son inaudible derrière son masque. J’entends quelque chose comme « Anish, Anishou » mais pas de nom de famille. Je fais un pas de plus, je lui dis que je ne comprends pas et je prends son badge dans mes mains pour le lire. Ni le nom de son entreprise ni son nom ne figure sur son badge. Il n’a qu’un simple badge visiteur. Il ne travaille donc pas pour la Westminter Court. On s’en doutait depuis longtemps qu’il n’est en réalité pas un agent de sécurité professionnel. Qui est-il et pour qui travaille t- il alors ?
L’homme n’a pas le temps de réagir que déjà la police arrive. C’est la MET, la Police Métropolitaine de Londres reconnaissable à ses damiers blancs et noirs sur les couvre-chefs et leurs chasubles fluos. D’habitude ils sont peu nombreux et plutôt paisibles. Nous avons eu rarement affaire à eux car ils ne viennent que pour gérer la circulation dans la rue et il n’y a pas eu foule à la Westminster pour Assange depuis au moins le 21 octobre 2019 ! Mais aujourd’hui 30 personnes vêtues d’uniformes tout neufs ont débarqué, munies de menottes, de matraques et de masques noirs. Le masque a en général l’effet dépersonnaliser la relation et le pouvoir de la police s’en trouve renforcée puisque nous ne sommes plus pour eux des humains avec des émotions mais des objets à gérer. Leur chef fait ouvrir à « Anushi » la deuxième porte d’entrée pour fluidifier la circulation : les journalistes s’y pressent immédiatement, font des photos du hall d’entrée, cela a comme effet d’alléger la pression sur nous qui sommes stockés à droite de la porte principale. Je suis la première de la file, tous les autres appuient sur mon dos, dont la jeune fille resquilleuse de tout à l’heure qui actionne fébrilement son appareil photo professionnel.
Mais les policiers forment un cordon pour protéger la porte d’entrée et nous repoussent encore vers la droite. Ce n’est pas non plus très professionnel de leur part car nous risquons d’être écrasés contre le mur. Je tente de résister à la pression physique et psychologique. D’abord j’essaye d’amadouer les jeunes agents de sécurité mais ils sont inexpérimentés et me font un signe que « ce n’est pas nous qui décidons ». Lorsque deux policiers imposants se posent entre la porte et moi, je suis obligée de battre un peu en retraite, mais je persévère.
Je leur dis que j’ai besoin d’aller aux toilettes, que cela fait 4 heures que j’attends dans le froid, mais l’homme me renvoie vers la gare Marylebone. Il a cependant une voix aimable et je continue le dialogue en adoucissant mon ton. Je lui dis que je représente une association de défense des droits de l’homme et que c’est curieux qu’on ne puisse pas voir Julian Assange pour témoigner du procès, de l’état du prisonnier politique… Le policier m’écoute et me dit « je vous comprends ». Alors enhardie, je déclare qu’il n’est pas normal que ce n’est pas lui qui fasse régner l’ordre dans le tribunal mais un entreprise privée. Il confirme « je n’ai pas le droit d’y entrer ». « Parce que c’est un bâtiment privé, n’est -ce pas ? » – je continue.
« Il appartient à Prudential n’est-ce pas ? Une entreprise privée. Donc une entreprise privée peut louer des salle pour le tribunal mais aussi pour tout autre événement privé et ceci est une événement privé » ? L’homme acquiesce. Il se comporte effectivement comme on travaille dans le secteur événementiel : les agents de sécurité privés loués par les organisateurs de l’événement sécurisent et filtrent l’espace privé ou l’événement a lieu tandis que la police, en cas de forte affluence, gère logiquement l’espace public, la rue. C’est cousu de fil blanc, on est dans un film. Voilà pourquoi il n’y avait pas de covid hier lorsque siégeait le vrai tribunal Westminster Magistrate qui loue selon le cadastre ses locaux à Prudential et voilà pourquoi aujourd’hui le « covid » sert de prétexte pour m’empêcher d’entrer[1]. Les organisateurs de l’événement ne veulent que Greekemmy, Deepa et Narvez comme témoin. C’est tout. D’ailleurs Rebecca Vincent en manteau rouge se fait refouler. Un peu plus tard Elliot et Esther Shipton tenteront leur chance comme à la Old Bailey mais n’auront pas plus de succès en l’absence de John Shipton, malgré deux passeports australiens dans la main d’Esther. Ils ne sont pas aujourd’hui utiles aux organisateurs du spectacle.
A 10 heures il n’y a toujours pas de « famille » de Julian Assange et il reste en théorie 4 places. Je réessaye la négociation. Mais de derrière mon dos surgit Craig Murray, l’air perdu. « Anushi » lui permet d’entrer dans le sas en attendant d’avoir un avocat sous la main pour confirmer son autorisation de présence. Evidemment personne ne présente aucune pièce d’identité, comme d’habitude dans le cas Assange dont l’identité est aussi incertaine que celle de ses prétendus parents, fiancées, épouses et enfants. Soudain, Craig Murray, stressé, se tourne vers nous pour demander… un stylo ! La femme derrière moi lui donne le sien. Un journaliste sans stylo, je ne peux hélas pas l’aider.
Peu après 10 heures la pression des journalistes sur nous devient intense : ils photographient à qui mieux mieux Stella Morris qui s’approche de la porte d’entrée. Kristinn Harfnsson et Joseph Farell l’encadrent comme deux gardes du corps. Elle parait décontenancée et en colère de ne pas pouvoir entrer immédiatement comme une star car « Anushi » la refoule comme les autres. Il n’y a brusquement plus aucun « social distancing » – je me retrouve côte à côte avec Stella Morris devant la porte, seuls 30 centimètres nous séparent. Je peux la voir de très près alors qu’en septembre à la Old Bailey je l’ai certes remarqué avec sa robe rouge en train de deviser joyeusement avec Jennifer Robinson dans les travées de la salle 10 avant l’arrivée d’Assange le 9 septembre, mais il y avait encore 20 mètres entre nous. Alors que je suis si près d’elle, je m’aperçois que cette personne est différente de la « Stella Morris » qui fréquentait la Westminster Court le 19 e 20 décembre 2019, le 23 janvier et le 19 février 2020. Certes, depuis l’audience du 28 juillet 2020, Stella Morris porte toujours un gros masque noir ou rouge qui m’empêche de bien distinguer le bas de son visage. Mais sa taille ne trompe pas : la femme que j’ai vue ici de décembre 2019 à février 2020 ainsi qu’à la Woolwich Court la dernière semaine de février était de très petite taille, inférieure à 1,55 cm. Cette personne mesure au moins 1,60 cm car le sommet de son crâne se situe à la hauteur de mes yeux et je mesure 1, 67 centimètres. Elle a un visage plus massif, la mâchoire plus carrée, les lèvres plus épaisses et son teint est marqué par des cicatrices sur la tempe droite visibles malgré le maquillage. La femme que j’avais croisée sous le nom de Stella Morris en hiver 2019/2020 avait un menton plus pointu, un visage ovale, un teint clair sans défaut avec quelques tâches de rousseur. On aurait dit deux sœurs, celle devant moi d’ailleurs plus âgée que la précédente. Je suis déroutée, mais je constate aussi que « Stella Morris » de l’hiver précédent avait des épaules plus rondes et une poitrine plus opulente…Elle portait d’ailleurs souvent des tenues blanches alors que la Stella Morris d’après le 11 avril porte souvent des tenues rouge sombre, aujourd’hui un tailleur marron et un pull à coll roulé bordeaux. Je l’ai bien vue pendant des heures à la Woolwich Court. Certes, je n’y ai pas prêté tant d’attention puisqu’il n’était pas question à l’époque qu’elle fusse la fiancée d’Assange mais les quelques photos volées publiées ça et là m’apportent encore un élément de preuve que ce n’est peut-être pas la même personne. Je n’oublie pas non plus qu’Assange ne faisait pas non plus beaucoup d’attention à « Stella Morris » à la Woolwich Court, même s’il lui glissait des petits papiers qu’elle était chargée de transmettre deux rangées plus loin, comme à l’école, à Fitzgerald ou Summers.
En face de moi elle a un air dur et déterminé. La « Stella Morris » de l’hiver précédent n’était pas très causante, refusant de répondre à la moindre de nos questions, elle ne souriait jamais non plus, mais son visage impassible exprimait plutôt l’indifférence que l’hostilité.
Pendant notre face à face de 10 minutes, Kristinn Hrafnsson essaye de discuter avec le manager mais sa voix est à peine audible. Le trio attend donc mitraillé par les photographes jusqu’à ce qu’une jeune femme, Florence Iveson ou l’assistante de Gareth Peirce arborant un masque vert qui cache bien son identité, parlemente avec « Anushi » et finisse par les faire entrer par la deuxième porte. Je vois Stella Morris enlever sa veste marron (elle ne porte pas de manteau ni de sac comme d’habitude, comme si elle sortait directement d’un appartement proche ou avait laissé toutes ses affaires dans une voiture…) et passer le portique de sécurité. Je décide de persévérer, une place peut toujours se libérer… Mais voilà que les policiers hommes de la MET sont remplacées par des femmes flics beaucoup moins avenantes. Les policières nous crient des ordres de dispersion à moi aux 5 militantes qui attendent toujours derrière moi. D’après ce que je comprends, comme en France la police estime que le covid leur donne le droit de suspendre la liberté de réunion et de circulation. Selon les « mesures covid », on ne devrait même pas quitter notre domicile. Les policières nous poussent vers le mur, elles se font menaçantes. Une grande blonde me prend pour cible, je lui demande de ne pas me toucher puisque le covid exige le « social distancing », et elle est prête à m’empoigner. Je me dérobe, je recule, puis je reviens vers la porte. Les fliquettes nous repoussent vers le matériel des journalistes, comme si elles assuraient la sécurité d’une personnalité importante qu’il ne faudrait pas déranger. Elles sont bien plus là pour cette raison que pour assurer l’ordre sur la voirie, car nous militantes sommes bien moins nombreuses que les journalistes et parfaitement pacifiques. Le ton monte entre certaines militantes britanniques et les policières, le droit à la liberté de circulation et la liberté d’expression se heurte ouvertement au « monde nouveau »et illégal des « mesures covid »…
J’admets la mort dans l’âme que je ne pourrais plus entrer. Si Assange est présent salle 1, la réunion a commencé et ne durera pas longtemps. Un peu avant 10 heures des photographes avaient bien couru vers l’entrée des voitures Seymour place sur le côté gauche du bâtiment dans l’espoir de faire une photo d’Assange, mais ils étaient revenus bredouilles. Il est possible que Julian Assange ait été amené dans ces lieux bien avant notre arrivée ou autrement que par l’entrée des fourgons de prisonniers. Je suis contrainte de m’organiser afin d’agir si Julian Assange sort et prononce un discours devant ces dizaines de microphones braqués sur la porte. Je dois lui transmettre notre message sur le panneau « SOS received » et nos coordonnées. Pour être visible politiquement, j’ai apporté un drapeau français et mon Gilet Jaune, que je n’ose pas néanmoins brandir mais je les tiens à la main. La fliquette blonde m’a en effet à l’œil. Je recule pour me mettre hors de sa portée et je m’assieds par terre à côté d’une jeune journaliste prête à la chasse à la photo. Elle est free-lance, je lui raconte toutes les péripéties de la lutte de Wikijustice pour la libération de Julian Assange. Elle est intéressée et prend nos coordonnées. Elle a entendu parler de l’importance du mouvement des Gilets Jaunes venus ici en octobre 2019 et à la Woolwich Court en février 2020 et elle est préoccupée par la situation politique chez nous, la dictature covid de plus en plus violente. Si les droits de l’homme tombent aux Pays des Droits de l’Homme, c’est un très mauvais signe pour le monde entier.
[1] cadastre 179 à 185 Marylebone Road – Prudential aka Westminster Magistrate Court
Police spéciale assurant la protection des personnalités ?
Nous restons ainsi à attendre dans le froid sous la garde des flics. A 10h45 je distingue Greekemmy dans la baie vitrée au premier étage. Elle envoie des messages sur son téléphone. Immédiatement les militants qui s’était réfugiés derrière les journalistes pour échapper à la police se mettent à crier « Free Assange ». Je comprends que Julian Assange ne sortira pas. Ce n’est même plus la peine d’attendre ici. Dès que le refus de la libération est prononcé, le captif est habituellement évacué rapidement. Je partage mon analyse avec ma voisine, je reste le temps d’avoir une confirmation de la mauvaise nouvelle et je décide de me poster avec mon panneau, mon drapeau et mon Gilet Jaune à la sortie des fourgons. Au moins 30 journalistes l’ont déjà fait et ils occupent le trottoir de la rue Seymour place côté gauche du bâtiment. Mais ils ne peuvent se rapprocher de la porte cochère car un autre corps de police en barre l’accès : pas moins de 6 voitures et car de police sont garés le long du trottoir dont un grand camion de la Territorial Support Groupe de la MET. Ces policiers tout en noir paraissent encore plus durs, mais plus professionnels que les femmes de la MET. Ils se déploient en cordon dans la rue, font faire demi -tour aux voitures qui circulent et nous intiment, poliment mais fermement, l’ordre de rester sur le trottoir opposé. Leur uniformes et leurs armes ont l’air usés, ce n’est pas du fake cette fois. Ce sont des vrais policiers de protection de personnalité, exactement comme ceux qui armés de mitraillettes gardent le Palais de Kensington, ce Palais tellement lugubre qu’on se demande si ces policiers ne gardent pas des prisonniers à l’intérieur plutôt que de protéger le palais des dangers de l’extérieur…
Mon attente du véhicule censé ramener Assange en « prison » va durer plus de deux heures. La manifestation continue sur l’avenue Marylebone, deux militantes sont interpellées par les policiers de la MET qui doublent le cordon de la Territorial Support Group. Elles sont amenées vers l’entrée de l’immeuble d’habitation jouxtant la Westminster, peut être des logements de fonction car il appartient au complexe de la cour. Les femmes arrêtées crient, mais cela n’a pas l’air bien méchant, quelques minutes après je les vois blaguer avec les policiers. Une mise en scène ou du vrai ? Je ne sais pas. Les journalistes sont de plus en plus nombreux dans cette rue, se désintéressant de Stella Morris qui effectue une courte déclaration devant un parterre de plus en plus clairsemé. Sur le film que me montrera ma voisine d’attente, elle a l’air déconfite, elle s’attendait visiblement beaucoup à ce qu’un projet important pour elle aboutisse.
Quelque chose a néanmoins encore lieu parce qu’Assange ne sort toujours pas. Des négociations en haut lieu avec des personnages importants ? L’ampleur du dispositif policier inédit en ces lieux le suggère fortement. Ces policiers qui gardent la Reine ne sont pas venus pour nous contenir ni pour faire respecter les prétendus « covid rules ». Hier il n’y avait pas de règles covid, aucun policier et une foule dans le tribunal. Aujourd’hui les policiers sont venus pour protéger ceux qui effectuent une négociation. En effet aucune voiture ne sort de la Westminster-Prudential pendant 2 heures. Je n’en peux plus tellement j’ai froid et je suis épuisée. En deux heures il n’y a qu’un seul mouvement : un petit fourgon de type utilitaire rentre dans l’immeuble, la grande porte se soulève et dans les profondeurs de la Westminster on distingue deux véhicules, celui de droite garé plus profondément que celui de gauche. La voiture sort quelques minutes après, sans qu’on puisse voir qui y est assis, mais les journalistes ne bougent pas, il est peu probable que cela soit Julian Assange.
Peu avant 13 heures les policiers du Territorial Support Group quittent les lieux. Je vois leur chef communiquer avec une officière de la MET qui dirige le dispositif. Elle a en main un support rigide avec un document posé dessus, comme si elle assurait le script d’un film. Lorsque le fourgon noir des vrais policiers s’en va, le cordon de policières qui nous avaient nassées auparavant se déplace autour de la porte cochère prenant le relais des hommes en noir. La Territorial Support Group ne comportait en effet aucune femme.
Brusquement à 13h20 la porte cochère se soulève et un fourgon de prisonnier en sort. C’est la ruée des journalistes sur le véhicule qui tourne à droite en direction de Marylebone Road. Il a deux petits hublots : je me précipite aussi et je plaque mon papier sur l’un d’eux, dans l’espoir qu’Assange voit notre message, comme je l’ai fait ici même le 20 décembre 2019 et le 13 janvier 2020. A l’époque les 5 policiers présents n’étaient ici, selon leurs propres mots, que pour nous empêcher de rentrer dans le sous-sol. Mais voilà qu’à peine ai-je eu le temps de faire ce geste, que la fliquette blonde agressive se précipite sur moi, m’empoigne et me tire en arrière. Elle me hurle dans l’oreille « you broke the covid rules, you’re gonna be arrested » (« vous avez rompu les lois covid, vous allez être arrêtée »). Je suis en pays étranger, je sais néanmoins que les policier anglais n’ont pas le droit d’interpeller les gens dans la rue aussi facilement qu’en France. Il n’y a pas de police nationale en Angleterre en fait, mais une multitudes de polices locales. La MET n’est que la police municipale de Londres, et même la fameuse Scotland Yard n’est pas une institution gouvernementale. Elle ne peut pas contrôler les identités des gens et ne peut agit qu’en cas de flagrant délit ou de «supposition raisonnable qu’un crime a été commis »[1]. C’est bien parce que le gouvernement n’a pas les moyens de faire respecter les obligations de masques et d’interdiction de déplacements que le maque n’est pas imposé dans la rue et que tous les « covid rules » ne sont en réalité que des « recommandations », contrairement à la police française et ses amendes terrorisantes.
Je suis secouée par la violence de cette personne, alors qu’une autre policière, plus sympathique, me crie « Ce n’était pas lui dans la voiture » ! Alors je reviens à charge, je m’approche d’elles pour leur parler. J’explique que je n’ai rien fait de mal, que je ne voulais pas arrêter la voiture mais faire passer un message, qu’Assange est libre juridiquement et devrait avoir le droit de communiquer, que ce n’est pas normal que les associations des droits de l’homme soient persona non grata dans un tel procès, que la démocratie est en danger… Les deux autres femmes me regardent, j’espère qu’elles sourient derrière leur masque, surtout que j’ai enlevé le mien pour leur montrer que je ne leur suis pas hostile. La blonde agressive continue de maugréer quelques chose que je ne comprends pas, toujours arcboutée sur ses « covid rules ». A cause du masque, sans voir l’expression des visages, sans bien comprendre et être comprise, je perds beaucoup de mon efficacité diplomatique.
Je suis contrainte de m’éloigner sous la menace, j’avais déjà remis mon drapeau français et mon Gilet Jaune dans mon sac. J’en ai tellement assez que je décide de partir, pour la première fois de tout mon périple militant pour Assange, sans avoir attendu jusqu’au bout. Derrière le pâté de maison un seul petit café arabe est ouvert : nous nous y retrouvons entre militants pour enfin boire un café, certains réussissent à convaincre le propriétaire de pouvoir se réchauffer dedans. C’est tellement inhumain de rester debout dans le froid glacial dehors pendant 8 heures. Je prends mon café, je reviens vers la porte et je m’assieds par terre comme je le fais à Paris depuis septembre, depuis que je n’ai plus le choix et notre vie oscille entre celle de clochards et de bêtes de somme qui vont au travail et rentrent à l’étable le soir sous escorte policière. Comment aider Assange alors que nous-mêmes devons désormais lutter pour rester libres ?
Quelle spectaculaire dégradation de l’état des droits de l’homme en Europe en tout juste 1 an !
Il est enfin 13h35 quand l’acte final a lieu. La porte se soulève, nous voyons tous les agents de sécurité, dont « Anushi », qui ont travaillé sur l’événement, rassemblés sur le seuil du garage. Ils escortent le grand véhicule blanc qui se trouvait tout au fond du bâtiment et qui s’avance vers la sortie. Ce n’est pas un fourgon de prisonnier, les journalistes n’y prêtent donc pas attention. Au moment où le véhicule s’apprête à tourner dans la rue, les agents de sécurité privée font la passation de responsabilité à la Metropolitan Police qui forme un cordon de protection autour de lui. Alors je vois que c’est un grand minibus blanc de 30 places banalisé, sans aucune enseigne Serco ou autres entreprise liée aux prisons. Il ressemble à une véhicule du gouvernement transportant des personnalités. D’ailleurs, il est équipé d’un discret gyrophare dont la lumière bleu s’allume puis s’éteint. Les vitres du minibus sont teintées, de même que celle de la porte du passager de sorte qu’il est impossible de voir l’intérieur ni le visage du conducteur. Il est très probable que Julian Assange soit là avec des membres importants du staff, des négociateurs, des organisateurs… des chefs. Alors que le minibus tourne à gauche, direction Hyde Park, Kensington, quartiers royaux, je me retrouve seule devant lui. Je brandis mon panneau, je lève le poing. Si Assange est là, il m’a vue.
Le minibus démarre lentement, puis tourne à nouveau à droite direction Baywaters et Kensington. Les journalistes le prennent en chasse, ils ont enfin compris qu’Assange est dedans, mais c’est trop tard. L’immeuble est vide. Les policiers du MET rangent leurs affaires dans les 2 voitures restantes et partent sans façon. La porte cochère est fermée et les agents de sécurité sortiront par l’entrée des bureaux de l’autre côté. Je suis tellement fatiguée et transie de froid que je salue rapidement la jeune journaliste free-lance et je quitte les lieux pour me réfugier dans mon hôtel. Je ne l’ai pas vu, c’était impossible, mais il m’a vue, alors je n’ai pas fait tout cela pour rien.
[1]https://www.met.police.uk/advice/advice-and-information/st-s/stop-and-search/your-rights-and-responsibilities/