Monika Karbowska
Tout l’été 2019, nous avions été angoissés pour Julian Assange. Nous avions été angoissés à cause du silence de ses « proches », de ses avocats et de Wikileaks. Nous avons écrit des lettres, attendu avec espoir des réponses qui ne venaient pas, bataillé avec des trolls sur twitter qui nous insultaient parce que nous avions publié le fameux numéro d’écrou A9379AY que nous avions trouvé en fouillant internet.
Logiquement, nous pensions que lorsque quelqu’un écrivait à un détenu, il était impératif de mentionner son numéro d’écrou, sinon la lettre ne lui serait pas distribuée. Du reste, par des contacts polonais qui étaient passés par Belmarsh, je savais déjà que ce « prisoner number » était indispensable pour toute communication avec les détenus (avec un million de migrants, la diaspora polonaise est la plus nombreuse des diaspora européennes en Grande Bretagne et selon le consulat polonais jusqu’à un tiers des détenus dans les prisons britanniques sont Polonais, il est normal donc que certains aient connu la grande prison de Belmarsh dans la banlieue du Grand Londres). Un de nos collègue de Wikijustice a même téléphoné à Belmarsh pour entendre la confirmation que ce numéro est nécessaire à toute communication avec le détenu.
Nous avions donc écrit à Christine Hawkins Assange, John Shipton (sur twitter), à Wikileaks sur son site, à la Courage Fondation, aux avocats Jennifer Robinson, Mark Stephens, Mark Summers, à Kristinn Hrafnsonn… sans obtenir aucune réponse. Nous avions tenté de retrouver la trace de Sarah Harrison via mes contacts avec la gauche berlinoise de die Linke.
Nous avions écrit à Christophe Peschoux, qui avait dirigé en 2015 et 2016 l’enquête du Groupe de Travail sur la Détention arbitraire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme menant au Ruling ordonnant de relâcher Assange, de l’indemniser et de le conduire en lieu sûr. Pas de réponse. Pourtant je connaissais Christophe Peschoux depuis janvier 2015 – c’est à lui que mes amis du Comité des Familles d’Odessa ont confié l’enquête sur le terrible massacre du 2 mai 2014 perpétré par les nazis ukrainiens du Pravy Sektor dans la Maison des Syndicats à Odessa.
Aucune réponse non plus pendant tout l’été ni début septembre 2019. Nous avions aussi réussi à trouver le mail de Nils Melzer et à lui écrire, en Allemand et en Anglais. Aucune réponse de sa part, ou plutôt une réponse évasive est ennuyée envoyée à un de nos contact, le 4 septembre, de sa retraite de Glasgow.
Nous avons traversé la Fête de l’Humanité en récoltant des centaines de signature sous une pétition pour la libération de Julian Assange.
Quelle ne fut pas notre stupéfaction, lorsque le 13 septembre au soir, nous apprenons par une publication sur twitter qu’une audience de Julian Assange venait de se tenir à la Westminster Magistrate Court à Londres ce jour-là ! Le communiqué émanait d’une certaine « Greekemmy », une militante qui avait l’air bien informée et présente lors des audiences passées du 2 mai 2019 et de celle de juin, qui avait été déplacée du 13 au 14 juin ce qui avait empêché le bus des Gilets Jaunes déjà loué pour le 13, de partir pour Londres.
Cette fois, c’est décidé, nous irons le plus vite possible à Londres pour en avoir le cœur net et pour demander des précisions à cette militante. Il n’est pas normal que les avocats de Julian Assange ne mettent pas ses soutiens militants au courant à l’avance des dates d’audience ! J’étais d’autant plus en colère contre les avocats absents et muets que je savais par des avocats polonais de Londres, déjà contacté, que les audiences d’extradition ont lieu tous les vendredi dans les cours magistrate anglaises et qu’il faut être préparé à tout chaque semaine qui vient…
Et surtout, nous étions très inquiets parce qu’une militante de Wikijustice avait reçu, vers la fin du mois d’août, cette lettre originale avec son enveloppe retour avec l’adresse de Belmarsh et le numéro d’écrou, signé « J.A. », ces trois lignes aussi désespérées que poétiques, tracées de cette belle écriture ronde : « Thanks B. for fighting for me, I am in a very Dark Place presently, light up the night until victory ». (« Merci B de lutter pour moi, je suis dans une Place très sombre maintenant, éclaires la nuit jusqu’à la Victoire »).
Et surtout, au dos du message, sous le numéro A 93 79 AY inversé, les « …—… ». d’un SOS en morse. Un message poignant, une bouteille à la mer, un appel au secours d’un homme seul.
Nous ne pouvions plus faire comme s’il ne nous avait pas interpellés personnellement. Nous ne pouvions plus faire autrement que faire la lumière sur les ténèbres, traverser les murs et tout faire pour le sauver. Ce fut dorénavant un devoir moral évident, une obligation d’assistance, un impératif d’aller jusqu’au bout du résultat.
Alors, nous avons décidé de nous rendre à la prochaine audience à Londres.
Par mes amis de la gauche altermondialiste, j’étais déjà en contact avec Fidel Narvaez, ancien Consul de l’Equateur qui avait géré le séjour de Julian Assange dans les locaux diplomatiques équatoriens du 3 Hans Crescent Street. Ce fut par son mail que j’appris qu’une audience importante se tiendrait le 20 septembre 2019 à la Westminster Magistrate Court à 10 heures.
J’appris la nouvelle le jeudi après-midi, le soir même je montais dans un Flixbus pour me retrouver, 6 heures et une traversée de la Manche plus tard, à la gare Victoria Coach Station dans le Centre de Londres. Ce n’était que la troisième fois de ma vie que j’allais à Londres, la première en 2004 pour le Forum Social Européen, la deuxième pour le meeting Coalition of Résistance de la gauche anti-capitaliste contre la crise de la dette européenne en octobre 2011. Depuis, je n’étais pas retournée en Angleterre. Dès mon arrivée, voyant mes compatriotes de l’Est européen occuper tous les emplois possibles en contact avec le public, je me sentis bizarrement rassurée. Mon accent est-européen dans mon Anglais ne rebutait plus personne en 2019, tout le monde me comprenait dans les cafés et les magasins !
Néanmoins, lorsque j’appris en consultant mes mails que mes collègues de l’association ne pourraient me rejoindre que plus tard, je me sentais un peu fébrile à l’idée d’aller seule au tribunal. Mais de quoi avoir peur ? La justice est publique dans une démocratie. Il suffit de venir et de pousser la porte du tribunal. C’est ce que je fis.
Le tribunal Westminster Magistrate ne se trouve qu’à quelques stations de métro de la gare Victoria. J’y arrivai à temps avant 10 heures.
Le bâtiment se compose de trois parties – un immeuble de briques rouges anciens accolé à un immeuble de style « Immeuble de bureaux quelconque à Levallois Perret » des années 2000, lui-même accolé à un immeuble de bureau plus anciens des années 60.
1. Le tribunal
Les agents de sécurités des bureaux à droite me dirigèrent vers l’immeuble de bureaux neuf portant le fier blason de l’Angleterre, à gauche le Lion normand et à droite la Licorne enchainée portant la devise en Français « Dieu et mon Droit, honni soit qui mal y pense ». J’étais aussi très perturbée de me retrouver en face de cette symbolique anglo-normande millénaire à l’intérieur de la salle d’audience, moderne, propre et pourvue de meubles clairs comme une salle de classe.
Le Moyen-Age se mélangeait à la modernité la plus ultralibérale, la plus froide, la plus barbare aussi et j’y fus plongée instantanément.
Je fus surprise de ne trouver presque personne pour se battre pour Julian Assange à l’extérieur du tribunal – un homme et une femme se tenaient seuls à gauche de la porte en bavardant devant une banderole « Dont Extradite Julian Assange ». Je me présentai devant la porte centrale en verre qui s’ouvrit. Les agents de sécurité me demandèrent de déposer mon sac et de traverser le portique de sécurité. Une fois passée, je me retrouvai dans un hall nu, à la gauche un tableau avec quelques feuilles épinglées au mur. Le programme du jour : il y a trois salles d’audience, et la salle 3 est celle ou sont décidé les extraditions. Je ressens une vive émotion lorsque sur le planning de salle 3 je lis, tout en haut de la page « ASSANGE Julian Paul Mr. Extradition, USA, salle 3, 10.00 N°1900802699 » suivi d’une vingtaine de noms de Polonais, Roumains, Lithuaniens, Lettons, Hongrois et un Italien, tous candidat à l’extradition. A l’époque nous ne savions pas, faute de communication des avocats, si Assange était extradé toujours en vertus d’un Mandat d’Arrêt Européen avec extradition vers un pays tiers, ou selon le traité bilatéral d’extradition entre la Grande Bretagne et les USA de 2003. Ma présence ici devait servir à répondre à ces questions.
Les agents de sécurité m’indiquent la salle 3 au première étage, dans un vaste hall vitré donnant sur la rue et à peu près vide. Le même planning est suspendu sur la porte en bois clair. Je photographie le document innocemment, n’ayant pas remarqué les caméras autour de moi, et convaincue qu’une annonce d’audience est publique puisqu’elle est affichée là et que donc je dois pouvoir garder une trace de cette annonce à tout moment.
A travers la petite vitre dans la porte, je vois les personnes dans la salle qui est ouverte. Je pousse donc la porte et je me retrouve dans cet espace restreint composé d’une estrade, de 4 rangées de pupitres et de deux box vitrés assez larges. Celui de droite, au fond de la salle, parait réservé au public. Je pousse la porte vitrée et je m’assieds au milieu de la première rangée. Je suis la seule des soutiens de Julian Assange. Une seule femme brune est assisse derrière moi mais j’ai l’impression, à son air concentré et préoccupé, qu’elle est une proche de mes compatriotes est-Européens qui seront jugés dans ces lieux.
Dans la salle d’audience, il y a certain remue-ménage. Le juge est un homme d’une soixante d’année, grisonnant, en costume clair, il ne porte pas d’habit officiel de juge. Il parle à un homme assis devant un ordinateur en bas de son estrade, le greffier probablement. Les avocats sont jeunes, hommes et femmes, ils discutent entre eux. D’ailleurs, l’ambiance est très éloignée de la majesté d’une cour de justice, je serais donc bien en peine d’indiquer qui est l’accusation et qui la défense, malgré la petite formation sur le fonctionnement des tribunaux anglais que je me suis procurée sur internet. Des jeunes filles en robe de ville, parfois en hidjab sur la tête, vont et viennent entre les pupitres, notent des choses sur les papiers. J’essaye de comprendre qui sont les avocats, qui les accusés, qui leurs interprètes…
Je ne sais pas trop quoi faire à ce moment-là. J’ai l’impression que les audiences n’ont pas encore commencé. Quand on ne sait pas, il faut se renseigner. Je sors de mon box et je me dirige vers le greffier. Je me présente comme étant une représentante de l’association de défense des droits de l’homme française, Wikijustice. L’homme me sourit aimablement et m’invite à prendre place dans la galerie du public. Tandis que je reviens à ma place, deux femmes entrent la pièce et me suivent. L’une est grande et blonde, l’autre asiatique. La femme blonde me touche le bras et me demande si je suis là pour Julian Assange. Je réponds oui et je me présente. Elles sont aussi des soutiens venus de l’extérieur. La femme blonde m’explique qu’on leur avait dit que l’audience était fermé et la porte du tribunal fermé. Mais quand elles m’ont vu entrer elles ont compris que ce n’était pas vrai. Elles m’ont donc suivi.
Il est 10 heures quand le silence se fait. Le juge commence à parler, mais je ne comprends pas tout, peu encore au fait du vocabulaire juridique anglais. Ce que je sais est qu’il n’y a aucun avocat de Julian Assange en vue ! A l’époque je n’avais jamais encore vu ses avocats en chair et en os, mais aujourd’hui, après avoir pendant deux ans observé l’action de Gareth Peirce, Edward Fitzgerald, Mark Summers, Alaistar Lyon, ou la non-action de Jennifer Robinson, Renata Avila, Juan Branco etc. je peux parfaitement certifier qu’aucune de ces personnes n’ont été présentes ce 20 septembre 2019 dans la salle 3 du tribunal Westminster quand le juge et le greffier ont prononcé le nom de « Julian Assange », à 10 heures.
C’est alors que la secrétaire dépose des papiers sur les bureaux du greffier, un homme se lève et parle de son pupitre et tous les yeux sont brusquement tournés vers l’écran télé suspendu sur le mur de droite. L’écran reste vide. D’après ce que je comprends, en l’absence des avocats de Julian Assange, le juge a demandé à un des avocats présents de jouer le rôle d’un avocat commis d’office. Je comprends aussi que Julian n’est pas là, mais pour le constater il faut un avocat. Effectivement, sans avocat et sans que l’accusé puisse ni être présent, ni être représenté, je ne vois pas comment une audience de justice peut être légale !
Le juge a constaté l’absence de Julian Assange en vidéo à 10 heures, mais je me dis que s’il reporte l’audience à plus tard, il faut être là ! En fait il faut rester toute la journée pour surveiller. Je constate aussi que les deux militantes anglaises n’ont même pas attendu que le nom de Julian Assange soit prononcé. Elles sont sortie une minute après être entrées et n’ont donc pas entendu ce qui se passe. Dommage j’aurais bien besoin de leur avis.
Je suis aussi curieuse de voir comment sont jugés les autres affaires, les Polonais extradés. Mais je ne peux pas rester très longtemps car j’ai aussi rendez-vous avec nos avocats. Le chaos s’installe de nouveau dans la salle, tout le monde se lève. Je décide d’en avoir le cœur net. Je sors du box et je me dirige vers l’homme qui a parlé de la salle. Je lui demande s’il est l’avocat de Julian Assange. Il me répond « No I have nothing to do with this case ». Et il va se rassoir à sa place pour la prochaine audience du Polonais qui suit.
Brusquement, deux agents de sécurité vêtus de blanc et noir viennent vers moi. Je me lève donc et j’écoute. Ils m’expliquent que j’ai photographié la feuille d’annonce qui est placardé sur la porte alors que c’est interdit. Ils veulent que je leur montre mon téléphone pour effacer la photo. Je sais qu’ils n’ont pas le droit de toucher à mes affaires, ici comme en France. Je leur demande de voir un officier de police judiciaire. Je leur précise néanmoins que l’audience est publique et l’annonce de l’audience aussi. Je devrais avoir le droit d’obtenir la photocopie de cette feuille au secrétariat du tribunal comme preuve de ce qui s’est passé ici aujourd’hui.
Les agents de sécurité sont bien ennuyés mais ils n’ont pas le choix, ils appellent la police. Le remue-ménage attire l’attention du juge qui s’enquiert de qui je suis. Du coup, je suis très contente de pouvoir expliquer qui est l’association Wikijustice Julian Assange et j’en profite pour lui dire que j’arrive exprès de France pour remettre au juge et au président du tribunal une lettre – par laquelle nous demandons des précisions sur l’audience fantôme du 13 septembre dernier. Je tends les documents au juge qui me dit « je ne peux pas les prendre ».
Alors, je fais comme j’ai appris à le faire au cours de nos luttes en Pologne et en Grèce : quand un tribunal refuse de prendre tes courriers, tu les leur laisse. Tu les leurs jettes, ils vont les prendre, ils sont obligés de les prendre ! Alors je laisse choir mes documents par terre. Et je sors. J’entends un bruissement derrière moi, mais je vois du coin de l’œil que les documents sont ramassés par la secrétaire. Dehors, un peu plus tard, un homme âgé dans un élégant costume, présent à l’audience, s’approche de moi pour me dire « ne vous inquiétez pas, votre courrier sera remis à la présidence du tribunal ». Je le remercie, l’homme tient mon papier dans les mains.
Mais d’abord, j’ai affaire à un agent de police très placide qui m’explique que je n’ai pas le droit de photographier dans le tribunal. Je lui demande la photocopie de l’affiche. Il est très aimable et va même au secrétariat pour demander au manager le droit de me donner ce document ! Hélas, le manager refuse. Alors, je lui dis que comme je suis arrivée ce matin à Londres je n’avais pas compris qu’il faut un chargeur spécial pour l’électricité. Mon téléphone est déchargé. Il me donne obligeamment son chargeur, nous attendons que mon téléphone se recharge en discutant du procès de Julian Assange. Il est impressionné que je sois venu de Paris pour ça.*
Mon téléphone est rechargé, je lui montre les photos faites. Aucune ne montre la feuille interdite. Alors l’homme lâche prise, s’incline et me permet de partir. Je file sans demander mon reste. En fait, j’avais fait la photo avec mon appareil photo…. De nos jours certaines personnes ne savent même plus que ce genre de choses existent.
En sortant de la Westminster Court, je revois les deux militantes anglaises à droite de la porte d’entrée, devant la banderole pour Julian Assange. Elle discute avec un homme de grande taille, que j’avais déjà vu sur les vidéos du parti trotskiste Socialiste Equality Parti[1] – nous étions au courant de l’engagement de ce parti pour Assange suite à la réunion houleuse que celui-ci avait organisé le 23 juin dernier à l’AGECA à Paris et qui s’était terminée en dispute houleuse avec les Gilets Jaunes présents. Il discute avec une femme brune.
Free Julian Assange! – World Socialist Web Site (wsws.org)
Je m’approche d’eux, je me présente, je présente WikiJustice Julian Assange, nous discutons. Je leur demande pourquoi ils ne sont pas venus dans la salle d’audience, il est mieux d’être plus nombreux pour faire pression sur le tribunal. Aux deux femmes qui m’avaient suivi je dis qu’il aurait fallu rester toute la journée au cas où l’audience serait reportée à une heure plus tardive ce que le juge peut faire à tout moment.
Assange’s Judges & Lawyers Associates | Le Club de Mediapart
A ma grande surprise, leurs réponses et leur déclarations sont floues et étranges. La femme brune me dit que c’est interdit d’entrer dans la salle, je lui réponds que ce n’est pas vrai, c’est est tout à fait possible, la preuve je suis entrée et j’ai assisté à l’audience ! L’audience a bien eu lieu, le nom d’Assange figurait sur le planning, mais aucun avocat n’est venu ! Comment se fait-il qu’aucun des nombreux avocats ne soit là ? Et qui est donc en réalité l’avocat de Julian Assange, le vrai, le sollicitor qui le représente à la Cour et défend ses intérêts en vrai, et pas dans les médias ?
La femme brune me répond que l’avocate sollicitor est Gareth Peirce ; qu’elle est une excellente avocate, très connue et que si elle n’est pas présente, c’est sûrement pour une bonne raison. Peut-être que l’audience n’était pas une audience importante. Je secoue la tête.
En droit il n’y a pas d’audience « non importante », tout est important, chaque mot, chaque virgule a un pouvoir sur le réel, est un pouvoir. Tous les avocats le savent. La preuve que l’audience existe est que le nom de Julian Assange a bien été prononcé par le juge, j’en ai été témoin, et que son nom est bien affiché sur le planning des audiences de la salle 3. Je conserve précieusement ma preuve ultime, la photo que j’ai réussi à faire et à emporter, et qui selon l’Etat de droit ne devrait pas être interdite puisque toute audience de justice est publique !
Je serai très choquée lorsque, quelques jours après, l’interlocuteur de cette conversation affirmera dans les vidéos des réseaux Unity4J, Defend Wikileaks et « Dont Extradite Assange » qu’il a été présent lors de cette audience DANS la salle 3 du tribunal alors que j’y étais SEULE au début, puis accompagnée de deux femmes ! Cette déclaration mensongère m’a mise en colère, je ne conçois pas qu’on puisse mentir de façon aussi éhontée, et je n’en comprenais pas la raison : ces personnes étaient bien dehors devant le tribunal et pas DEDANS !
Le pire en fut la justification donnée : l’audience ne serait qu’une erreur, ou une audience « technique sans importance », alors que c’est tout l’inverse qui est vrai ! En effet, le surlendemain, 23 septembre 2019 Julian, Assange allait achever les 6 mois de prison pour rupture de liberté conditionnelle auxquelles il avait été condamné après son kidnapping-arrestation du 11 avril. Alors, pour continuer à le maintenir en détention provisoire il faut qu’un mandat d’arrêt soit présenté ! L’audience du 20 septembre 2019 aurait dû présenter un mandat d’arrêt délivré par le juge pour que la détention de Julian Assange à Belmarsh ou Wandsworth soit légale !
Il n’en a rien été. C’est pour cela que sa détention est arbitraire depuis cette date.
L’audience fantôme du 20 septembre 2019 était donc très importante. Elle a été annoncé puis a eu lieu dans un cafouillage impressionnant en absence des avocats et du prévenu… Alors qu’elle aurait dû, selon les règles du droit, être reporté pour ces raisons…. D’ailleurs, puisqu’aucun mandat d’arrêt n’est valide, Assange sera peut-être libre, le dimanche soir, de sortir de Belmarsh ?
C’est tout à fait possible, puisque c’est la règle du droit – ce que m’a confirmé l’avocat que j’ai consulté peu de temps après mon passage à la Westminster Court ce vendredi 20 septembre 2019.
Il est d’autant plus surprenant que « Defend Wikileaks » ne mentionne pas que l’absence de mandat d’arrêt remis en bonne et due forme à la personne concerné (et il faut des preuves !) rend l’arrestation arbitraire ! Au contraire, ce site de soit disant « soutien » à Julian Assange affirme qu’il est normal de glisser d’une peine d’emprisonnement qui a prit fin le 22 septembre à une détention provisoire sans qu’aucun document ne soit présenté en justice, acte d’accusation, ni mandat d’arrêt ! C’est bien cela qui nous a montré que les « soutiens » officiels ne faisaient pas correctement leur travail[2] !
[1] Free Julian Assange! – World Socialist Web Site (wsws.org)
[2] Julian Assange Prison Updates – Defend WikiLeaks Defend WikiLeaks
2. Audience technique sans importance ?
Chez Gareth Peirce
Dans l’après-midi, je me rends donc au cabinet de maître Gareth Peirce, 14 Inverness Street, situé au cœur du fameux Camden Town, anciennement ouvrier, aujourd’hui totalement boboïsé avec de nombreux cafés et restaurants, magasins de bibelots, galeries d’arts, hostels pour jeunes touristes et salles de concert. Je me rappelle que c’est ici dans le Centre culturel de Camden qu’avaient eu lieu d’importants rassemblements du Forum Social Européen en octobre 2004 dans un quartier parsemé de friches industrielles, pas encore tout à fait transformé. Le cabinet d’avocats Birnberg and Peirce se trouve dans un minuscule bureau niché entre plusieurs restaurants sur une petite place pittoresque pleine de stands de vêtements vintage, de stands de livres d’occasion et de jeunes qui déambulent, boivent des bières et dansent au son d’un concert improvisé d’un orchestre de rue. C’est sympathique.
Je frappe à la porte du bureau dont la grande baie vitrée jouxte un restaurant, puis je pousse la porte. Devant moi un couloir sombre mène à des bureaux à l’étage de la petite maison. A gauche, une secrétaire est assise dans une petite pièce tapissée d’armoires à dossiers derrière un bureau encombré de papiers. Je dis que je suis venue de France pour le procès de Julian Assange, que je représente une association de défense des droits de l’Homme et que je voudrais rencontrer l’avocate sollicitor de Julian Assange pour lui parler d’un projet de stratégie politique européenne pour sa défense. Il se peut que j’ai mentionné que notre association est issue du mouvement des Gilets Jaunes qui a manifesté à Londres en février et mai son soutien à Julian Assange.
La femme parait surprise. Elle me dit que Gareth Peirce est certes présente, dans son bureau à l’étage mais qu’elle est occupée. Je lui dis que je reste à Londres quelques jours et que je suis disponible pour un autre jour, je lui laisse mon numéro de téléphone. La secrétaire hésite, me dit qu’elle doit parler à Gareth Peirce et qu’elle me rappellera. Alors, je lui dis qu’en particulier j’aurais aimé avoir des informations sur l’audience qui s’est déroulée ce matin même à la Westminster Court car le nom de Julian Assange figurait bien sur l’ordre du jour des audiences et qu’il a bien été prononcé par le juge. Je vois comme un moment d’effroi sur le visage de la femme. Elle s’écrie « Mais vous ne saviez pas qu’il ne fallait pas venir aujourd’hui ? Ce n’était qu’une audience technique. Sunshine Press ne vous a donc pas prévenu » ? C’est à mon tour d’être surprise. « Mais qui est donc Sunshine Press » ?
La femme me réponds mécaniquement « Toutes les associations de soutien à Julian Assange reçoivent normalement par un mail de Sunshine Presse les directives de ce qu’elles doivent faire. Vous n’avez pas de mail de Sunshine Press » ? Ce n’est certes pas notre style de recevoir des ordres, nous, nous souhaitons élaborer une stratégie politique en toute liberté et coopération, d’autant plus que nous voyons déjà l’absence d’activités des avocats comme dangereuse et inefficace pour Assange.
Je tends alors à la femme notre courrier pour Gareth Peirce « Pouvez-vous lui donner alors cette lettre» ? Par notre lettre nous constatons les multiples violations de droits dont Julian Assange est victime et nous demandons à Gareth Peirce des précisions sur son mandat d’avocat, un document officiel qui doit être signé de la main d’Assange, sur l’état de santé de Julian Assange, quelle preuve elle peut apporter qu’il est encore vivant et ce qui s’est exactement passé lors de l’audience du 13 septembre dernier.
La lettre est offensive mais pas offensante. En l’absence de la moindre conférence de presse de la part des avocats, de toute communication avec les militants, de toute information plus étoffé que les appels larmoyants sur twitter sur le thème « il va mourir, il se meurt » pathétiques et démobilisant, nous avons le droit, étant donné l’appel au secours que vous avons reçu de la part de Julian Assange, d’en savoir plus.
Je demande à la femme de signer qu’elle a bien obtenu mon courrier sur la copie de celui-ci que je lui présente – pour prouver vis-à-vis de ma hiérarchie que j’ai bien fait le boulot, d’amener le courrier à son destinataire Elle refuse, mais me donne une carte de visite de Gareth Peirce qu’elle paraphe.
Je remercie, je sors et je sais déjà qu’elle ne me rappellera pas. Effectivement, Gareth Peirce ne répondra jamais à notre courrier, pas plus que les autres avocats ou « avocats » d’ailleurs.
3. La prison Belmarsh le samedi 21 septembre 2019
Le lendemain, deux collègues de WikiJustice sont arrivés, nous nous rendons donc ensemble à la prison de Belmarsh, commune Thamesmead, station de train Plumstead de Victoria Station ou deux métro et un bus par l’Est de Londres. Il fait beau, le début d’automne est doux et ensoleillé. L’immense complexe en briques derrière de hauts murs en béton est imposant. Cette banlieue peuplée de Caribéens, de Polonais, de Roumains a l’air pauvre, mais il y a de nombreux restaurants et boutiques plutôt conviviales du côté de la station de train. Nous explorons les lieux : le grand terrain vague entre la station, la prison Thameside accolée au tribunal Woolwich devant lequel Assange fut photographié lors des audiences de janvier et févier 2011, puis le parking dans le parc aux grands arbres derrière la grille verte du portail de Belmarsh. Au centre du parking se trouve le Centre Visiteur, petit bâtiment en béton en face de l’entrée de la prison dite Belmarsh.
Je suis un peu étonnée par la propreté et la netteté de l’endroit. J’ai toujours pensé, suivant les lamentables reportages sur les prisons françaises, qu’une prison doit absolument être sale et lugubre. Belmarsh fait peur par sa masse et son mur en béton, mais c’est neuf et propre.
Nous nous dirigeons d’abord vers l’entrée principale. Il n’y a qu’un petit vestibule avec le portique de sécurité et un PC de sécurité plutôt réduit. Des hommes en uniformes de gardiens nous accueillent aimablement. Nous disons que nous avons réservé une visite (je l’ai fait pour le 23 et pour le 26 septembre) et nous donnons le « prisoner number ». L’homme nous oriente vers le Centre Visiteurs nous nous allons.
Je suis toujours surprise par la netteté et l’impeccable propreté des lieux. Nous nous dirigeons directement vers le PC de sécurité ou travaillent les gardiens, après avoir salué les bénévoles de l’association PACT derrière leur bureaux, elles sont chargées de gérer l’accueil des familles. L’ambiance du PC est plutôt détendue, comme un samedi, plutôt désert d’ailleurs. Les gardiens sont blacks et parlent avec un accent caribéen que j’ai du mal à comprendre mais ils et elles sont très compréhensifs.
La gardienne devant l’ordinateur ne lève même pas un sourcils quand je lui donne mon passeport, le numéro de prisonnier et le nom de Julian Assange, un détenu comme les autres, écrits sur une feuille. Ses collègues se penchent néanmoins avec elle sur l’écran : « désolé, mais vous n’êtes pas sur la « visitor list » du prisonnier au numéro A9379A ». La « visitor list » ?
https://www.prisonadvice.org.uk/hmp-belmarsh
Les gardiens nous expliquent que chaque détenu établit à son arrivée une liste de visiteurs qui sont autorisés à entrer le voir, au moins 3 fois par mois 2 heures, d’où les 3 dates et horaires proposés par le site internet « visit a prisoner ». On peut venir jusqu’à 3 personnes, mais toutes les 3 doivent être sur la liste, que le détenu peut faire évoluer à tout moment. Les avocats eux, peuvent entrer à tout moment et ne sont pas soumis à une limitation de temps. Le discours des gardiens contraste fort avec celui des avocats d’Assange qui clament être interdit de visite à leur client depuis voila 4 mois.
Belmarsh Prison – GOV.UK (www.gov.uk)
Nous demandons s’il y a une hiérarchie dans les visites. Est-ce que les membres de la famille sont privilégiés par rapport aux amis ? L’épouse plus que les parents ? Les enfants ? Doit-on être marié pour être sur la visitor list ? Doit-on prouver une parenté biologique pour être admis ?
Les gardiens paraissent étonnés de ce que nous disons : ils et elles expliquent que le système n’est pas discriminatoire, la famille de sang n’est pas privilégié, une compagne, un ami, un père une mère sont traités de la même manière. C’est le détenu qui décide s’il veut les voir et dans quel ordre, justement par le biais de la fameuse « visitor list ».
Je montre alors le mail de refus qui indique que Julian Paul A. n’est pas « available » à toutes les dates demandés. 5 dates sur 6 ont été annulées ainsi, il ne me reste plus que celle du 2 octobre. Les gardiens sont surpris, ils ne savent pas expliquer cette réponse. Mais selon eux c’est parce que le prisonnier ne m’a pas mise sur sa liste, peut être par ignorance de ses droits.
Ils nous conseillent donc de lui demander de mettre mon nom sur la liste. Cela a l’air très simple. Mais comment communiquer avec le prisonnier, alors que nous n’avons pas l’assurance qu’il reçoit nos lettre, n’ayant reçu qu’une seule réponse à 30 lettres envoyées en 3 mois ?(en faisant la somme des lettres que les membres les plus actifs de WikiJustice dont moi, avons envoyées depuis le mois de mai). Nos interlocuteurs sont bien ennuyés. Ils sont des travailleurs d’ici, ils ont à cœur de respecter et faire respecter les règles. Recevoir du courrier est un droit du citoyen emprisonné. Ils le savent et le disent.
Pour eux, il est impossible qu’une lettre n’arrive pas à destination à Belmarsh. Avez-vous bien indiqué le numéro du prisonnier ?- nous demandent-il. Attention, c’est impératif. Sans lui la lettre vous est renvoyée. Mais aucune de nos lettre ne nous a été renvoyées.
« Alors c’est qu’il les a toutes reçues ». Mais alors pourquoi ne répond-il pas ? Ou juste 3 lignes en 3 mois ? A-t-il de quoi écrire ? Les gardiens sont formels : la prison respecte les droits des détenus, ils ont du papier, des stylos, de l’aide s’ils ont du mal à écrire. Si nous avons bien mis et bien timbrée l’enveloppe du retour, il n’y a pas de raison que Julian Assange ne réponde pas !
A ce stade, je crois que les gardiens ont compris qu’on parle d’un célèbre prisonnier politique. Mais nous continuons à discuter de Julian Assange comme d’une personne ordinaire. Les gardiens jurent leurs grands Dieux que personne n’est privé de courrier ici : toutes les lettres qui comportent le numéro d’écrou lui sont donnés, celles qui ne le comportent pas sont renvoyées à l’expéditeur. Il n’y a pas d’autres solution. Ils ont l’air sincèrement désolés.
Ils nous proposent alors de signaler notre présence et notre besoin de communiquer par un colis. Hélas, le prisonnier n’a droit à des vêtements personnels que s’ils lui sont fournis dans les 28 jours suivants sa mise en détention. Après, il doit les acheter dans le magasin de la prison. La famille peut lui envoyer de l’argent mais uniquement 30 Livres par jour. Je suis scandalisée par ce système de privatisation. Avec 30 livres on ne peut acheter grand-chose, pas une veste chaude ou un manteau par exemple. Assange a été arrêté en avril, est ce que quelqu’un s’est préoccupé de savoir s’il a des vêtements d’hiver ?
Mais on peut lui envoyer des sous-vêtements et des chaussettes, à tout moment. Qu’à cela ne tienne, nous le ferons. Nous vérifions l’adresse de l’envoi, nous demandons s’il y aura un accusé de réception (oui ; toujours nous répondent les gardiens !) et nous acceptons de remplir une « complain », une feuille de réclamation auprès des gentilles bénévoles du PACT puisque nous trouvons que la règle des 28 jours pour obtenir des colis de la famille est abusive et discriminatoire.
L’accueil des gardiens et du personnel du visitor center a été des plus aimables. Nous avons une réponse à toutes nos questions, mais nous ne comprenons toujours pas qui gère la visitor list de Julian Assange, puisque nous sommes convaincus que s’il y avait accès, il accepterait d’autres visiteurs que les seuls Ai Wewei, Pamela Anderson et John Shipton qui lui auraient rendu une visite en 4 mois. Et il nous accepterait puisqu’il nous a envoyé une lettre avec un SOS. Comment lui manifester que nous avons bien reçu son SOS ?
Les gardiens sont par ailleurs impressionnés par notre groupe venue exprès de Paris pour lui. Cela dit, le public des pensionnaires de Belmarsh est à l’image de la classe ouvrière britannique, forcément cosmopolite : Irlandais, Polonais, Pakistanais, Indiens, Roumains, les Africains, Caribéens…. Le fait que des Français rendent visite à un Australien n’est pas complètement hors norme ici.
Nous prenons congé. Avant de quitter les lieux nous échangeons quelques mots avec Ciaron O-Reilly, le militant toujours assis sur un fauteuil de camping, montant la garde dans le petit bois devant la grille de la prison. Une banderole signale sa présence et il voit obligatoirement tous ceux qui franchissent les grilles du parking de la prison. Ciaron s’est toujours présenté comme le meilleur ami de Julian Assange, mais voilà qu’alors que le procès commence, il nous annonce devoir quitter la Grande Bretagne et abandonner son poste pour soigner sa vieille mère malade. D’accord. Mais peut il dire si Assange a reçu des visites pendant l’été ? connait-il John Shipton qui jusqu’alors ne communiquait rien sur son «fils » ? « John Shipton, oui il est venu une fois à Noël, en 2018, à l’ambassade ». Nous ne pouvons que lui dire adieu et souhaiter bon retour en Australie.
Nous passons le reste de la journée à faire les courses dans les boutiques de fringues pour homme de Londres et nous lui choisissons quelques belles pièces de marque. Les chaussettes sont mauves et jaunes, bariolées, selon les photos Assange aime bien les chaussettes rigolotes. Elles sont chaudes aussi, ce qui n’est pas superflu avec le froid qui vient. Une de nos amies militantes vivant en Angleterre est chargée de poster le colis dès lundi.
Mais il n’est pas facile de lui faire parvenir un message via un colis, nous nous doutons qu’un courrier caché dans les vêtements sera immédiatement intercepté. Quelle solution choisir ?
(Quoi qu’en en fut, nous n’avons jamais su si Julian Assange a reçu nos colis et a eu l’occasion de voir et porter nos chaussettes. Le colis n’est jamais arrivé à destination. Il n’y a jamais eu d’accusé de réception. Et le colis ne nous a été jamais renvoyé. Lorsque nous avons effectué notre enquête à la poste un mois plus tard, il semblerait que les colis et lettres stagnent au bureau de poste local et que la prison ne vient pas chercher les envois destinés à Julian Assange. Il apparait comme s’il existait un circuit parallèle au sein même du bureau de Woolwich de la Royal Mail ou les lettres et les colis pour Assange sont remis. La poste ne les renvois par aux expéditeurs puisqu’elle considère avoir fait son travail, avoir livré le destinataire, mais ce n’est pas la prison qui récupère les envois. Qui gère donc ce mystérieux circuit parallèle dont l’existence tendrait à prouver qu’Assange n’est pas à Belmarsh mais dans un autre endroit, une prison secrète ?)
4. L’ambassade
Le lendemain je veux voir la fameuse Ambassade de l’Equateur du 3 rue Hans Crescent pour comprendre comment il est possible que Julian Assange ait pu passer 8 ans enfermé dans cet appartement. Le quartier autour du métro Knightsbridge est effectivement situé en plein centre des beaux quartiers de Londres, entre le Green Park et le Buckingham Palace, Belgravie et Eton Square (le quartier des ambassades) à l’est, le Hyde Park et le Kensington Palace au Nord, et les musées royaux (Natural History Museum, Victoria and Albert Museum…) de South Kensington à l’Ouest. Des immeubles en briques rouges, certaines de 10 étages, d’autres ayant des dimensions de grandes villas, avec charpente en bois façon maisons alsaciennes, sont disposées autour d’une place ronde pourvue d’un jardin, le Hans Place Garden. Tout juste au Nord se trouve le pâté de maisons que nous recherchons.
Je suis surprise de constater que la rue Hans Crescent se présente comme un demi-cercle qui relie le boulevard Sloane Street à la rue Basil Street ou se trouve le grand magasin de luxe Harrods. En fait, ce qui me frappe, c’est à quel point l’immeuble du 3 Hans Crescent Street, haut de 6 étages, est enclavé. Dès qu’on accède à la rue Hans Crescent par Sloane Road, on a une vue directe et plongeante sur le fameux balcon ou Julian Assange officiait pour les discours et les conférences de presse. Hans Crescent Street c’est comme une petite place avec 3 ruelles qui arrivent directement en étoile sur le bâtiment en question. C’est un endroit donc extrêmement facile à bloquer, à cerner. Dès que je vois ce spectacle j’ai compris que c’est un lieu très inhabituel pour des ambassades qui pour des raisons évidentes de sécurité préfèrent des avenues dégagées pour avoir une vue d’ensemble sur ce qui se passe autour d’elles.
Ici, tout le monde voit de loin les appartements diplomatiques de l’Equateur, mais encore on peut facilement les encercler. Les autres ambassades obéissent bien à la règle qui me semble être évidente : elles sont situés dans des villas ou petits immeubles sur des avenues plus vastes avec une vue dégagée. Je me demande comment Julian Assange a pu accepter d’entrer dans un lieu aussi mortel pour lui : alors qu’il devait traverser un océan pour arriver en Equateur, il accepte de se terrer dans un piège pareil ? L’immeuble, le pâté de maison est si facile à piéger que c’en est effrayant. Chaque lieu me semble préférable à ce qui ressemble à un piège mortel.
Puis, en m’approchant de l’immeuble, j’aperçois des détails qui n’ont jamais été filmés ni photographié par tous les médias qui ont tant de fois participé aux mises en scènes des sorties d’Assange sur le balcon : l’appartement du rez-de-chaussée à gauche de l’entrée, celui ou se trouve le balcon avec le drapeau de l’Equateur, donne sur une petite impasse, la Landon Place, qui n’a jamais été filmée. Au fond du bâtiment se trouve un autre bâtiment assez haut, une porte qui ressemble à une sortie de secours signale l’entrée. En face de l’appartement de l’Equateur, il y a une énorme porte béante ! C’est l’entrée de livraison de Harrods ou d’ailleurs circulent quotidiennement des dizaines de camions, juste sous les fenêtres de ce qui devait être le refuge et la prison de Julian Assange !
Je me risque dans le sous-sol du garage Harrods, je croise un agent de sécurité qui m’informe que oui, le sous-terrain est très profond, les camions passent SOUS l’immeuble pour livrer grand magasin à droite du 3 Hans Crescent Street. En fait l’immeuble du fond de l’impasse Landon, auquel est adossé le 3 Hans Crescent Street appartient aussi à Harrods, ce sont ses bureaux.
L’appartement équatorien possède sur la façade de Landon 4 fenêtres. Pas moins de 3 portes (une normale et deux sorties de secours) signalent qu’on peut tranquillement quitter l’appartement par cette impasse sans sortir par la porte d’entrée. Il n’aurait pas été possible pour la police d’encercler longtemps les voies de passages du magasins Harrods sans déranger le travail de livraison.
Et dans la confusion quotidienne, je doute qu’il ne soit pas possible de sortir de la « mission diplomatique » par une des sorties de secours – un étrange site accusateur montre narquoisement Greekemmy entrer et sortir par une de ces portes devant une police qui ne gêne pas du tout son manège ![1]
DOCUMENTARY – Julian Assange: 2010-2021 (julianpaulassange.com)
Je vois bien de mes propres yeux que l’étrange site dit la vérité : l’appartement équatorien possède bien une issue de secours sur l’espace Landon, peut être même deux si un des basement, des locaux à ras le sol, lui appartiennent aussi. (le cadastre prouvera que l’Equateur possède bien un appartement et un local de stockage à ras le sol donnant sur l’impasse Landon). D’ailleurs, devant moi une jeune femme latino-américaine sort d’une des sorties de secours pour fumer une cigarette dans l’impasse sous les fenêtres équatoriennes.
Ces locaux basement courent sous l’ensemble du bâtiment, une partie s’enfonce au sous-sol et a l’air de communiquer avec des souterrains, métro ou égouts. En tout cas, on voit bien que si la rue est facilement encerclée, de multiples sorties permettent de quitter le bâtiment sans passer par la porte d’entrée principale, surtout si on est tout à fait en accord avec la police posté devant le bâtiment. Quand nous examinons l’immeuble le dimanche 22 septembre 2019, il n’y a pas plus de police que dans une rue normale de Londres.
Mais il n’est pas rare de croiser des pelotons de policiers devant les villas du quartiers des ambassades : Selon la Convention de Vienne, la police du pays d’accueil a le devoir de protéger les locaux diplomatiques. Elle n’a toutefois absolument aucun droit de contrôler les visiteurs d’une ambassades, tout récit de ce genre n’est pas crédible. Le contrôle des visiteurs est toujours effectué par le service de sécurité du pays qui possède l’immunité diplomatique. On fait venir et on paye des hommes qualifiés exprès pour la protection de sa mission diplomatique ou consulaire.
De plus ces services sont toujours internes, ces hommes sont souvent très qualifiés, expérimentés dans ce type de protection, spécialement formés et entrainés. Ils peuvent aussi posséder un passeport diplomatique car ils font partie du personnel de la mission.
L’idée qu’un Etat puisse embaucher une douteuse entreprise de sécurité privée dont le siège est dans un pays étranger, et dont les salariés ont des contacts quotidiens avec une puissance étrangère ennemie et laisser cette entreprise faire ce qu’elle veut dans ses locaux n’est pas imaginable dans l’authentique monde de la diplomatie à l’ancienne (celle que j’ai connu avec mes parents et ma famille dans un pays de taille moyenne, la Pologne…). En clair, j’ai de grands doutes que les services de Rafaël Correa aient pu embaucher UC Global pour contrôler les entrées et sorties de leurs mission diplomatique et ne pas s’apercevoir que ces hommes au passé de mercenaires abusaient de leur pouvoir et installaient des caméra à l’intérieur de la mission pour un espionnage très spécial ! Rafaël Correa n’avait il pas de services secrets pour le mettre en garde ? Ses diplomates ne connaissaient pas ou se moquaient des règles de sécurité évidente dans le milieu diplomatique ? Que valaient donc ces diplomates et que valaient donc la présidence de Correa, capable de mettre à ce point, au-delà de la question de l’asile politique d’Assange, les propres locaux de son ambassade et ses propres salariés en grand danger ?
Mais le pire dans l’histoire fut de voir que sur le même palier, mitoyenne de l’appartement de l’Equateur, se trouve l’ambassade de la Colombie ! C’est même comme une mission jumelle : elle est en face de l’Equateur sur le même palier du rez-de-chaussée, mêmes fenêtre donnant coté Basil Street, même balcon, même drapeau presque…. On pourrait les confondre…. Mais les médias n’ont jamais montré l’ambassade de Colombie à 20 mètres du local équatorien ! Ils ont toujours soigneusement découpé leur prise de vue, si bien que le public est convaincu que seul l’Equateur possède un local dans cet immeuble. Les deux pays partagent donc le même immeuble la même cage d’escalier, l’ascenseur, et le même agent de sécurité qui se lève quand il me voit m’approcher de la porte d’entrée ! En fait, je photographiais l’interphone avec ses inscription « Embassy of Colombia à gauche » et Embassy of Ecuador à droite » !
La Colombie, pays ennemi de la gauche latino-américaine, agent des Etats Unis, est voisine de l’Equateur de Correa ici, avec la proie idéale, Julian Assange, enfermée juste à 3 mètres de leur ambassade ! Je frémis en le constatant ! Ce genre d’imprudence inouïe me laisse sans voix. Jamais aucun pays de l’Est n’aurait accepté de loger sa mission dans un local mitoyen de ses pires ennemis, jamais la Pologne Populaire, ni l’URSS, mais jamais non plus la France capitaliste. Il y va de la sécurité du pays, à cause des risques évidents d’espionnage mais aussi parce que cette proximité va générer des incidents qui peuvent mener à des tensions diplomatiques et servir de prétexte pour déclencher une guerre !
Je contemple ce spectacle inédit de l’imprudence incroyable et coupable de l’Equateur maintenant Assange pendant 8 ans à deux doigts de ses pires ennemis, et j’ose espérer que peut être la Colombie s’y est installée récemment. Nous continuons Basil Street et nous trouvons une pizzeria un peu m’as tu vu à l’angle de la rue en face du Harrods . Nous nous attablons au bar devant un serveur qui est réellement napolitain, accent, bijoux et tatouages faisant foi. Il nous sert nos drinks et sourie narquoisement. Non l’ambassade de Colombie se trouve ici depuis très longtemps (le cadastre prouvera que c’est vrai). Et en ce qui concerne l’Equateur « on n’a jamais vu d’Equatoriens ici. Que des Colombiens ». Il travaille ici depuis 3 ans et il est formel.
Ma pensée chemine rapidement. Je comprends que tout dans cette place a l’air d’une mise en scène. Il est très facile de fermer la rue des deux côtés, de poster quelques policiers ou « policiers » devant l’immeuble, de filmer quelques personnes avec 3 pancartes devant le balcon pour faire foule. Une mendiante roumaine fait inlassablement le tour du Harrods en demandant l’argent. Celle-là, elle en sait des choses sur ce qui se passe dans le quartier… qui vient, qui rentre, qui fait quoi… Elle est peut – être là pour ça. Ca doit rapporter, mendiant sous le Harrods… Le 18 octobre je l’aborderai. Elle est de Suceava, pas la région la plus pauvre de Roumanie. Puis je ne la reverrai plus.
Là ou ce n’est pas crédible, l’encerclement de l’ambassade de l’Equateur par la police londonienne, c’est que du même coup ils auraient dû contrôler les allées et venues vers la Colombie mitoyenne. Aucun n’Etat n’accepterait un tel bris de la Convention de Vienne ! Et puis il aurait fallu que la police contrôle aussi… les riches résidents du luxueux immeuble qui rentrent chez eux ! Illégal et impensable ! Quel copropriété accepterait cela sans tout faire pour chasser les trouble-fêtes ! Jamais Assange n’aurait pu rester cloîtré ici 8 ans ! Ca ne fonctionne pas ! Qui aurait toléré un barouf pareil sous ses fenêtres, et à fortiori quand vous êtes propriétaire d’un appartement en face du Harrods à Londres qui a coûté 1 million de livres au moins !
D’ailleurs, aucun ambassadeur digne de ce nom n’accepterait de travailler dans des locaux aussi exigus et exposés que l’appartement équatorien du 3 Hands Crescent Street, composé d’un petit salon donnant directement sur la rue au rez-de-chaussée et de quelques petites pièces pourvues de 4 fenêtres donnant sur une impasse sombre. Un ambassadeur, un premier secrétaire, un attaché politique ou militaire sont en danger s’ils peuvent être vus de la rue ou des immeubles environnant, à fortiori s’ils côtoient tous les jours les membres de la mission diplomatique de leur voisin ennemi… C’est bien pour cette raison qu’une résidence d’ambassadeur est soumise à des normes particulières de sécurité, tout comme son bureau. Lui et son équipe doivent être protégé un maximum. Quand on achète ou loue un local pour une mission diplomatique, on le choisit de préférence éloignés des voisins, derrière un haut mur, ou dans un endroit dégagé pour pouvoir mieux surveiller les alentours. La sécurité d’une mission diplomatique est tout un métier que personne ne confie à des amateurs, les pays d’accueil risquant de se trouver sur la sellette si un attentat ou un crime est commis dans les locaux dont ils sont garants.
La seule explication qui vaille est que cet appartement est certes la propriété de l’Equateur, mais il n’abrite pas les bureaux de l’ambassade et les diplomates n’y travaillent pas. D’ailleurs, il ressemble plutôt à un local d’archives et de stockage. Très probablement ce sont des employés subalternes mais indispensables qui y travaillent ou même y sont logés : chiffreur, chauffeur, sécurité, peut être le 2ème consul, souvent responsable des questions de sécurité… J’ai connu dans mon enfance ce genre d’appartement, à la fois situé dans de beaux quartiers, mais plutôt modestes et fonctionnels à l’intérieur. Il n’est pas rare que ces employés pourvus du passeport diplomatique logent dans un appartement situé au-dessus de leur bureau, comme c’était fréquemment le cas pour la Pologne Populaire mais aussi pour la France, surtout lorsque leur travail contient de longs moment d’astreinte de nuit et de jour et qu’ils doivent être en permanence à disposition du chef de la mission.
Cela expliquerait alors le vide des locaux montrés dans les vidéos dites « fuités » de « l’ambassade » – on n’y voit jamais aucun dossier, aucun document, aucun va et vient de salariés, mais juste un Assange assis devant une table de salle à manger vide devant une bibliothèque quelconque, devant des affiches publicitaires convenues représentant le pays. Exactement le décor de bureaux, soit subalternes d’une mission, soit vidés après déménagement dans d’autres lieux. Cela explique aussi la présence d’une petite cuisine et d’une petite salle de bains, nécessaire aux employés soumis aux astreintes de nuit.
A mon avis, Julian Assange n’a pas vraiment vécu dans cet appartement pendant 8 ans. Il y a passé peut-être quelques mois, on lui a peut-être fait croire que pour les besoins de la cause, il fallait cette mise en scène dramatique du prétendu encerclement d’une « ambassade ». En réalité, l’Equateur négociait tout le temps sa sortie avec le Royaume Uni, la Suède et les Etats Unis, ce qui est logique. Le reste du temps il pouvait sortir par les issus de secours comme Greekemmy le montrait sur la video narquoise du « General Sands ». Ou se trouvait-il alors ? A Ellingham Hall ? Chez Tracy et David Sommerset dans le château de Badminton ? Dans le château d’une autre bienfaitrice aristocratique du projet « Wikileaks », Helena Kennedy of the Shaws ?
Labour peer Baroness Helena Kennedy ‘asked Julian Assange’s alleged victims to drop rape charges’
Cela ne veut pas dire qu’il fut libre et heureux, loin de là. Plutôt un captif de luxe, un otage sous contrôle comme souvent il y en a eu dans les cercles de l’aristocratie britannique… La dernière en date ayant été Alice von Darmstadt Hesse, épouse Battenberg, la grand-mère de l’actuel héritier du trône de l’Empire britannique.
J’aurais aimé savoir si Julian Assange a pu sortir de Belmarsh ce soir, puisqu’il a purgé sa peine. Mais il est trop tard ce soir pour retourner en banlieue.
[1] DOCUMENTARY – Julian Assange: 2010-2021 (julianpaulassange.com)
5. Wandsworth
Le lundi 23 septembre 2019, nous nous déplaçons à la prison de Wandsworth pour vérifier si Julian Assange n’y a pas été transféré car nos avocats polonais nous ont certifié que c’est le centre de détention où se trouvent les hommes en attente d’extradition. Pour nos avocats, il est impossible qu’Assange se trouve à Belmarsh une fois sa peine fini le dimanche 22 au soir. Il doit obligatoirement être transféré à Wandsworth. C’est d’ailleurs là qu’il a été détenu le 10 décembre 2010 après l’émission du Mandat d’Arrêt Européen et c’est cet établissement qui a établi ce numéro d’écrou dont nous nous servons aujourd’hui. Je soupçonne aussi la vidéo « fuitée » de juin d’avoir été tournée plutôt à Wandsworth dans une salle commune d’un lieu certes fermé, comme un hôpital psychiatrique ou un centre de rétention, mais certainement pas une prison « de haute sécurité ».
Mes pressentiments sont plutôt corrects, car Wandsworth est une sympathique banlieue résidentielle victorienne. La prison se trouve dans le centre-ville, dans un beau parc, entourée de petites villas. Elle se présente comme une sorte de château néogothique dont la porte d’entrée donne directement dans la rue, et en face d’un jardin d’enfants ! Ce n’est donc pas un lieu ou on enfermerait des criminels dangereux, plutôt un centre de rétention pour étrangers comme hélas il y a tant en Europe, et encore, il est de plutôt bonne facture. Nous entrons directement dans l’entrée ou nous sommes accueillis par un homme âgé qui ressemble plus à un concierge qu’à un gardien de prison.
« Legal visit ? » me demande-t-il au vu de mon allure d’avocate en tailleur bleu marine. Je souris. Non, je suis une proche d’un prisonnier dont la peine est fini depuis hier, mais il est soumis à une procédure d’extradition. Je ne sais pas où il se trouve, Belmarsh m’ayant dit qu’il a été transféré ici. L’homme est désolé. Il peut vérifier le numéro et il le saura ce qu’il est, mais il n’a hélas pas le droit de nous le dire. Nous discutons, l’homme est d’accord pour vérifier. Nous ne donnons pas le nom d’Assange, d’ailleurs il ne nous le demande pas. L’ambiance est plutôt celle d’un centre social, d’un hébergement d’urgence pour SDF, qu’une prison.
D’ailleurs, quelques minutes plus tard, mon collègue va prendre des photos de la bâtisse en discutant architecture victorienne avec ce gardien et ils vont tous les deux fumer une cigarette devant l’entrée.
Entre temps, le gardien nous propose de téléphoner à l’aumônier. Car le secret est le suivant : il faut certes réserver à l’avance une visite effectué à un proche, mais on peut néanmoins essayer d’arracher un droit de visite impromptu tous les jours auprès de l’aumônier… Preuve s’il en est, que Wandsworth n’est pas une vraie prison. Nous téléphonons immédiatement à l’aumônier et nous lui disons le nom de notre proche. L’aumônier nous répond qu’il peut vérifier si ce transfert a eu lieu, et que si nous voulons essayer d’obtenir une visite, il faut venir à 7h30 tôt le matin. C’est très intéressant. Nous devons le rappeler plus tard pour connaitre les résultats de sa démarche.
Nous attendons donc dehors, le temps est radieux, les arbres arborent des parures dorées, il fait très doux et la charmante petite ville respire la tranquillité et un bonheur paisible. Cela contraste avec l’existence de cette prison ou le prolétariat migrant attend son sort dans l’impuissance, mais comme il n’y a ni police armée, ni ambiance tendue et violente, on aurait pu oublier la vocation répressive du château devant lequel nous nous trouvons.
D’ailleurs, j’aborde un jeune Polonais, vêtu d’un tee-shirt ornée de l’aigle blanc avec sa couronne d’or souligné d’un « Dumny ze jestem Polakieme (« Fier d’être Polonais ») en lettres rouges. Il attend un pote qui doit sortir après le paiement de sa caution et suite à libération provisoire décidé le vendredi dernier à la Westminster Court. Je dis au jeune homme que nous avons dû nous croiser au tribunal puisque j’y étais le matin et j’ai remarqué les noms polonais sur la liste. En bon migrants polonais, nous discutons des mérites comparatifs de nos pays d’accueil respectifs. Mieux vaut-il émigrer en France ou en Angleterre ? Le jeune est formel : l’Angleterre est très bien, on vit correctement, on a du travail, on peut amener sa famille et les enfants sont facilement scolarisés. Ce ne sont pas les Anglais qui harcèlent les migrants polonais de Mandats d’Arrêt Européens, c’est bien les autorités polonaises. La preuve, son pote subit après 12 ans de séjour sans nuage sur les iles britanniques une vieille action en justice suite à une banale bagarre de bistrot dans son village… Si on veut pourrir la vie de quelqu’un, on fait un mandat d’arrêt européen. Je ne peux qu’approuver pensant à ce que j’ai subi en Grèce.
Mais heureusement, les Anglais accordent facilement une libération sous caution, le fameux « bail », pour peu qu’on ait une adresse et un emploi. D’ailleurs, son avocate s’est battue vendredi à la Westminster Court et a obtenu une libération et une comparution libre dans quelques mois pour juste une caution de 2000 livres, le tout pour des honoraires de 600 livres. Ce n’est pas cher payé, le jeune homme me vante les mérites de son avocate et me donne ses coordonnées. En échange, je lui raconte ce que je faisais à la Westminster vendredi. Il compatit que « mon homme » soit menacé d’extradition aux Etats Unis car c’est bien connu que là-bas c’est un enfer. Il me recommande encore son avocate qui est forcément meilleure que « les miens » qui ne sont même pas venus à l’audience !
Le jeune Polonais confirme ce que nous a dit l’aumônier, mais pour le transfert il nous conseille d’aller au Vistor Center qui se trouve à deux pas du château. Le Vistor Center ressemble à un petit centre social de quartier et il est aussi géré par l’association PACT. Les dames du PACT sont aussi gentilles et serviables que celles de Belmarsh. Elles sont formelles : personne n’a été transféré la veille de Belmarsh à Wandsworth. C’est effectivement un processus normal de sortir d’une vraie prison ou on purge une peine pour aller vers un simple centre de rétention en attente d’extradition.
La principale accueillante nous certifie qu’elle ne peut pas en savoir plus sur la voie juridique. C’est au avocats de faire une demande officielle pour savoir si le transfert a lieu. Et naturellement, nous bénéficierons d’un droit de visite si nous sommes sur sa « visitor list ». (encore elle !), Ce qui sûr, par contre, est qu’il gardera le même numéro sous lequel nous pouvons écrire et envoyer les colis. D’ailleurs, le colis chaussettes-sous-vêtements que nous avons préparé, nous pouvons le déposer dans une grande boîte prévu à cet effet. Ce sont les dames du PACT qui se chargent elles-mêmes de distribuer les colis et elles s’efforcent de le faire le plus vite possible. S’il n’est pas là, le colis et les lettres seront directement envoyés par le centre de Wandsworth là ou notre proche se trouvera.
Nous donnons à la fin incidemment le nom de Julian Assange, mais nos interlocutrices ne changent pas d’attitude, ce nom ne leur évoque visiblement aucune célébrité. Dans les prisons londoniennes, personne n’a l’air de savoir qui est Julian Assange.
Nous laissons notre paquet dans la grand boîte pleine de colis. Il nous sera renvoyé dès la semaine suivante. Visiblement, notre colis n’a pas suivi Assange dans une autre prison, ni à Belmarsh ni ailleurs, contrairement à ce que stipule le règlement des prisons. La question « ou est Assange » se pose avec de plus en plus d’acuité. Avec ces actions, j’ai acquis la certitude qu’il ne peut pas être à Belmarsh.
Nous arrivons à joindre l’aumônier une heure plus tard mais il est plus évasif que la première fois. Il ne peut que nous certifier qu’aucun transfert n’a été effectué hier soir. Il ne sait rien de notre prisonnier dont le nom n’est pas prononcé alors que nous lui avons donné le numéro d’écrou. L’aumônier a cependant accès aux identités des détenus puisqu’il a le droit de leur organiser des visites informelles… Il ne nous propose pas de revenir à 7 heures du matin pour tenter notre chance. Devant sa réticence et la nécessité de rentrer en France, nous n’insistons pas.
6. Les Avocats
Nous revenons rapidement dans le centre de Londres car il ne nous reste plus qu’une après-midi pour remettre nos courriers aux avocats « barrister ». Nous commençons par Doughty Street Chambers, le cabinet d’avocat de Geoffrey Robertson et de sa protégée Jennifer Robinson[1]. Il se trouve dans un ensemble de charmantes petites maisons anciennes 54 Doughty Street dans le quartier des avocats Holborn. Nous faisons le tour de la petite place en cherchant l’entrée principale. Derrière la porte à l’ancienne, le décor est luxueux et épuré, digne de ce riche établissement spécialisé dans le droit des affaires des multinationales anglo-saxonnes. A l’accueil, nous demandons un rendez-vous avec Jennifer Robinson. L’hôtesse nous répond que Jennifer Robinson se trouve encore pour deux semaines à New York.
Nous sommes surpris : elle doit préparer la plus importante audience d’extradition d’un prisonnier politique européen qui se tiendra dans moins de 3 semaines et elle se promène encore à New York !…Il lui restera une semaine pour préparer le 11 octobre. Comment croire que cette personne peut être crédible ? Alors, nous présentons WikiJustice Julian Assange comme une association française qui s’est constituée pour être partie civile dans sa défense. Nous voudrions voir Jennifer Robinson pour discuter d’une stratégie commune. Comme elle est absente, est-ce qu’il n’y a pas quelqu’un qui la remplace ? N’a-t-elle pas un/e assistante ? La jeune hôtesse d’accueil est sincèrement perplexe. Elle nous affirme que personne d’autre à Doughty ne s’occupe du cas de Julian Assange (il n’est donc pas question de la célèbre Amal Clooney ni de Geoffroy Robertson, le patron…).
Elle nous propose de déposer un message. C’est parfait, nous avons justement un épais courrier pour Jennifer Robinson, bien argumenté, dans lequel nous lui demandons des informations sur son mandat et sur l’audience du 13 janvier et nous partageons notre inquiétude sur l’absence de preuve de vie de Julian Assange et sur son état de santé.
Nous nous asseyons sur un canapé dans la salle d’attente pour remplir une fiche de demande de rendez-vous et nous y restons un quart d’heure. De retour au bureau d’accueil, nous essayons d’en savoir plus. Est-ce que Liam Walker, qui apparait dans le jugement du 2 mai 2019 remplace Jennifer Robinson ? La gentille employée commence par nous répondre, oui il est son assistant, mais voila que sort de nulle part un autre employé, un jeune homme aux méthodes bien plus expéditives qui l’air d’être le supérieur hiérarchique de notre hôtesse.
Il est sec et nous fait comprendre que nous n’obtiendrons aucune autre information. Nous devons laisser nos documents et partir. Nous sommes surpris mais évidemment je n’insiste que pour une confirmation de dépôt de notre courrier. « Moi aussi je dois justifier auprès de ma hiérarchie que j’ai bien amené le courrier à bon port », ce sont mes arguments. Le garçon refuse de signer la feuille que j’ai préparée, mais signe une carte de visite. C’est déjà cela, mais leur réticence nous parait très louche. Pourquoi refuser de rencontrer une association qui vient de loin pour les aider ? Et si nous apportons des informations capitales pour leur dossier ? Un avocat normal ne refuse jamais ce genre de soutien, et s’il ne peut être personnellement présent, il ou elle a normalement un secrétariat. Ici, on a l’impression que Jennifer Robinson n’est jamais là et qu’aucun/e secrétaire ne travaille pour elle.
Nous n’avons jamais obtenu la moindre réponse de la part de Jennifer Robinson. Au fil du temps, cela a cessé de nous étonner.
Notre dernier objectif est le bureau du cabinet Matrix Chambers ou officie Mark Summers, le barrister de Julian Assange qui apparait aux côtés de Jennifer Robinson.
Matrix Chambers est un cabinet d’avocats encore plus grand et célèbre que Doughty Street, spécialisé dans de complexes affaires internationales, avec des sièges Genève et Bruxelles. Nous apprendrons plus tard que comme les autres cabinets d’avocats, ceux de Matrix Chambers peuvent représenter les intérêts de ceux qui sont leurs adversaires au même moment dans une autre affaire. Ils peuvent être des avocats d’accusation tout comme des avocats de défense. C’est ainsi que Mark Summers a défendu des intérêts américains en contradiction avec les intérêts de son client Julian Assange, mais cela ne gêne personne ici[2].
Nous avons un peu de mal à trouver le Griffin Building au sein du complexe Grays’Inn, pourtant à quelques rues de Holborn, à Chancery Lane[3]. Nous comprenons enfin que Matrix Chambers se trouve dans un bâtiment historique au cœur du système juridique anglais. En effet Gray’s Inn est l’une des 4 associations historiques de juristes qui ont fait la Common Law depuis le 12ème siècle. Gray’s Inn est tout un quartier d’immeubles du 18 siècles entourant un joli jardin avec au milieu une chapelle du Moyen Age. Nous comprenons que Matrix Chambers est situé au cœur du pouvoir politique anglais lorsque nous cherchons ses bureaux dans le dédale des maisons occupés par ses collègues et concurrents, tout près de la London School of Economics, de Goldman Saschs International, du Kings College, de la Bank Centrale d’Angleterre Fleet Street, et naturellement des Royal Court of Justice et de la City of London Corporation.
Nous finissons par arriver au premier étage d’un bureau au design épuré. L’hôtesse d’accueil nous répond comme pour Jennifer Robinson que Mark Summers n’est pas là et ne peut nous recevoir. Mais alors nous racontons notre histoire d’association française de défense des droits de l’homme qui a l’intention d’organiser une action en faveur de Julian Assange et voudrait en faire part à son avocat. L’hôtesse est impressionnée et appelle une secrétaire. Une jeune femme brune nous reçoit donc dans une salle de réunion et nous pose quelques questions. Nous n’hésitons pas et nous déclarons que le public français manque d’informations fiables sur la procédure à laquelle Julian Assange est soumis et notamment sur les dates exactes des prochaines audiences.
Nous sortons aussi notre courrier et notre confirmation de reçu préparée. La secrétaire parait effrayée de devoir signer quelque chose. Elle nous répète cinq fois qu’elle ne peut rien pour nous, qu’elle ne peut rien dire, mais nous restons très polis et très opiniâtres. Elle finit par jeter l’éponge et sort en disant qu’elle va chercher le manager.
Nous attendons bien dix minutes dans la salle à la grande table en verre sur une moquette beige et aux baies vitrés modernes donnant sur l’antique jardin intérieur de Gray’s Inn. Il pleut dehors, mais nous sommes contents car enfin quelqu’un va nous parler sérieusement de l’affaire Julia Assange. C’est une première victoire.
L’homme qui entre dans la pièce parait très surpris de voir des étrangers s’occuper du dossier de Julian Assange. Il a la soixantaine et arbore un look plutôt baba cool qui tranche avec l’austérité des tailleurs et costumes de ces lieux. Il porte un pull bleu ciel, une chemise jaune et rose et un pantalon clair, des baskets, une petite barbe rousse. Il s’assied et se présente : Paul Venables, senior practice manager de Matrix Chambers. A son attitude nous comprenons que lui il SAIT.
Alors, nous lui racontons notre histoire – les voyages des Gilets Jaunes à Londres, l’intérêt des Français pour Assange, l’inquiétude des militants polonais de gauche qui craignent que son extradition aux Etats Unis ne devienne une jurisprudence qui nous mènera à une répression accrue des mouvements d’opposition aux bases américaines en Europe.
Nous lui parlons de politique donc, puis nous lui parlons de droit. Nous sommes d’accord qu’Assange est un prisonnier d’opinion. Il faut donc organiser une campagne politique qui doit s’appuyer sur une connaissance précise du dossier par les militants. Or, les avocats de Julian Assange ne nous informent quasiment pas. Nous n’avons jamais obtenu de réponse à nos mails et nous avons appris l’existence de l’audience du 13 septembre par la presse. En fait, nous ne savons même pas exactement QUI sont les avocats de Julian Assange. Ils n’organisent jamais de conférence de presse alors que les informations des médias sont confuses et contradictoires. Les différence entre les systèmes juridiques britannique et européen rajoute encore aux difficultés de compréhension de la situation.
Cela ne peut plus durer.
L’homme est très visiblement mal à l’aise de devoir répondre à des intrus non prévus au programme. Il nous répond donc succinctement tout en restant très poli. Oui, c’est bien Gareth Peirce qui est la « sollicitor » de Julian Assange, elle va donc plaider à la Westminster Magistrate Court, secondée par Alaistar Lyon. Il prend une carte de visite et nous écrit les noms et numéros de téléphone. Mais après ce sont les « Queens Councel », c’est-à-dire les senior barrister qui prendront en charge le dossier – Mark Summers et mais aussi bientôt Edward Fitzgerald. Nous avons enfin une information à l’avance ! Jennifer Robinson est clairement mise de côté dans le discours de Paul Venables, nous ne savons pas pourquoi. Pourtant c’est bien elle qui met en avant son storytelling dans les médias.
Nous sommes inquiets car nous avons l’impression que la stratégie qui se dessine est celle de perdre à la Westminster Court pour pouvoir gagner en appel. Nous la trouvons suicidaire.
Cependant, nous n’abordons pas ce point mais faisons part à Paul Venables de l’inquiétude des militants français au sujet à la santé de Julian Assange que personne n’a vu depuis le 14 juin. Ou se trouve-t-il donc, alors qu’il a fini de purger la peine pour avoir rompu le «bail » ? A Belmarsh ou légalement il ne peut plus être détenu ou a-t-il été transféré à Wandsworth où se trouvent les prévenus en attente d’extradition, ou bien ailleurs ?
Le visage de Paul Venables se fige. Il est de plus en plus mal à l’aise.
Alors, je sors mon joker : l’audience du vendredi 20 septembre. Je dis que j’y étais et que j’étais surprise de ne voir aucun défenseur, alors que le nom de Julian Assange était bien affiché sur le document de la Westminster Court et que l’audience a bien eu lieu, même si elle fut courte et sans la présence de l’accusé.
Notre interlocuteur sursaute. Il ne s’attendait clairement pas à nous voir débarquer au tribunal. Et nous nous sommes surpris par son attitude. Qu’est ce que c’est que cette audience fantôme ? Pourquoi est-il si inconcevable que nous puissions pousser la porte du tribunal Westminster Magistrate et pendre place sur les sièges du public ?
Après un moment de silence, Paul Venables me renvoie à Gareth Peirce concernant cette audience. Je souris. C’est fait, elle a déjà reçu notre courrier. Je lui tends la lettre similaire pour Mark Summers et je le prie de signer une confirmation de reçu, toujours « comme preuve de mon travail pour ma hiérarchie ».
L’entretien est clôt. Paul Venables ne nous a pas menti sur Edward Fitzgerald qui supplantera les autres figures en janvier 2020. Mark Summers, pas plus que Gareth Peirce ni Jennifer Robinson ne répondra jamais à notre courrier, pas même par un accusé de réception.
Nous finissons notre séjour au Frontline Club dans le quartier de Paddington, ce club restaurant qui fut le Quartier Général d’Assange de juillet 2010 à juin 2012.
C’est la première fois que je vois en vrai le décor des vidéos-conférences de Julian Assange et je suis surprise. Autant le quartier est sympathique et animé avec ses hôtels, ses petites maisons et ses restaurants, autant l’établissement n’est pas du tout chaleureux. Sur les photos et vidéos le spectateur a l’impression que le restaurant est très lumineux avec de grandes baies vitrées. En réalité, le décor est froid, noir et blanc sur un fond de briques rouges polies et l’ambiance feutrée et sombre. Tous les convives du restaurants portent un costume-cravate et il n’y a que des groupes d’hommes, du genre after de business men. Les photos de guerres suspendues aux murs paraissent dans cette ambiance de fort mauvais goût. Comment peut on savourer son verre de vin et sa carte de fin mets bios assez cher devant les images de pauvres hères se faisant tirer dessus par des snipers ou des militaires impérialistes ?
La responsable de salle est une très belle jeune femme brune que je devine Yougoslave, l’ayant entendu parler serbo-croate avec les serveurs. Nous nous renseignons auprès d’elle sur la conférence du jour au Club. Elle nous dit que c’est complet pour aujourd’hui dans la salle au dernier étage mais elle nous imprime le programme du mois. Ce soir c’était un film de Karen Stokkendal Poulsen, la compagne de Kevin Poulsen, un des hackers qui aurait dénoncé Chelsea Manning aux autorités américaines. Karen Poulsen a aussi réalisé un film sur le rôle de Wikileaks dans les scandales de l’élites pro-américaines de l’Etat mafieux du Kosovo, ces hommes de l’UCK que la CIA et le BND ont armé pour détruire la Yougoslavie dans une guerre abominable[4]. C’est étonnant de retrouver ici des gens qui ont trahi les idéaux de Julian Assange dans les lieux où il est censé être soutenu et protégé…
La responsable de salle me demande pourquoi je m’intéresse au Frontline Club. Je réponds que je suis touchée par les images de la guerre en Yougoslavie car je suis Polonaise et j’ai vécu de près cette tragédie qui a détruit toute l’Europe de l’Est. Les images de cette guerre sont devenues rares car elle a eu lieu juste avant internet et nous n’avions pas à l’époque les moyens d’enregistrer les images issues de la télévision. Je suis émue de retrouver la question de la Yougoslavie ici au Frontline Club. La Yougoslavie, c’est un peu le cœur de métier de la Frontline Club Charity Trust qui dirige les lieux.
Mais cela je l’explorerai plus tard. Ce soir du 23 septembre 2019 mon séjour à Londres est fini et je dois rentrer à Paris.
[1] Article avocats
[2] article
[3] Gray’s Inn | ~ Gray’s Inn (graysinn.org.uk)
Guillaume Long à la Sorbonne
Le 25 septembre 2019 nous assistons dans le grand amphi de la Sorbonne à une conférence organisée par une association d’étudiants en Sciences Politique. Celui qui fut le dernier ministre des affaires étrangères, possédant aussi la nationalité française et britannique et né à Créteil, nous a laissé sur notre faim en qui concerne sa présentation de la situation de Julian Assange. Nous lui avons donc posé les même question qu’à ses avocats. Est-il vivant ? Ou se trouve-t-il ? Belmarsh, Wandsworth ? Pourquoi aucun avocat ne s’est présenté à l’audience du 20 septembre ? Pourquoi aucune stratégie militante européenne n’est mise en place ?
Nous avons aussi posé la question de la sécurité de Julian Assange dans « l’ambassade » de l’Equateur étant donné la présence des diplomates colombiens directement sur le même palier de l’immeuble. Le long séjour dans les locaux de la mission n’a visiblement pas été profitable à Julian Assange puisqu’il finit si mal alors qu’il aurait fallu lutter pour démontrer le vide de l’accusation dans le dossier suédois.
Guillaume Long a été contraint d’admettre que « l’Equateur a toujours respecté les procédures de la Suède » et donc « a continuellement négocié » avec la Grande Bretagne et la Suède en ce qui concerne Julian Assange.
Celui-ci a-t-il fait les frais de ces négociations ? Les graves erreurs de l’équipe de Rafaël Correa, comme l’utilisation de UG Global, ne peuvent être masquées plus longtemps par l’action musclé du « méchant » Moreno.
En tout cas, l’Equateur n’est pas un soutien solide pour Julian Assange, quels que soient ses dirigeants. Il est temps que d’autres, des militants européens prennent la relève.
Débat à la Librairie Tropiques le 3 octobre 2019
WikiJustice Julian Assange a participé au débat organisé le 3 octobre 2019 par la Librairie Tropiques autour du livre de Aymeric Monville « Julian Assange en danger de mort [1]». Aymeric Monville est un militant marxiste, éditeur et responsable des éditions Delga. Il est aussi l’éditeur de mon livre sur la Pologne Populaire et mes combats militants.
Je devais effectuer lors de cette rencontre un compte rendu public de mon séjour à Londres et de l’audience du 20 septembre, mais l’attentat à la Préfecture et le blocage des transports en commun qui s’en est suivi à Paris m’a empêché d’arriver à temps. Véronique Pidancet Barrière, présidente de WikiJustice, a expliqué nos doutes concernant la stratégie des avocats et les questions que nous nous posions sur la situation réelle de Julian Assange, étant donné le silence fait autour de lui pendant l’été et la lettre SOS désespérée que nous avions reçue.
Je pus néanmoins participer au débat final et je suis frappée par la véhémente défense de la stratégie des avocats d’Assange par une des participantes du public. J’appris à la fin qu’il s’agissait de Madame Chantal Peschoux, compagne de Christophe Peschoux, le responsable de l’enquête qui a mené au Ruling du Groupe de Travail sur la Détention Arbitraire du Haut-Commissariat des Nations Unis pour les Droits de l’Homme exigeant la libération d’Assange en février 2016. Une décision de haute importance signé des Nations Unis mais restée lettre morte, également parce que les avocats de Julian Assange ne s’en s’en sont jamais saisi jamais et ne s’appuie jamais sur elle dans leur discours de défense.
C’est moi-même qui avais alerté, dès le 15 août dernier, Christophe Peschoux sur le SOS que nous avions reçu de Julian Assange car je croyais qu’il nous aiderait comme il s’était engagé à aider à lutter pour une enquête internationale pour faire la justice aux assassinés du 2 mai 2014 à Odessa. Au cœur de l’été, je n’avais pas obtenu de réponse, mais maintenant, deux audiences et deux mois plus tard, alors que la lettre SOS a été rendue publique, je fus surprise par la confiance que les militants Peschoux mettaient en Gareth Peirce, cette avocate absente d’une audience si « technique » et si importante : après tout c’est ce jour là qu’aurait dû être présenté un mandat d’arrêt autorisant le pouvoir britannique à maintenir Julian Assange en détention provisoire !
C’est ce jour là que les avocats auraient pu contester cette détention, en simplement déposant une demande de libération, comme il est possible pour chaque avocat de le faire à chaque audience pour chaque prévenu. Une demande de libération sur la base de son état de santé, sur la base du fait qu’autant les Lois britanniques que la justice européenne interdisent l’extradition pour motif politique, et si la requête est rejetée, une demande de libération conditionnelle sous caution.
Ayant vu Gareth Peirce ne RIEN faire, il est logique que ma confiance ne soit pas rendez-vous, d’autant plus que nos mails et courriers ne reçoivent jamais de réponse. Par ailleurs, si les époux Peschoux maintiennent qu’ils ont pu rencontrer Julian Assange au cours de l’été, qu’il est bien vivant et qu’il est apte à se battre pour sa vie, ils doivent donc savoir ou il se trouve exactement. Belmarsh, Wandsworth ou une Dark Place ? Belmarsh étant une option saugrenue pour tous les avocats que nous avons rencontrés, autres que ceux de Julian Assange, car ce n’est tout simplement PAS un centre de rétention pour détention provisoire en attente d’extradition. C’est une prison uniquement pour personnes condamnées.
Si Julian Assange a pu rencontrer ses défenseurs de l’ONU en été, comment expliquer qu’il nous écrive un SOS dramatique, à nous, des inconnus ? « Julian Assange est doté une exceptionnelle intelligence et d’une exceptionnelle endurance » – ce furent les mots de Christophe Peschoux en guise de réponse.
Le rapport de Nils Melzer pointe lui-même la torture psychologique que Julian Assange a subi dans les locaux de l’Equateur à Londres. Il a subi et y a survécu mais au lieu de s’extasier devant cette « capacité » ne devrions nous mettre fin à ce qui est un crime, selon les textes de Loi, les conventions et les traités internationaux signés et ratifiés par les Etats membres de l’ONU ?
Ne devrions-nous pas passer à l’offensive pour faire cesser la torture ? Nous, à Wikijustice, nous avions décidé d’aller jusqu’au bout pour que la torture sur Julian Assange cesse. Ce voyage à Londres de septembre 2019 fut l’un des premier de notre longue série d’actions et de documents, de demandes de libération, de plaintes, de rapports médicaux. Nous n’avons pas lâché et nous ne lâchons toujours pas, pour lui, pour nous, pour tous.
[1] Pour Julian Assange – YouTube