Objections, analyses et actions de Wikijustice – 1ère Partie
Monika Karbowska
Lorsque nous avons commencé, avec Wikijustice Julian Assange, à analyser, il y a 9 mois, la totalité de l’histoire de « Wikileaks » et Julian Assange, nous avons été frappés par les morts suspectes qui jalonnent l’historique de toute la lutte pour la libération de ce prisonnier politique en Occident : Seth Rich, John Johns, Michaël Ratner, Adrian Lamo, Arjen Kamphuis … Que de décès subits de personnes qui ont été impliquées dans les révélations des secrets d’Etat par Julian Assange ou qui avaient voulu sincèrement l’aider ! Il y a aussi des personnes qui nous ont demandé si nous ne sommes pas en danger en nous intéressant de trop près à l’affaire. Naturellement, la lutte contre le système est une prise de risque. Je le sais mieux que quiconque ayant perdu mon pays, mes meilleurs amis, en opposition au capitalisme en Pologne dès 1991, où lorsque j’ai été menacée par la sanguinaire extrême droite ukrainienne lors de mon soutien aux familles des victimes du massacre d’Odessa du 2 mai 2014. Mais nous nous sommes dit alors : nous ne sommes pas isolés, nous faisons partie du puissant mouvement social des Gilets Jaunes. Pour nous faire taire il faudrait faire taire un pays entier qui se lève contre l’oligarchie locale, européenne et mondiale.
Gilets Jaunes en route vers la Révolution en Grande Bretagne
A voir la violence de la crise que nous traversons en Europe continentale et particulièrement en France, nous pourrions nous dire, à trois mois de la fin de la première phase du procès à la Woolwich Court de fin février dernier, que nous ne sommes pas loin de ce scénario…. Interdiction de sortir de chez soi sous peine d’amende policière et de poursuites, arrêt de l’économie et des liens sociaux, fermeture de tous les lieux de sociabilité, peur collective de mourir par une maladie inconnue face à laquelle rien n’a été préparé par les gouvernants…
Nécessité de débrouille et autogestion là où on soigne encore les gens, dans les hôpitaux et certains systèmes de santé locaux, sauve qui peut général des communes, départements et régions face à un Etat déliquescent et capable uniquement de répression… Je vous fais grâce de la litanie, vous l’avez vécu comme moi depuis mi-mars.
Même le langage utilisé pour nous est le même que pour la torture subie par Julian Assange. Son « solitary confinement » dans un appartement correspond à notre « confinement » collectif dans nos logements…
Les dernières audiences du procès de Julian Assange sans le regard des militants
Dans cette débâcle de mon pays, il nous a été impossible d’assister aux quatre procès de Julian Assange depuis fin février, le 25 mars, le 7 avril, le 27 avril et le 4 mai. Il est certes possible de se déplacer de France en Grande Bretagne car Eurostar met tous les jours des billets en vente et aussi de réserver un Paris-Londres sur le site liligo.fr, mais c’est sortir de sa maison qui était devenu difficile en France.
Les informations que j’ai pu obtenir m’ont été fournies par les compte rendus détaillés des audiences que rédige le seul journaliste que j’estime faire un travail de fond, Marty Silk de l’Australian Associated Press (que son travail soit salué au passage). Ayant pu le voir travailler et assister à sa prise de notes plusieurs fois, je sais au moins qu’il décrit le déroulé de l’audience de façon plutôt précise. C’est ainsi que j’ai pu apprendre des deux audiences du 25 mars et du 7 avril qu’une demande de libération sous caution a enfin été déposée par les avocats Fitzgerald et Summers, après tant de mois de tergiversation, et qu’elle avait été rejetée par la juge Baraitser le 25 mars. L’essentiel des audiences du 25 mars et du 7 avril a consisté néanmoins, non dans une argumentation autour de cette libération, mais en débats interminables sur la révélation de l’identité d’une nouvelle « compagne » de Julian Assange et de ses deux enfants. Selon Marty Silk, ce sont plutôt les avocats qui ont mis incessamment le sujet sur le tapis dans une dramaturgie digne de Paris Match, Gala ou Voici alors que la juge et l’accusation observaient une neutralité évidente. Evidente parce que dans une procédure judiciaire seule l’identité du justiciable est connue du public qui assiste au procès. Le nom de l’époux/épouse est connu de l’institution judiciaire puisqu’il s’agit de l’état civil du justiciable et de ses obligations familiales qui font partie de sa situation sociale, mais il n’a pas à être livré au public. Et à fortiori, ne sera jamais dévoilé publiquement par le juge le nom des enfants du justiciable car cette information est logiquement protégée par les lois de protection des enfants, de la vie privée des personnes et de la protection des données.
Le récit coloré des « paparazzis qui risquent de poursuivre la pauvre femme si son nom venait à être divulgué au public » et la crainte « d’un enlèvement par les services secrets américains » me laissait incrédule comme souvent les éléments bizarres de ce dossier. Comme déjà en 2019, je répétais aux militants que « si cette femme vit en Grande Bretagne, les services secrets britanniques la connaissent parfaitement et s’ils la connaissent, les services secrets américains la connaissent aussi ». Il est peu probable que la CIA prenne le risque d’assassiner ou enlever une femme et des enfants britanniques sur le sol britannique. Malgré tout le dégoût que cette institution peut nous inspirer, elle n’a jamais encore commis ce genre de crime sur le sol de son plus proche allié vis-à-vis de ressortissants britanniques car le faire serait diplomatiquement très risqué pour le gouvernement états-unien. De toute manière, j’étais plutôt partie pour trouver la compagne de Julian Assange en France. Suite aux nombreuses déclarations publiques de Juan Branco et de celle de Eric Dupont Moretti à la conférence de presse du 20 février 2020 à Paris[1] ,selon lesquelles Julian Assange était père d’un enfant français, des militants nous posaient régulièrement cette question « savez-vous qui est la femme française de Julian Assange ? ». Non, je ne le savais pas, mais je gardais une option sur cette probabilité, sachant qu’il était crédible qu’un informaticien militant comme Julian Assange ait pu rencontrer une compagne en France dans les années 2005 à 2009 et qu’il aurait été utile pour nous, militants, d’avoir son soutien ouvert dans la lutte que nous menions pour l’asile politique de Julian Assange en France.
Stella Morris devant le « Daily Mail »
Après avoir voulu à tout prix protéger pendant des années son identité et y avoir efficacement réussi malgré les « paparazzis », voici que Stella Morris alias Sara Gonzales Devant ou Stella Smith Robertson[2] se met en scène avec ses enfants à visage découvert face aux journalistes du tabloid le « Daily Mail »[3] – je découvre l’article au soir du 11 avril dernier. Le journal publie quelques photos, un texte romancé et une vidéo de Stella Morris avec un chat et deux enfants dans un décor qui ressemble à celui d’un atelier informatique (matériel dans des cartons sur des étagères…) dans lequel on aurait disposé des jouets d’enfants.
Cette nouvelle me pousse à écrire ici quelques réflexions sur la nature du militantisme que j’ai effectué ces derniers mois et pour lequel j’ai pris beaucoup de risques et vécu des moments de grande violence, comme je l’ai décrit dans tous mes articles, sur le procès de Julian Assange. J’ai en effet assisté à toutes les audiences du procès de Julian Assange depuis septembre 2019 : le 20 septembre, le 11 octobre, le 21 octobre 2019, le 18 novembre, le 13 décembre, le 19 et 20 décembre 2019, le 13 janvier 2020, le 23 janvier 2020, le 19 février 2020, le 24, 24, 26 et 27 février 2020. Après avoir fourni autant d’effort, je me sens légitimée pour formuler quelques remarques.
Il est dommage que les médias mettent en scène Stella Morris ou Sara Gonzales Devant ou Stella Smith Robertson comme « avocate » alors qu’elle n’est pas inscrite au barreau britannique, ni au « Bar council »[4] ni à la « Law society »[5] sous aucun de ses trois noms. Elle n’est pas la seule : Jennifer Robinson et Geoffrey Robertson ne sont pas non plus inscrits au barreau britannique mais les mots sont importants, dire conseillère ou collaboratrice juridique serait plus exact. Parmi la nombreuse troupe des « avocats » de Julian Assange, seuls Jean Gareth Peirce et Alaistar James Lloyd Lyon sont inscrits à la « Law society » et Edward Hamilton Fitzgerald et Mark John Summers au « Bar Council ».
De même, il est dommage qu’aucun journaliste ne s’interroge et n’engage le public à réfléchir sur la crédibilité d’une personne qui a pu changer trois fois de nom et de prénom dans sa vie et qui affirme faire un métier alors qu’aucune preuve n’existe qu’elle est en mesure de l’exercer. Dans les système juridique occidentaux, il est très difficile de changer de nom et encore plus de prénom sauf en cas de mariage ou de naturalisation. Une procédure spéciale exigeant des arguments valables est alors nécessaire. Si Sara Gonzales Devant, spécialiste de l’histoire du Timor Oriental, est la même personne que Stella Morris conseillère juridique, alors il est nécessaire de mentionner que « Stella Morris » est un pseudonyme et d’être exact dans le récit pour ne pas tromper le public et les militants.
De plus, alors que Stella Morris présente Julian Assange comme son client et son compagnon à la fois, les journalistes auraient pu aussi en conclure que Stella Morris ne respecte pas le code de déontologie de sa profession lorsqu’elle se trouve dans la salle d’audience alors qu’elle partage sa vie intime avec l’accusé. Si elle est bien la compagne de l’accusé, sa présence est un vice de procédure qui aurait dû faire annuler les audiences. « Défendre » en tant qu’avocat est défendre selon des règles et un code de déontologie qui interdit dans la plupart des pays à un avocat d’avoir des liens personnel étroits avec son client. D’ailleurs, deuxième vice de procédure, si Julian Assange est bien le compagnon de Stella Morris, elle peut d’autant moins rester son avocate puisqu’en respectant les règles elle ne pourrait plaider et donc le représenter correctement. Julian Assange se retrouverait à nouveau démuni du fait d’un imbroglio personnel et juridique qui ne pourrait encore une fois que lui porter préjudice.
Lors de toutes les audiences du 19 décembre 2019 au 27 février 2010 nous avons noté la présence incongrue de très jeunes gens qui n’ont manifestement pas de diplôme d’avocat et ne sont naturellement pas inscrits au « Bar council » ni à la « Law Society ». Le 19 décembre, 13 et 23 janvier et 19 février 2020, ce fut le jeune hacker MC McGrath[6] qui jouait ainsi aux apprentis avocats assis sur le banc de la défense à la cour Westminter Magistrate. Les 24, 25, 26 et 27 février 2020, il était présent à côté de Stella Morris ainsi qu’une ribambelle d’adolescentes qui visiblement s’ennuyaient pendant les longues heures du « procès du siècle » et pianotaient sur leurs portable ou sur leurs ordinateurs roses. Je sais qu’il faut le voir pour le croire et comme je l’ai vu, ayant assisté à toutes ces audiences, j’encourage ceux qui ne me croient pas à faire, la prochaine fois, la queue à partir de 5 heure du matin pour assister à ce qui est un étrange spectacle très éloigné de ce qu’on attend d’un procès politique sérieux. De la galerie du public, j’avais parfois l’impression de regarder la répétition générale d’un tournage de film ou d’une pièce de théâtre avec de jeunes figurants, ou à un exercice «in situ » pour de jeunes acteurs stagiaires.
Stella Morris en tant que Sara Gonzalez Devant
Sara Gonzalez Devant est donc apparemment diplômée en sciences politiques (Departement du Développement International[7]) à l’Université d’Oxford, spécialiste de la question des réfugiés au Timor Oriental[8]. Elle aurait séjourné au Timor Oriental en 2005-2006 et aurait rédigé un mémoire pour cette faculté : ce document est cité dans deux livres universitaires sur le sujet [9]. Un de ces ouvrages universitaires, sous la direction de Jacqueline Aquino Sapiano, la présente comme boursière de la « Agencia Espanola de Coopération y Desarolla AECID » organisme gouvernemental espagnol pour la coopération internationale. Le site d’une association britannique d’aide aux réfugiés (Refugee Legal Aid Information) précise qu’elle aurait été consultante au Timor Oriental pour le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés[10] et aurait travaillé en 2010-2011 sur la question de la pauvreté transgénérationnelle pour l’Institut du Développement de l’Outre-Mer (Oversea Developement Institut), un grand think thank international travaillant sur les thèmes des migrations, du développement durable et du changement climatique et financé par les agences gouvernementales britanniques, américaines, suédoises et françaises ainsi que par des grandes entreprises[11].
Elle a été financée aussi par la fondation canadienne publique Jeanne Sauvé « pour le leadership féminin»[12] mais il est impossible de trouver des précisions sur son travail ou sa recherche. Sara Gonzalez Devant a écrit deux articles sur le Timor Oriental et un sur le Bostwana sur le site spécialisé « New Internationalist »[13] et a participé à une newsletter sur le thème des droits des réfugiés[14].
C’est un parcours professionnel tout à fait honorable, mais très éloigné du droit suédois sur les violences sexuelles ou du droit britannique concernant les extraditions, connaissances qu’elle prétend utiliser pour aider Julian Assange en tant que Stella Morris. En tant que Sara Gonzalez Devant son parcours professionnel semble également s’arrêter à l’année 2012.
Que s’est-il réellement passé 3 rue Hans Crescent pendant 7 ans ?
Ayant connu Madame Gonzalez Devant sous le nom de « Stella Morris » je continuerai à utiliser ce pseudonyme. Son récit, dans le premier article du Daily Mail, le 11 avril 2010, m’inspire les réflexions suivantes.
Avoir des enfants dans un couple hétérosexuel suppose d’avoir des relations sexuelles. Il est possible, bien sûr, de faire des enfants dans des relations sexuelles non consenties mais Stella Morris nous présente dans son film la relation pleine d’amour qu’elle dit avoir développée avec Julian Assange. Avoir des relations affectives et sexuelles amoureuses suppose d’avoir un espace à soi ou cette intimité peut s’épanouir dans la confiance. Il est nécessaire aussi d’avoir un espace mental libre et protégé pour pouvoir créer une relation suivie et se concentrer sur la création de cette relation.
Ce qu’on nous a raconté, depuis 2012, sur la vie de Julian Assange dans l’appartement du 3 rue Hans Crescent appartenant à l’Etat de l’Equateur est incompatible avec les conditions nécessaires à l’épanouissement d’une vie intime et familiale. Julian Assange aurait été sous surveillance constante des caméras de la société UC Global placées dès 2015 dans tous les espaces, y compris dans la salle de bain et dans les toilettes, comme le montre Andy Müller Maguhn président du Conseil d’Administration de la Fondation Wau Holland[15] dans le film projeté le 27 décembre 2019 au Chaos Computer Congress et composé de ces images intrusives volées de la vie privée de Julian Assange[16]. Selon la narrative officielle tant de fois reprise par les médias et par des « proches », Julian Assange aurait passé 7 ans confiné dans 5 mètres carrés et demi d’une chambre et d’un espace encore plus petit dans lequel aurait été placé son lit, auparavent des toilettes[17]. Pas vraiment des conditions idéales pour développer une vie amoureuse alors que Stella Morris affirme lui avoir rendu visite tous les jours de 2015 jusqu’au 11 avril 2019.
Mais peut-être nous a-t-on tout simplement menti et la vie de Julian Assange dans l’espace équatorien était très différente de ce qu’on nous a présenté ?
La réalité des lieux au 3 rue Hans Crescent
Selon le cadastre, l’immeuble du 3 rue Hans Crescent appartient en propriété absolue (Freehold) à la compagnie Hans Crescent Freehold limited (Document LN62660), sise dans un paradis fiscal et propriété de Mohammed bin Khalifa Al Nahyan, fils du Président des Émirats Arabes Unis[18]. L’Equateur possède de son côté en « Leasehold » (sorte de bail à très long terme) l’appartement 3B au rez de chaussée depuis le 25 décembre 1976 auquel est adossé un « storage room », un lieu de stockage, au sous-sol (Document NGL333924)[19]. Cet appartement est situé sur l’angle gauche de l’immeuble lorsqu’on se tient devant l’entrée du numéro 3. On remarque que seules 3 fenêtres (dont le fameux balcon ou Julian Assange apparaissait parfois et était filmé par les médias et les militants) donnent sur la rue Hans Crescent. Le reste de l’appartement, 5 fenêtres, donne sur une petite impasse, la Landon Square. L’appartement de l’Equateur dispose d’une grande issue de secours donnant immédiatement sur l’impasse, peut-être d’une deuxième à partir du « storage room » puisque deux portes se trouvent sous l’appartement au fond de l’impasse Landon Square permettant de sortir du « sous-sol » (plutôt un « basement » – un local à ras le sol) du bâtiment et de gagner la rue ou de rentrer dans le parking du Harrods qui fait face.
Justement, en face de l’appartement, intégrée au même complexe d’immeubles, se trouve l’imposante entrée du parking et du tunnel de livraison du Harrods (voir photos)[20]. Cette entrée située au 1 rue Hans Crescent relie ce parking et le tunnel de livraison par le sous-sol du bâtiment au magasin Harrods située à droite du complexe immobilier du 3 rue Hans Crescent, côté Basil Street. Le parking de Harrods s’étend donc en dessous du complexe immobilier du 3 Hans Crescent Street et il est possible d’en ressortir par une deuxième entrée, de l’autre côté du bâtiment, à côté de la pizzeria de luxe faisant face au Harrods, seul restaurant du quartier. Ces entrées et ces tunnels situés sous le bâtiment du 3 rue Hans Crescent sont mentionnés dans le cadastre.[21]
Ce n’est pas étonnant. Les connaisseurs de Londres savent que le quartier est truffé de souterrains ayant servi pendant la seconde guerre mondiale[22]. Les parkings souterrains composaient, dès les années 30, la première partie des souterrains refuges de civils pendant les bombardements des nazis sur Londres. A une encablure de la rue Hans Crescent se trouve même le fameux « 206 Brompton road », l’ancienne station de métro sous laquelle se trouvait, pendant la guerre, le quartier général de la défense anti-aérienne de Londres ! Propriété du ministère de la défense britannique qui a conservé le bunker souterrain en l’état, le lieu fut vendu à l’oligarque ukrainien Dimitri Fyrtach au moment de l’apogée de la guerre de l’Ukraine contre le Donbass en 2014[23]. En tant qu’un des oligarques les plus riche et puissant de ce pays, propriétaire exclusif des systèmes d’acheminement du gaz russe vers l’Ukraine, d’usines chimiques et d’entreprises d’importation de titane, Fyrtach est aussi très lié aux élites britanniques et américaines. Lors de la guerre en Ukraine il fut accusé d’avoir été trop proche du président Yanukovitsch que les puissances occidentales ont poussé au départ avec le putsch du 21 février 2014. Depuis, Fyrtach est poursuivi pour corruption mais il reste propriétaire des murs du bâtiment historique alors que le ministre de la défense britannique conserve la propriété et le contrôle des vastes souterrains aménagés[24]. Lors de la mise en vente de l’ancien bunker, des passionnés d’histoire ont pu filmer ce qui est le point d’entrée d’un entrelacs de souterrains dans ce quartier chargé d’une histoire dure et héroïque[25]. Ces précisions sont données pour démontrer qu’il est possible de rentrer dans les bâtiments de ce quartier historique, de descendre au sous-sol à l’intérieur et de ressortir du bâtiment par une autre entrée, parfois située dans un autre immeuble.
Lorsqu’il est enlevé de force des locaux du 3 rue Hans Crescent le 11 avril 2019, Julian Assange brandit face aux caméras un livre de Gore Vidal. Fait curieux, l’écrivain américain a vécu dans sa propriété au 31 Egerton Crescent à 500 mètres à peine du complexe immobilier de Hans Crescent, comme il le mentionne dans son livre autobiographique « Palimpseste ».
On sait aussi que les services de l’ambassade ont déménagé, en 2015, lorsque le bâtiment aux doubles entrées au 6 James Sessions Square et au 12 Buckle Street à Whitechapel a été achevé. C’est ici que travaillent, très probablement dès 2015, les diplomates équatoriens à coté de leurs collègues du Consulat, comme le montre la page Facebook officielle de l’Etat de l’Equateur à Londres, il n’y a pas d’autre site internet[26]. L’appartement de 3 rue Hans Crescent est peut-être resté couvert par l’immunité diplomatique et depuis sert de lieux de stockage, de salle de réunion et de réception, ou tout simplement de logement pour les diplomates ou pour les visiteurs de la mission.
Du reste, si l’histoire de caméras installées par le responsable de la sécurité de la mission diplomatique était vraie, il n’est pas dans les usages des diplomates de travailler avec des caméras de surveillance installées dans leur poste de travail (et dans les toilettes de leur lieu de travail), des caméras zoomant sur des documents secret défense… Aucun diplomate véritable n’accepterait cela, ne serait-ce qu’à cause du danger que ces images pourraient être volées. En outre, il n’y a pas besoin d’espionner des diplomates dans leur travail, ces personnes ont déjà été choisies pour leur fidélité au gouvernement en place. Aujourd’hui l’appartement est vide et l’agent de sécurité posté dans le vestibule contrôle les entrées vers les deux appartements, celui de la Colombie et celui de l’Equateur. Les curieux de l’Equateur sont systématiquement orientés vers le 12 Buckle street.
Justement, une autre ambassade, que jamais aucun médias ne montre, l’ambassade de la Colombie se trouve sur le même palier du rez-de-chaussée de l’immeuble. Les deux missions sont donc mitoyennes, elles partagent la même entrée principale, le même escalier et le même étroit vestibule. Cette proximité étonne beaucoup quand on sait l’hostilité profonde du régime colombien, étroitement associé à la domination des Etats Unis sur toute l’Amérique Latine, à tout gouvernement de gauche dans n’importe quel pays du continent, dont à celui de Correa. Observant ces deux drapeaux, au demeurant fort ressemblants, de la Colombie sur le balcon de l’appartement de droite, celui de l’Equateur sur le balcon de l’appartement de gauche, le visiteur se demande toujours comment diable Julian Assange aurait pu se sentir en sécurité dans un appartement aux fenêtres les unes exposées sur une place, les autres coincées au fond d’une impasse et situé de surcroit sur le même palier que le quartier général de ses pires ennemis.
Pour conclure sur les incohérences de la fable de la méchante UC Global espionnant la mission diplomatique équatorienne, il faut souligner qu’un agent de sécurité officiant dans le vestibule mitoyen ne peut pas filtrer les entrées vers l’appartement de l’Equateur sans que la Colombie ne donne également son accord. Le cas contraire donnerait lieu à de graves frictions diplomatiques entre deux pays dont les gouvernements sont idéologiquement hostiles de 2007 à 2017. Il est évident aussi que l’Equateur, propriétaire uniquement de l’appartement 3B, n’avait pas ainsi le droit de contrôler les entrées des habitants des autres logements du bâtiment de 5 étages. Pour cela, il faut l’accord de la Hans Crescent Freehold limited, propriétaire de tout l’immeuble. Soit ce filtrage avec contrôle des passeports était décidé par l’ensemble des propriétaires, soit cette histoire est un faux destiné à faire monter la tension du spectacle médiatique.
Le storytelling à l’épreuve des usages et réalités diplomatiques
Guillaume Long, ancien ministre des affaires étrangères de Rafaël Correa nous a précisé, lors de la conférence à la Sorbonne le 25 septembre 2019, que l’Equateur a toujours respecté les actions juridiques suédoises contre Assange et a toujours négocié avec le Royaume Uni pendant ces 7 années de séjour de Julian Assange dans ses murs[27]. En disant cela, il confirmé les doutes que nous avions sur l’image de « l’ambassade assiégée par les forces de police britanniques, à tel point que l’ambassadeur ne peut pas faire son travail». Le film « Risk » de Laura Poitras monte cette dramatisation à l’extrême. Pourtant, Fidel Narvaez, consul et responsable de la sécurité du lieu, est filmé en train de parler (probablement) à des autorités britanniques, en juin 2012 alors que Julian Assange a franchi la porte de l’appartement du 3 Hans Crescent Street, mais s’il se plaint d’un nombre de policiers « disproportionné », il ne se plaint pas de « l’assiègement » et encore moins d’un état de guerre[28]…
Il faut bien comprendre que dans l’histoire assiéger une mission diplomatique a été toujours un acte de guerre qui se résolvait donc rapidement par une guerre entre les parties (souvent après évacuation express du personnel). Le cas le plus emblématique, au 20ème siècle, est la prise d’otage des diplomates américains dans leur mission à Téhéran, en 1979, dans le cadre de la révolution islamique en Iran. Depuis 1979, on peut dire que les relations entre les deux pays s’apparentent à une tension hostile à la limite de la guerre. On n’a pas eu d’exemple au 20ème siècle ni même avant d’ambassade assiégée par le pays d’accueil pendant 7 ans. Aucun diplomate de métier ne croit à l’histoire racontée par les médias de l’ambassadeur empêché de travailler dans sa mission et encerclé par les forces du pays d’accueil pendant 7 ans en temps de paix.
Comme je l’ai expliqué dans un article précédent[29], la Convention de Vienne du 18 avril 1961 pose le principe de l’immunité diplomatique sur la base du principe de réciprocité. C’est par ce principe de réciprocité et par crainte de représailles sur ses propres diplomates que le pays d’accueil, même en cas de dégradation des relations, s’abstient d’actes hostiles vis-à-vis de la mission étrangère sur son sol. Le principe de l’immunité, qui veut que toute intervention du pays d’accueil dans la mission ne se fasse que sur l’accord des plus hautes autorités du pays concerné, c’est-à-dire du ministre des affaires étrangères, pose la condition d’une coopération entre les deux pays pour résoudre tout conflit entre eux. En clair, il est impossible que les policiers britanniques aient « encerclé » l’ambassade de l’Equateur sans l’accord de l’Equateur. Il s’agissait plutôt d’une surveillance-protection accordée justement du fait de la Convention de Vienne à l’Equateur par le gouvernement de la Grande Bretagne, à la demande de l’Equateur, peut-être pour tenir éloignés les curieux qui voudraient s’approcher de trop près de l’appartement 3 rue Hans Crescent pour observer la réalité de la vie de Julian Assange dans celui-ci.
Si l’Equateur avait été réellement « encerclé » et le travail de ses diplomates avait été empêché, l’Equateur aurait été en droit de faire exactement la même chose aux diplomates britanniques en poste à Quito. Or, Raphaël Correa s’est bien gardé de faire jouer le principe de réciprocité contre l’ambassade britannique chez lui. Au contraire, les relations équatoro-britanniques ont certes connus quelques difficultés avec la question Assange, mais les négociations n’ont jamais cessé pendant cette période[30]. L’impasse a été attribuée à l’incompétence de l’ambassadrice Ada Alban en poste de 2010 à 2013, une proche de Raphaël Correa mais pas une diplomate de métier. L’homme qui décide pour le séjour de Julian Assange depuis avril 2012 est Fidel Narvaez[31], consul depuis le début de la présidence de Correa, très lié politiquement au président, et très probablement, comme souvent le cas avec les postes de consul ou vice-consul pas bien définis, son chef de la sécurité. Fait curieux, Fidel Narvaez, présenté comme ami proche de Julian Assange, aurait dû, selon les usages du milieu, être persona non grata et immédiatement prié de rentrer chez lui après expiration de son immunité diplomatique, s’il avait été responsable de l’état de tension entre son pays et la Grande Bretagne. Au contraire, aujourd’hui Fidel Narvaez vit en Grande Bretagne ou il a une carte de résident. L’ayant croisé plusieurs fois dans les couloir de la cour Westminster Magistrate et ayant pu lui parler, je n’ai pas eu l’impression qu’il est très inquiet par sa situation de « fauteur de trouble » vis-à-vis de la Grande Bretagne. Au contraire, il a assisté aux audiences de Julian Assange depuis le 19 décembre 2019 puis au procès du 24 au 27 février 2020 à la Woolwich Crown Court, dans la galerie du public dans la rangée réservée à la « famille » du prisonnier. Les autorités britanniques n’ont pas l’air de lui en vouloir d’avoir été à l’origine d’une situation coûteuse pour eux médiatiquement, politiquement et financièrement et ayant généré des problèmes diplomatiques lourds. Au contraire les autorités britanniques lui ont accordé un droit de rester sur leur sol après la fin de son statut de diplomate équatorien. Un argument de plus en faveur de l’hypothèse que « l’assiégement » était un spectacle à l’attention des âmes sensibles.
Storytelling contre géopolitique réelle
Non seulement, pendant ces 7 ans, l’Equateur de Correa n’a pas été en guerre contre la Grande Bretagne mais il a continué à développer des relations très profitables avec l’Union Européenne et ses pays pendant toute cette période, notamment avec l’Allemagne. Pourtant, la Grande Bretagne était membre à cette période de plein exercice de l’Union Européenne, et quand on sait le rôle que les Allemands ont joué dans le projet « Wikileaks » (la fondation Wau Holland en tant que propriétaire et financeur du projet et employeur de Julian Assange en 2010 -2012[32]) on peut s’étonner qu’à aucun moment le gouvernement allemand n’ait joué les bons offices, comme cela se fait habituellement dans le monde de la diplomatie, pour résoudre le « brûlant conflit Assange » entre l’Equateur, son nouvel ami en Amérique Latine[33], et la Grande Bretagne, la troisième plus forte puissance de l’Union Européenne. Le gouvernement de Rafael Correa entretient en effet des relations privilégiées avec l’Allemagne via la Fondation Friedrich Ebert spécialisée dans les relations entre le Parti Socialiste Allemand SPD et les réseaux et organisations socialistes dans le monde entier[34].
Tout se passe comme si le « cas Assange » n’était brûlant que pour les médias qui racontent l’histoire dramatisée avec force zooms sur le balcon avec le drapeau équatorien en retirant du champ de vision les autres éléments du décor: fourgons rentrant dans le parking de Harrods en face de l’appartement, ambassade de Colombie sur le palier, absence de tout diplomate équatorien dans tout le quartier, de tout Equatorien quel qu’il fut comme me l’ont ironiquement reporté les travailleurs du quartier.
Dans les canaux diplomatiques sérieux, l’affaire Assange n’existe pas ou est un épiphénomène médiatique marginal. Je suis certaine que lorsque dans 30 ans nous ouvrirons les archives du Foreign Office il n’y aura pas de dossier sur le violent conflit équatoro-britannique autour de la présence de Julian Assange au 3 Hans Crescent Street. Absence de conflit ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu de négociations autour du sort de « l’hôte » comme l’appelaient les fonctionnaires de UC Global espionnant Assange pour le compte de Correa puis de Moreno. Julian Assange évoque lui-même son statut d’otage dans les négociations entre trois pays, l’Equateur, la Grande Bretagne et les Etats Unis lors de son dernier discours sur le balcon, le 19 mai 2017. Il y apparait triste et défait évoquant les violations de droits dans l’Union Européenne alors que les Britanniques viennent de choisir le Brexit par réferendum. Il mentionne alors le chantage que subirait l’Equateur de la part de l’Union Européenne qui pénaliserait les « exportateurs équatoriens » à cause de son cas[35]. Nous Européens expérimentons dans notre vie à quel point c’est l’Allemagne qui décide de la quasi-totalité de la politique de l’Union Européenne et du sort de ses citoyens. Julian Assange pense-t-il à l’Allemagne comme partie prenante du conflit le pénalisant sans pouvoir l’exprimer clairement ? Aucun journaliste n’a jamais analysé son discours sous cet angle politique pourtant indispensable pour comprendre la situation. Nous n’en saurons pas plus, le gouvernement de gauche de Correa se gardant bien de prendre l’opinion publique à témoin et ne dévoilant jamais la véritable nature de sa relation avec les puissances anglo-saxonnes et avec l’Union Européenne dans le cas « Julian Assange ».
Aucun journaliste ni analyste ne s’est penché non plus sur les intérêts que pourrait représenter pour l’Allemagne en tant qu’Etat les publications de Wikileaks (comme la publication de dossiers sur la surveillance mondiale Vault 7 qu’évoque Julian Assange dans ce discours de 10 minutes) dans ses relations avec les Etats Unis alors que le gouvernement de Merkel avait été très en colère de l’espionnage du portable de la chancelière par la CIA. Une hypothèse serait que les dévoilements de « Wikileaks » servent à l’Allemagne de levier pour faire pression sur les Etats Unis et raffermir leur indépendance face aux puissant allié états-unien.
En réalité, sur le sol européen, il n’y a eu, depuis la signature de la Convention de Vienne, aucun cas de violation flagrante de l’immunité diplomatique malgré les conflits et tensions qui secouent notre continent. Le seul précédent ressemblant à celui de Julian Assange au 3 rue Hans Crescent serait celui du Cardinal Mindszenty réfugié dans l’ambassade américaine à Budapest après avoir été relâché de prison par le gouvernement communiste en 1956. Mais si Mindszenty, militant anti-communiste, a passé 15 ans dans le spacieux immeuble états-unien de Budapest, c’est parce qu’il refusait de quitter la Hongrie pour les Etats Unis ou les Hongrois communistes aurait préféré l’expédier pour l’empêcher de continuer son action politique contre eux. Plus près de nous, l’immonde assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans l’enceinte du consulat de son pays a terrifié les milieux diplomatiques pour lesquels une mission est un sanctuaire. Mais il faut souligner que cet ignoble crime a été facilité par l’attitude permissive du pays d’accueil, la Turquie… Ici encore la coopération entre les pays basée sur la réciprocité a joué à plein, au détriment des droits de l’hommes les plus élémentaires.
On peut en déduire que la Grande Bretagne et l’Equateur ont pratiqué pendant 7 ans une forme d’entente au sujet de Julian Assange et que Julian Assange a été seul otage de cette négociation. L’Allemagne a aussi joué un rôle aussi secret qu’important qu’il conviendrait d’analyser.
L’identité de Julian Assange
Julian Assange a-t-il jamais eu la nationalité et l’asile politique équatoriens ? La question est loin d’être absurde. Pour ce qui est de la nationalité, Guillaume Long, ancien ministre des affaires étrangère sous Rafael Correa de mars 2016 à mai 2017, a répondu à notre question sur le sujet lors de la conférence à la Sorbonne le 25 septembre 2019. Selon lui, Maria Fernanda Espinoza, qui dirige ce ministère après lui, n’avait pas le droit de signer le document de naturalisation équatorienne de Julian Assange. Cette prérogative était réservée au président de la République, Lénine Moreno, qui n’a jamais approuvé cette décision[36]. Guillaume Long considère donc cette nationalité comme fausse et donc légalement révocable. Le document n’a pas été publié.
Pire, Julian Assange n’a jamais pu montrer, en vidéo ou en live, le document lui garantissant l’asile politique en Equateur- carte de séjour équatorienne ou autre. Or, les articles 27 et 28 de la Convention de Genève exigent que le réfugié puisse bénéficier d’un document d’identité lui permettant de voyager et établissant avec certitude son identité, en mentionnant son nom exact, sa date et lieu de naissance, son adresse[37]. Le seul document publié par les médias, le «Documento de Identitad de persono que ostendo proteccion international » porte la photo de Julian Assange mais aucune autre donnée nécessaire selon la Convention de Genève n’y figure et pas non plus sa signature [38]. Ce document a été établi le 30 novembre 2016 par José Luis Jacome, vice-ministre de la mobilité humaine sous la responsabilité de Guillaume Long. Jacome restera en poste après l’élection de Lénine Moreno en février 2017 alors que Maria Fernanda Espinoza, nouvelle ministre des affaires étrangères, déclare en décembre 2018 avoir accordé la nationalité équatorienne à Julian Assange. Cette fidélité du haut fonctionnaire équatorien au dirigeant qui révoque la nationalité et l’asile à un réfugié politique, au mépris de la Convention de Genève et de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, met en doute la réalité de son soutien à Julian Assange sous la présidence de Correa.
Par ailleurs, Guillaume Long a également déclaré le 25 septembre 2019 qu’il est possible que l’asile équatorien n’ait été garanti en 2012 que sur la base de la Convention Interaméricaine relatives aux droits de l’Homme, (article 22.7 et 22.8)[39] pas de la Convention de Genève de l’ONU relative aux Réfugiés, ce qui expliquerait pourquoi la Grande Bretagne ne reconnait pas l’asile de Julian Assange. Nous voyons bien qu’un flou important règne en ce qui concerne l’asile politique équatorien de Julian Assange et que ces contradictions lui sont préjudiciables.
De plus, le 15 et 16 novembre 2016, lors de l’audition avec la procureure suédoise Ingrid Isgren Julian Assange affirme qu’il est citoyen australien, que son passeport a été pris par les autorités britannique et qu’il ne peut pas prouver son identité. On en déduit qu’il ne possède aucun document[40]. Personne n’a relevé la vraie signification de ces paroles dramatiques et aucun journaliste n’a demandé des explications. Premièrement, lorsque la cour britannique lui a accordé la liberté sous caution en décembre 2010, elle aurait dû lui restituer son passeport après sa sortie du centre de détention provisoire Wandsworth. La confiscation de ce passeport est, en tout point du droit international, illégale, et les avocats si chevronnés auraient dû en premier se battre pour que leur client ne soit pas de facto apatride, en plus d’être déjà un « sans-papiers » (la carte de résidence est obligatoire pour les citoyens australiens après plus de 6 mois de séjour en Grande Bretagne). Qu’une telle action contre l’Etat britannique n’ait pas été entreprise pendant 6 ans, jusqu’à la rencontre de Julian Assange avec cette procureure suédoise, en dit long sur l’inefficacité des avocats que nous avons déjà dénoncée.
Deuxièmement, il est surprenant que Julian Assange « ne soit pas en mesure de prouver son identité formelle » alors qu’en tant que réfugié sous la protection de la Convention de Genève il devrait posséder un document délivré par l’Equateur, prouvant son identité, son droit à la protection de l’Etat de l’Equateur et son droit de voyager (comme stipulé dans les articles 27 et 28 de la Convention). La Charte des Nations Unis interdit de révoquer la nationalité de naissance d’un citoyen et de fabriquer des apatrides. Comment se fait-il que la haute fonctionnaire de la Suède n’ait pas relevé ces violations flagrantes de droit sur la personne de Julian Assange, violations commises par les autorités britanniques, par les autorités australiennes qui doivent protéger leurs citoyens et par l’Equateur qui ne lui a pas assuré un document d’identité selon les obligations de la Convention de Genève ? Julian Assange en faisant cette déclaration a clairement appelé au secours cette personne mandatée légalement par un Etat et susceptible de comprendre la séquestration dont il est victime.
Quelle valeur peut bien avoir le travail de la « chef procureure » Ingrid Isgren alors qu’elle ne peut consigner sur le rapport d’audition le nom, prénom, lieu et date de naissance, l’adresse, le numéro de passeport et les dates, le lieu et l’autorité de délivrance et d’expiration du document légal d’identité de Julian Assange ? Pourquoi ne lui a-t-elle pas demandé des précisions sur les documents équatoriens d’identité dont il devrait disposer ? Pourquoi accepte-elle l’illégalité dont est victime la personne qu’elle auditionne, illégalité qu’elle ne dénonce pas ?
Comment se fait-il d’ailleurs que personne ne remarque qu’il manque ces données essentielles dans le dossier suédois? Les protagonistes des accusations suédoises, plaignantes et témoins ne semblent d’ailleurs jamais avoir présenté le moindre document d’identité à la police et à la justice car ces documents sont vierges de tout numéro identifiant[41].
A l’époque, le ministre des affaires étrangères est Guillaume Long et le président de l’Equateur Rafael Correa. Ils sont tous autant responsables de la situation inextricable de Julian Assange que Lénine Moreno qu’il est si commode de désigner comme le « méchant » de l’histoire. Cette technique de storytelling permet de blanchir les personnalités au pouvoir pendant 7 ans et de contribuer à renforcer la passivité du citoyen sur le thème du « on ne peut rien contre la fatalité, les méchants, Moreno et les Américains sont trop puissants ». Cette attitude de fatalité est ce que nous combattons le plus avec Wikijustice.
L’attitude de fatalité nous est étrangère car nous sommes des militants contre le système capitaliste néolibéral corrompu et dictatorial. Mais plus nous avançons dans l’analyse, plus nous découvrons, dans le cas de Julian Assange, que des élites politiques, juridiques, journalistiques qui sont censés le soutenir ne le font que mollement, à la dernière minute, sans se mouiller ou sont carrément absentes et silencieuses. Comment accepter la fatalité d’un procès joué d’avance alors qu’en théorie Julian Assange devrait bénéficier du support du puissant réseau des relations de son avocat principal le célèbrissime ancien juge Baltazar Garzon ? Baltazar Garzon a fréquenté le 3 Hans Crescent Street car il est filmé en train de danser dans une soirée dans l’appartement – cette scène est immortalisée dans le film montré par Andy Müller Maguhn au Chaos Computer Congress le 27 décembre de l’année dernière[42]. Or, Maitre Garzon a brillé par son absence depuis la mise au secret de Julian Assange le 11 avril 2019. Il ne répondait pas aux courriers de militants européens et ne fréquentait pas les audiences d’extradition auxquels j’ai assisté à Londres depuis le 20 septembre 2019. Certes, fin février 2020, il a été présent à la Woolwich Crown Court et il a été le seul avocat à serrer la main de Julian Assange et à lui parler. Mais il n’est resté au procès qu’un jour et demi, le 24 février et la matinée du 25. Il n’a pas davantage mobilisé de politiques ou militants espagnols pour la cause de son client. Or, Baltazar Garzon est très proche des milieux de Reporters Sans Frontières dont il fut un soutien actif du temps de la présidence de Robert Ménard, notamment en étant le président d’honneur de l’organisation interne de soutien juridique Damoclès de RSF « chargée d’ester en justice afin de défendre la liberté des journalistes »[43]. RSF était absente de la lutte pour la libération de Julian Assange en 2019 et ne s’est réveillée que pour le procès de février 2020. Christophe Deloire, secrétaire général de RSF France, Christian Mihr pour l’Allemagne ne sont restés cependant qu’une journée au procès déléguant la tâche de représentation à Rebecca Vincent.
On remarque souvent les présents, rarement les absents. Or, l’absence de personnalités aux seuls moment où nous avons pu constater la torture que Julian Assange subit, lors des audiences, participe au renforcement du sentiment d’impuissance face à la fatalité des violations de droits. Impuissance que le système dominant veut nous inculquer de gré ou de force.
Les enfants présumés de Julian Assange avant Stella Morris
Revenant au témoignage de Stella Morris sur la relation intime qu’elle affirme avoir développée avec Julian Assange à partir de 2015, il est étonnant que Julian Assange dans son entretien avec les médecins mandatés par le Groupe de Travail sur la détention arbitraire du Haut Comité des Nations Unies pour les Droits de l’Homme et daté de novembre 2015, parle déjà de ses enfants qu’il ne peut voir grandir. Il ne s’agit donc pas des enfants que Stella Morris montre sur les photos du Daily Mail. Le médecin auteur du rapport « sur le traumatisme et la situation psycho-sociale de M. Julian Assange » mentionne plusieurs entretiens menés de juin 2014 à juillet 2015. Ce médecin parle au contraire de « jeunes enfants en France ainsi que d’autres en Australie avec qui M. Assange ne peut entretenir de relation affective dans l’ambassade »[44]. Par ailleurs, le rapport décrit tous les traumatismes que provoque un « confinement » prolongé dans un lieu sans lumière, sans possibilité de sortir, sans exercice, et entouré d’un milieu hostile, (quelque chose que nous commençons à comprendre avec la violence sanitaire qui nous a été récemment infligée en France à grande échelle): insomnie, anxiété, dépression, perte de la faculté d’utiliser ses sens…
Ce « confinement » a été décrit comme une torture par Nils Melzer, le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture dans son célèbre rapport sur la situation de Julian Assange. Le roman à l’eau de rose déroulé par Stella Morris actuellement dans les médias décrédibilise le rapport de Nils Melzer et met Julian Assange en danger. Car comment un prisonnier peut à la fois être torturé et père heureux d’une famille aimante ?
Finalement, poussé à s’extasier devant les images montrées par Stella Morris, le public est amené à oublier ce que Julian Assange a dit lui-même sur ses enfants en France et ceux en Australie. Les citoyens ne sauront rien de la mère de ces derniers, qui n’est pas présente pour soutenir le père de ses enfants. Pourtant, pour les défenseurs des droits humains, se pose la question de savoir si les avocats et la justice ont tout fait pour protéger leurs intérêts tant du point de vue de la légitimité de leur filiation que du point de vue patrimonial. En effet, ces enfants sont héritiers, au même titre que les enfants de Stella Morris, des dividendes par les actions que Julian Assange possède dans l’entreprise islandaise Sunshine Press Production[45]. La question préoccupante « qui gère le patrimoine de Julian Assange » doit être posée par les militants pour que Julian Assange ne soit pas spolié de ses biens au cours des longues années de captivité qu’il subit. Daniel Assange, présenté par des médias comme son fils australien, âgé aujourd’hui de 31 ans, n’est jamais venu aux audiences et n’a jamais pris la défense de son père ni devant les caméras ni au cours d’une conférence de presse. Il n’est jamais allé voir son père à Belmarsh. Il est dorénavant normal qu’on puisse douter de son existence. En 2010, ce fils twittait encore sur son père, depuis il a disparu[46]. Aucun des journalistes qui poursuivent en meute John Shipton ne s’est posé la question du fils présent dans la vie de son père en 2010 et absent en 2020.
Par ailleurs, si cette relation a débuté en 2015 alors que la santé de Julian Assange était préoccupante, pourquoi Stella Morris n’a-t-elle pas déjà sonné l’alerte pour sauver son compagnon ? Pourquoi est-elle restée silencieuse sur la torture dont il est victime, comme l’a démontré le rapport de Nils Melzer et les trois rapports médicaux de Wikijustice datés du 29 décembre 2019, du 8 février et du 29 février 2020 ?[47]
Qui ne dénonce pas le crime, la torture, est coupable de non-assistance à personne en danger.
L’article premier de la Convention de l’ONU contre la torture est très clair : celui qui consent à la torture, tacitemen[1]t alors qu’il en a connaissance, est complice du crime :
Article premier de la Convention contre la torture
https://www.cncdh.fr/sites/default/files/cat_protocole_1.pdf
« 1.
Aux fins de la présente Convention, le terme « torture » désigne tout acte
par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont
intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle
ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte
qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de
l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression
sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de
discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles
souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute
autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son
consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux
souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces
sanctions ou occasionnées par elles »
[1] https://www.lepoint.fr/monde/dupond-moretti-veut-demander-l-asile-politique-pour-assange-a-emmanuel-macron-20-02-2020-2363736_24.php
[2] Un article d’un média australien qui mentionne l’identité Smith Robertson : https://www.sbs.com.au/news/julian-assange-s-fiancee-publicly-joins-the-campaign-for-his-release
[3] https://www.dailymail.co.uk/news/article-8210957/WikiLeaks-boss-Julian-Assange-fathered-two-children-inside-Ecuadorian-embassy-lawyer.html
[4] https://www.directaccessportal.co.uk/search/1/barrister
[5] https://solicitors.lawsociety.org.uk/
[6] https://theintercept.com/staff/m-c-mcgrath/
[8] https://www.devex.com/people/sara-g-494301
[9] Sara Gonzalez Devant, « Displacement in the 2006 Dili conflict, dynamics of ongoing crise », Refugee Studies Centrer Working Paper 45, 2008, Université of Oxford. In Jacquline Aquino Sapiano, « East Timor, How to build a nationa in Southeast Asia in the 21 century », Actes du Congrès de Naples en 2006, Institut de Recherche sur l’Asie du Sud est contemporaine, 2018 et in Vandra Harris, Andrew Goldsmith, « Security, Développement and Nation Building in Timor Leste » Routledge, 2012.
[10] http://refugeelegalaidinformation.org/former-editors
[11] https://www.odi.org/sites/odi.org.uk/files/odi_funders_2017-18.pdf – le nom de Sara Gonzalez Devant ou de Stella Morris ne figure pas néanmoins dans les documents visibles sur le site.
[12] https://www.facebook.com/fondationjeannesauve/,
[13] https://newint.org/author/Sara%20Gonzalez%20Devant
[14]https://rightsinexile.tumblr.com/post/16854265845/a-monthly-forum-for-news-and-discussion-on-refugee
[15] http://www.wauland.de/media/2016-12-31_jahresbericht.pdf
[16] https://media.ccc.de/v/36c3-11247-technical_aspects_of_the_surveillance_in_and_around_the_ecuadorian_embassy_in_london
[17] https://www.lemonde.fr/idees/article/2015/07/03/julian-assange-monsieur-hollande-accueillez-moi-en-france_4668919_3232.html
www.slate.fr/story/126902/assange-colocation-equateur-ambass
[18] https://blogs.mediapart.fr/edition/liberez-assange-ethiques-et-medias/article/121219/assange-regression-feodale-au-royaume-uni
[19] Documents disponibles sur https://eservices.landregistry.gov.uk/eservices/FindAProperty/view/MapEnquiryInformationRequest.do
[20] https://www.facebook.com/media/set/?set=a.3154590997940931&type=3
[21] Document de HM Land Regiester : RegisterBGL5852 – 87-135 Brompton Road (SW1X 7XL) – Freehold », soit le cadastre pour le magasin Harrods
[22] Voir Joshua Levine, « The secret history of the Blitz », Simon and Shuster UK, 2016,
Nick Cooper, « London Underground at war », Amberley Publishing 2014.
http://www.nickcooper.org.uk/subterra/lu/tuaw.htm
https://underground-history.co.uk/brompton.php
[23] https://en.wikipedia.org/wiki/Brompton_Road_tube_station
[24] Land Register LN43910
[25] https://www.youtube.com/watch?v=JEqKJDR7L0w
[26] https://www.facebook.com/ceculondres/
Avant 2015 le consulat de l’Equateur se trouvait au 144, 146 Kings Cross road
[27] Ministre des affaires étrangères de 2016 jusqu’à l’élection de Lénine Moreno, Guillaume Long, qui possède aussi la nationalité française et britannique, a été celui qui en octobre 2016 a coupé internet à Julian Assange comme suite aux publications par « Wikileaks » des mails de John Podesta, le directeur de campagne de Hillary Clinton.
[28] https://www.youtube.com/watch?v=u68nLqjm9TM, minute 54 :20
[29] http://www.defenddemocracy.press/monika-karbowska-faire-la-lumiere-pour-gagner-la-bataille-qui-sont-les-proches-de-julian-assange/
https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19610070/index.html – la Convention de Vienne
[30] Articles sur les négociations Equateur – UK :
https://www.bbc.com/news/uk-22928276
https://www.bbc.com/news/uk-22816226
[31] https://www.bbc.com/news/uk-22928276
[32] http://www.wauland.de/media/2011_Jahresbericht.pdf
[33] Visite de Raphaël Correa en Allemagne en avril 2013 :
[34] https://amerika21.de/2013/03/81799/correa-besuch-deutschland
https://www.dw.com/de/correas-tipps-für-die-europäer/a-16752246
https://www.fes.de/referat-lateinamerika-und-karibik/suedamerika/ecuador
[35]https://www.youtube.com/watch?v=Kkx9_jf3FXw&t=117s ; 3 :40 minute
[36] https://www.numerama.com/politique/320190-lequateur-voudrait-bien-que-julian-assange-parte-de-son-ambassade.html
Notons que dans cet article du 10 janvier 2018 Maria Fernanda Espinoza évoque les négociations menées avec la Grande Bretagne pour une solution ordonnée de la question Assange
[37] https://www.unhcr.org/excom/scip/3ae68cce4/identity-documents-refugees.html
[38] http://www.talkmedianews.com/the-world-in-2/2019/04/11/why-julian-assanges-impending-us-legal-battle-is-scaring-reporters/
« Document d’identité d’une personne à qui la protection Internationale est garantie »
[39] https://www.cidh.oas.org/Basicos/French/c.convention.htm
[40] « I, Julian Assange, an Australian citizen, have had my passport taken by British authorities and so cannot provide formal identification »
https://justice4assange.com/IMG/html/assange-statement-2016.html
[41] Voici les originaux publiés par le journaliste Al Burke sur le site Nordic News Network. On remarquera les cases vides dédiées aux numéro des pièces d’identité. C’est-à-dire qu’aucun protocole d’audition ne comporte ces données essentiels alors qu’elles auraient du être marquées et éventuellement cachées par l’éditeur.
http://www.nnn.se/nordic/assange/docs/memoria.pdf
[42] https://media.ccc.de/v/36c3-11247-technical_aspects_of_the_surveillance_in_and_around_the_ecuadorian_embassy_in_london
[43] Page 77, Maxime Vivas, « La face cachée de Reporters Sans Frontières. De la CIA aux faucons du Pentagone ». Editions Aden, Bruxelles 2007
[44] « Mr Assange has a young family in France, as well as children in Australia to whom he has been unable to have an affective relationship whilst in the Embassy; the uncertainty as to whether reunion can ever be accomplished, and whether the development of those relationships can be restored, creates a further uncertainty »
https://file.wikileaks.org/file/cms/Psychosocial%20Medical%20Report%20December%202015.pdf
[45] Site du fisc islandais : https://www.rsk.is/fyrirtaekjaskra/leit/kennitala/6110100280
[46] https://www.theatlantic.com/international/archive/2010/12/what-julian-assange-s-son-is-tweeting-about-his-dad/342931/
https://www.smh.com.au/technology/driven-to-dissent–like-father-like-son-20101204-18kpr.html
Twitt de Daniel Assange en 2010 : « Our final battle has begun, dad. We don’t cry, we don’t regret, and we never, ever give up. I love you more than anything and anyone in this world. I couldn’t ask for a better father, mentor, and role model in life. Thank you for everything. We fight to win. See you soon »