A Belmarsh, le 10 octobre 2019

Belmarsh, le 10 octobre 2019

La veille, le 10 octobre 2019 j’étais allée le matin de mon arrivée à Londres à la station Plumstead, commune Thamesmead à la lisière de la commune Woolwich. En effet, nous ne savions pas exactement dans quel tribunal Julian Assange sera jugé le lendemain car les «soutiens officiels », les avocats ni les « proches » ne communiquaient rien à ce sujet.

Je suis donc d’abord allée au tribunal Woolwich Crown Court qui jouxte les prisons Belmarsh et Thameside, cette dernière fait partie du complexe Belmarsh. Dans le secrétariat du tribunal, au rez de chaussée derrière un guichet, plusieurs femmes s’affairaient. Elles étaient aimables quand je leur ai donné le numéro de prisonnier et aussi le nom car elles me l’ont demandé (je m’apprêtais à ne pas dire le nom pour que ma requête ait l’air naturelle, qu’elle concerne un prisonnier lambda et non pas un homme célèbre dont parlent les journaux).

Elles ont fait comme si de rien et m’ont assuré que ce n’était certainement pas ici. Si ce n’est pas ici, cela ne peut être qu’à la Southwark Crown Court, ou éventuellement à la Westminster Court. Assange avait été soit disant condamné pour la violation de la libération sous caution le 2 mai dernier à la Southwark Crown Court, mais j’étais perplexe car les extraditions sont jugées normalement par les tribunaux magistrate, comme me l’avaient certifié mes avocats polonais. Mais en l’absence de toute information, il a fallu l’après midi courir dans le centre-ville à la Southwark Crown Court pour vérifier sur les listes du lendemain qu’Assange ne s’y trouve pas.

Puis je me suis dirigée vers le bâtiment neuf du « visitor center » dans le parking de la prison Belmarsh ou nous avions déjà été le 21 septembre dernier. Le centre visiteur est géré par l’association PACT qui s’occupe de recevoir les familles des prisonniers. L’intérieur en est en réalité assez convivial, comme pour adoucir ce moment pénible de visite pour les familles.

Au centre d’une vaste salle se trouvent des tables et des chaises, un présentoir avec des brochures dont nombreuses sur les droits des prisonniers, des casiers pour les sacs et les affaires personnelles des familles qui ne peuvent emmener autre chose que leurs documents à l’intérieur de la prison. Plus loin on a l’entrée d’une cuisine qui suggère qu’on peut s’y préparer un repas, des plantes vertes, une petite bibliothèque. A droite de l’entrée s’alignent devant de grandes fenêtres les bureaux des bénévoles ou salariées de l’associations, des dames anglaises d’une soixantaines d’années. Elles sont accueillantes et pleine de sollicitude.

Thameside, la prison semi-ouverte de Belmarsh

En face de leurs bureaux se trouve le petit couloir qui mène au PC de sécurité avec un guichet derrière lequel travaillent plusieurs gardiens de la prison. C’est là qu’on doit présenter ses documents pour la visite qu’on a auparavant réservée sur le site de la prison.

Ce matin lorsque je suis entrée, quelques familles noires et indiennes se préparaient dans la salle principale. Je ne m’y suis pas attardée et je suis directement allée au PC. Je voulais comprendre pourquoi ma visite réservée pour le 2 octobre puis pour aujourd’hui, d’abord acceptée, a été de nouveau refusée par mail, comme celle du 14, 16 et 23 août avec la mention étrange « que les dates ne sont pas disponibles et que je dois choisir de nouvelles dates ! (« the dates and times you chose aren’t available – choose new dates on www.gov.uk/prison-visits »)

Nous savons depuis le 21 septembre qu’il faut être sur la « visitor list » du prisonnier afin de pouvoir obtenir une visite, mais la réponse de Belmarsh ne disait pas « vous n’êtes pas sur la liste des visiteurs de M. Assange », elle disait quelque chose comme « il est occupé à cette date, il vous recevra une autre fois ».

Sachant que nous lui avions envoyé plusieurs lettres, un mail officiel de Wikijustice, de l’argent pour un appel téléphonique (cela était possible par le site de la prison) ainsi que deux colis, nous attendions toujours une réponse à notre demande d’être inscrit sur sa liste de visiteur. Après tout, nous répondions à sa lettre SOS du 17 août 2019 et nous lui proposions de le défendre en tant qu’association de défense des Droits de l’Homme.

L’ambiance du PC déjà très différente de celle du samedi 21 septembre. Cette fois ci les gardiens étaient tous des Blancs de 50-60 ans, leur Anglais m’était difficilement compréhensible et ils semblaient plutôt pète-sec et froids. Le samedi 21 septembre les gardiens étaient un groupe de Caribéens plutôt chaleureux qui nous avaient bien renseigné sur les lettres, les colis et la liste visiteurs. Maintenant, munie de leurs informations, j’essayais de faire le point sur nos envois depuis trois semaines.

Je dis à la première gardienne de l’accueil que j’avais réservé une visite pour le 10 octobre, je donne le numéro d’écrou, sans donner le nom du prisonnier. Elle regarde dans l’ordinateur et brusquement devient très sèche. Elle refuse de me répondre, me dit qu’elle ne peut rien me dire. Je concède que j’ai reçu un mail disant que « cette date n’était pas disponible », mais comme toutes les dates choisies finissaient avec la même réponse, que devrais-je en penser ? La femme reste mutique.

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Alors je ne joue plus la comédie de la femme qui vient voir un homme en prison. Je dis que je représente l’association Wikijustice Julian Assange de France et que nous voudrions savoir pourquoi nous n’avons pas de réponse des services de la prison « find a prisoner » , « prisoner location service » alors que ces services sont responsables de la communication du prisonnier avec l’extérieur et de l’organisation des visites qui sont un droit.

Si nous ne sommes pas sur la « visitor list » de Julian Assange, c’est peut-être parce qu’il n’a pas reçu nos lettres, mails et nos colis. D’ailleurs nous n’avons non seulement aucune réponse aux lettres, mais pas non plus un seul accusé de réception alors que nous avons pris soin d’envoyer des lettres avec accusé de réception de France et aussi directement d’Angleterre. Les lettres n’ont jamais été livrées à Belmarsh. La même question concerne nos deux colis contenants les seuls affaires autorisées, les chaussettes et les sous-vêtements. Nous n’avons jamais reçu d’accusé de réception de nos colis, alors que ces colis ne sont pas revenus. Pas comparaison, et n’étant pas certains qu’Assange soit à Belmarsh, nous avions envoyé un colis à la prison de Wandsworth ou normalement sont détenus les hommes en attente d’extradition. La prison nous a renvoyé le colis avec la mention qu’un prisonnier avec un tel numéro ne s’y trouve pas…

Alors pourquoi ce silence de Belmarsh qui dans ses audits annuels se targue d’être une prison moderne et modèle, respectant les droits des détenus ?

Report on an unannounced inspection of HMP Belmarsh by HM Chief Inspector of Prisons 29 January-9 February 2018 (justiceinspectorates.gov.uk)

Je formule ma requête d’une voix douce mais assez fermement. La femme ne répond rien, elle me dit qu’elle ne peut rien dire. Je n’insiste pas, peut-être des ordres ont-ils été donnés à ces salariés ne de ne rien dire.

Je sors me plaindre à l’accueil du PACT. Je suis seule dans la pièce, l’accueillante est très gentille. Elle me parle même français et s’excuses pour le mauvais accueil de ses collègues ! Je lui raconte le courrier SOS que Julian Assange nous a envoyé, nos nombreuses lettres sans réponse, notre inquiétude, les colis non livrés… Comment comprendre cela ? Comment est-ce possible ? Si Assange ne répond pas, il est peut-être déjà mort ? Ou il n’est pas ici ?

La femme me tend un formulaire et me dit « écrivez une complain », une plainte au directeur de la prison. Je m’installe à une table pour le faire.

Mais c’est alors qu’un des gardien sort de son box et vient vers moi. C’est un homme costaud. Il me dit quelque chose que je ne comprends pas, je lui demande de répéter. Et voilà qu’il s’avère qu’il veut me virer !

Je proteste. Je lui dis que j’ai le droit d’être là, que je suis en train d’écrire ma complain et qu’il va y être inclus s’il veut me chasser de force… La femme du PACT le regarde terrorisée. L’homme recule et fait demi -tour.

J’ai écrit la feuille (à laquelle nous n’obtiendrons aucune réponse) et je la tends à l’aimable accueillante. Elle est désolée, se confonds en excuses et me dit qu’eux, le PACT, n’ont en fait en tant que sous-traitant aucun pouvoir. Elle rajoute « Vous auriez dû venir à plusieurs pour avoir des témoins ».

Je souris « je sais, la dernière fois nous étions trois » !

Je prends congé en la remerciant. Au moins ai-je marqué notre présence et fait pression. Suffisante pour qu’ils nous montrent demain si Julian Assange est vivant et si oui, dans quel état ?

La lutte pour la vérité ne fait que commencer….

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